illustration de José Correa*

Le terrain de la poésie

C’est qu’on se prend à les chantonner, ces vers ! L’alexandrin à césure médiane y contribue sans doute, mais plus ou mieux encore cette reconnaissance du terrain qui s’empare de nous à les lire. Et nous les lisons depuis le premier volume de cette trilogie dont voici le deuxième. C’est que… le poète les chansonne si bien !

Mais cette complicité avec ce que la culture populaire fait de mieux ne l’emporte pas, je crois, sur le projet qui anime le poète depuis que ce chant lui a fait tourner la tête.

Il y a aussi un désir de poésie à l’origine de ce texte pas comme les autres. Pas comme les autres : ceux qui jalonnent une existence apparemment toute consacrée à cette passion : l’écriture… et son ombre adamantine : la langue française.

Celle-ci, depuis longtemps, se prête si bien à la satire du temps, celui qui passe et laisse des traces qu’on eût peut-être souhaitées moins définitives. Mais il en va ainsi : ce temps, qui nous appartient et nous dépossède bien souvent, est aussi transparent que les verres qu’on ne boit pas faute d’être invité au palais. Et encore : quand je dis satire, ma propre langue de lecteur fourche : car rien ici n’est sujet à la moindre exagération, comme il est coutume de s’y employer quand la colère (la rage) gronde à notre place.

Ces vers sont si réalistes qu’on les voit, carrément, sortir de nos écrans, ceux qu’on nous impose au fond : et c’est là, à cet endroit précis de sa réflexion sur le monde, sa nature et ses hommes, que le poète change la poésie en… poésie. Il a trouvé !

Voilà une occasion de pratiquer la réalité, et ses vérités incontestables, au sein même de la parole et en lieu et place de l’océan d’images et d’opinions tweetées qui déforment la surface de nos miroirs selfiés. On ne se regarde pas de la même façon, avec la même attention, dans l’écriture que dans la platitude parfaite des faux miroirs qui définissent la surface de nos moyens de communication. Le poète ne prétend alors rien d’autre que de nous y aider.

Bien entendu, on ne parvient pas à ce niveau de poésie sans avoir beaucoup et longtemps voyagé aussi loin que possible. Dans l’attente du volume qui conclura cette trilogie et qui commence par cette nouvelle menace d’une guerre mondiale non troisième mais totale, l’œuvre tout entière de Stephen Blanchard nous invite à lui pardonner cette « rage » qui, je vous l’assure, n’est pas chez lui un vain mot.

Tel est ce nouveau terrain où il invente ou réinvente, mais avec des mots, tout ce qui nous passe par la tête, qu’on le veuille ou non — et il le sait mieux que nous !

Patrick Cintas