A qui prend la plume, il faut dire et redire que cette plume n’est pas tombée du ciel, que cette manne faussement céleste fut arrachée à quelque volatile mort dans le seul but de nous rendre l’écriture facile, et que de plumes d’aigle il n’est que sur les coiffes de quelques grands guerriers des plaines.

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Mal vus les plaisirs dits solitaires ! Comme au bon vieux temps.

L’heure est au grand partage, à la grande partouze médiatique.

Il faut que tout se fonde en tout, que tout devienne indistinct, sans lignes claires, sans angles morts, sans abîmes ni obstacles.

Fluidité, communication instantanée, et décomplexée. Transparence.

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On entend dire parfois : C’est plus facile à dire qu’à faire.

Mais le Dire, dans sa facilité même, comporte une difficulté de taille : certes, il enjambe allègrement les obstacles, court aux généralités, ne se heurte jamais à la faisabilité, tant qu’il ne sert pas un projet, mais enfin les possibles qui assaillent une pensée ouverte sur le langage ouvert à la pensée éloigne du réel, pour le meilleur et pour le pire.

Sans langage, nous voilà englués ; avec et dans le langage, nous nous débattons avec nous-mêmes, nos désirs, nos attentes confrontées à la dure réalité. Les mathématiques seraient-elles la seule échappatoire à ce dilemme ? et la transe shamanique ou l’extase mystique ?

Les faits sont têtus, les mots aussi.

Il s’agira de ne pas tomber dans un culte du réel indicible, chaque étant n’étant unique qu’isolé arbitrairement, même répliqué à l’identique. L’unicité des étants ne peut apparaître que dans des séries indéfiniment renouvelées. 

Ce que nous cherchons par le truchement de notre langage, c’est à saisir ce qui, dans l’ordre des faits, peut être rapporté à un ou plusieurs principes transcendants, tout en accordant poétiquement la place du chaînon manquant à ce qui, venant à nous dans le réel, nous vient en écrivant à partir de ce qui vient à nous dans le réel : ce lien invisible-indivisible qui nous paraît unir toutes choses et que nous sommes tentés de réunir sous un même élan phrastique voire un seul vocable, processus, à termes, de nature à dessiner les linéaments de notre destin au fil de la plume que nous trempons sans relâche dans l’encre épais et sale de notre époque ni pire ni meilleure qu’une autre.

Ce qui vient à nous dans le réel et ce qui nous vient en écrivant à partir de ce qui vient à nous dans le réel, voilà ce qui fait événement, crée parfois même l’événement en faisant polémique ou bien passe totalement inaperçu, peu importe. 

L’événement ainsi créé, par définition nodal et inextricable, n’en constitue pas moins le labyrinthe odorant et volatile qui nous guide pas à pas. Il est le point mobile inaccessible mais en rien cessible qui nous lie, dans et par le langage, à nos frères et sœurs en humanité, pour peu que l’écrit importe pour eux. 

L’étroit défilé par lequel je contrains ma pensée à passer ne lui accorde qu’un mince filet d’air. C’est dans cette aire raréfiée que se meut au mieux une pensée perlée qui avance en file indienne vers l’inconnu qui s’ignore comme tel.

Jean-Michel Guyot

10 juillet 2021