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 Article publié le 13 mars 2022.

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Si nécessité faisait loi, c’est peut-être ton corps tout entier que j’habiterais, par intermittence à tout le moins car je ne cesse depuis la nuit des temps d’aller et venir en tout un chacun, comme libellule sur l’eau puis le rocher, l’algue languide qui verdoie dans les eaux et la fleur insoumise qui rutile, le jonc penché sur les eaux et les feuilles des aulnes.
J’y verrais à coup sûr une opportunité de salut par la paix et l’habitation, mais une hantise plus grande occupe mes jours.
Ainsi je te laisse à tes rives paisibles, amour. En terre franche, je marche de chemin en chemin.
Quant à toi nécessité, tu vis en moi dans les marges. Mes parages te sont hostiles, tu le sais, tout au plus oses-tu de temps à autre une brève incursion, mais rien à piller en moi ni à faire plier sous ton joug d’airain.
Outre les besoins vitaux, le destin historique d’un peuple, d’une nation, la fierté de ses chefs, l’humilité du grand nombre, j’en fais mon miel depuis que le monde est monde.
Je suis le grand récit anonyme et polymorphe, le pendule invisible, la bascule des jugements de fer et de sang, la forge si profondément enterrée que même mes amis les Nains ignoreront toujours là où je descends, lorsque me prend le désir mêlé de crainte de forger les armes nouvelles du Destin qui si bien équilibre toutes les forces petites ou grandes en présence dans ce monde, jusqu’à ce qu’éteintes ou exsangues d’autres jaillissent et prennent le relais agonique.
Aux Nornes, j’ai pris et le rouet et les fils d’or et de crin. Elles s’en sont allées rouler dans des abîmes de perplexité où je les ai enfermées.
Bien en main, voilà donc de nouvelles armes, nobles et belles comme un sourire, et qui ne redoutent que leur maître, aussi murmurent-elle par temps de brume, si longs dans nos contrées, l’absolue nécessité, la seule qui vaille et conduise, de les faire taire autant que se peut, le temps au moins que le chant du monde apaise.
De là nos ruisseaux et nos chutes d’eau si nombreuses dans mon pays. De là cet armistice qui navre les impatients, ravit hommes et femmes de bonne volonté toujours prêts à entendre pour l’écrire et le narrer de mille manières le grand récit des jours.
Hier encore flottait dans l’air une de ces mélodies entêtantes dont tu as le secret.
Avidement, je t’écoutais qui cherchais et cherchais encore et encore une bouche et un noble visage afin qu’elle fût portée au plus haut à la connaissance des runes qui vivent et vibrent dans les écorces des arbres de nos forêts.
Il ne faut qu’un tout petit nombre de ces signes énigmatiques de prime abord, et se dessine alors hardiment un rythme inconnu de nous, et Odin m’en est témoin, seul à même d’infléchir à nouveau le cours de ce monde pour un temps seulement, nous le savons toutes d’expérience depuis des temps mémoriaux.
Monde et Destin virevoltent dans la mémoire agile des hommes, tandis que les femmes veillent sur ce qui n’a pas de nom, n’en a jamais eu, n’en aura peut-être jamais, au grand dam de quelques-uns, trop fiers encore pour faire taire leur soif de gloire en buvant l’hydromel qui coulent des mamelles de la Terre Mère.
Des os longs nous faisions des flûtes, des osselets un art divinatoire si proche de nos brindilles de noisetier jetées en avant du destin sur la peau magique étalée sur le sol sec de la grande tente.
Tambours et torches alors au-dehors, et grand feu de joie à l’approche du solstice d’hiver !
Une femme de haute taille sortit du cercle que nous formions, unis que nous étions par le chant grondant des tambours. Le marteau de Thor ponctuait au loin l’audace des hommes.
Mais le bleu des yeux de cette femme, lorsqu’elle posa son regard sur moi, comment l’oublier ?
A lui seul, il disait la mer et le ciel, et le bleu nuit de nos tentes dressées. Dans les tréfonds de ma forge, au grand jamais je n’aurais osé rêver plus belle apparence au sein d’une apparition si haute.
Le rêve ne devenait aucunement réalité, c’était pour notre joie notre monde toute entier qui se révélait en un rêve éveillé immédiatement perceptible, compréhensible par toute l’assemblée.
Un chant suave saisit à la gorge cette femme de lumière dans la nuit torchère. En sourdine, les tambours rythmaient sa mélopée ponctuée de traits de flûte.
Ah Freyja, j’y entendais bien ta voix flûtée et le velours de tes paroles et ce grain de voix si tendre. J’étais cette pierre-ponce qui flotte sur les eaux du Destin, et mes compagnes et compagnons les instruments, souples et légers comme nos flèches, de la Terre Mère
Cet ordre des choses me revient maintenant que j’y songe bien des saisons plus tard.
Dans le feu de ta présence, rien n’ordonnait et rien ne s’ordonnait aussi clairement bien sûr, car le message de paix par toi adressé primait, suspendant pour un temps la pensée raisonnante au profit de cette résonance si profondément musicale qui nous venait de toi et d’elle confondues dans le chant.
Chant nuptial, il fêtait les noces de la nuit et du jour, les épousailles de la terre et du ciel, et cette imperceptible fêlure en nous toutes qui fait toute notre force.
Eté comme hiver, nous serions désormais assurés, hommes et femmes réunis, de sa puissance agissante.
Lorsque tout fut entendu, et d’écho en écho répété et répété maintes et maintes fois en maints endroits, il ne resta en tout et pour tout que quelques signes épars disséminés sur la lande, dans les bois, à même roches et rochers millénaires.
Nos amis de maintenant, un à un, les trouvent, les lisent et les déchiffrent à la lumière d’une science qui nous est inconnue.
Qu’il est bon de revivre ainsi ce à quoi nous destinent les dieux dans la mémoire des hommes de naguère et d’aujourd’hui !

 

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