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Clarinettes solaires - Anthologie de la poésie ukrainienne
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 Article publié le 22 mai 2022.

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Clarinettes solaires - Anthologie de la poésie ukrainienne - Textes choisis, présentés et traduits par Dmytro Tchystiak - Christophe Chomant Éditeur. [lien pour commander]

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À l’heure où ‘Les Impressions Nouvelles’ publient les œuvres complètes de Jean Ricardou ; où, pour se limiter au Nouveau Roman, les ‘Éditions de la Différence’ entreprennent celles de Michel Butor ; où Michel Deguy disparaît en laissant de non moindres traces sur nos métiers, etc. on s’entretue en Ukraine, on y déboulonne nos vieux maîtres sans lesquels nous ne serions pas ce que nous sommes, de pauvres gens se retrouvent dehors, écrasés de douleur et perdus à jamais, quand ils ne sont pas déchiquetés, les prix montent, le niveau baisse, il n’était pas bien fort avant et comme il n’est pas encore assez bas on vient nous chanter des amusettes eurovisionnelles qualifiées de « musique ukrainienne » par le président du camp concerné par cette « nouvelle victoire[1] » sur l’ennemi. On pensait gaîment que cette ignominie s’achèverait en moins de temps qu’il n’en faut pour se taire, hé non : la guerre est revenue, pauvre Jacques, on n’a pas fini d’entendre des insanités dans la bouche de ceux qui la mènent, on ne sait même plus qui a commencé et pourtant, sadat ou sadati, ça recommence !

Alors évidemment, la publication d’une anthologie de la poésie ukrainienne[2], d’un « panorama de la tradition poétique ukrainienne », comme me le dit son auteur et traducteur, Dmytro Tchystiak[3], pourrait paraître opportuniste et manquer d’élégance à l’heure où la douleur et l’injustice pourrissent une fois de plus l’existence de gens qui auraient eu autre chose à faire de leurs dix doigts si toujours les mêmes disputes territoriales n’avaient été ranimées par les fils de pute qui eux mourront dans leurs lits, n’en doutons pas, avec de jolis pactoles mis à l’abri dans les îles adéquates. Suivez mon regard.

Et bien non. Il n’y a rien d’opportun à travailler aussi sérieusement et aussi artistement non seulement un tel panorama (180 pages), mais encore une traduction, si j’en crois mon oreille, de grande qualité. On en profitera pour écouter ces voix nous parler de leurs cœurs et de ce qu’il y a dedans depuis que l’Ukraine n’est plus l’Ukraine, d’abord tiraillée entre la maudite Pologne et la vorace Russie, puis de nos jours, cette fois avec des accents moins naïfs dans le nationalisme et plus humainement patriotes, comme des soledades de notre temps. Je n’ai cessé, tout au long de cette première lecture, de penser à ce poème de Gabriel Aresti, poète basque qui écrivit en euskara, traduisit ses propres œuvres en castillan, je traduis ici de ce castillan même :

La maison de mon père
je la défendrai.
Contre les loups,
contre la sécheresse,
contre le lucre,
contre la justice,
je la défendrai,
la maison de mon père.
Je perdrai
mon bétail,
mes prairies,
mes pinèdes ;
je perdrai
mes intérêts,
les rentes,
les dividendes
mais je la défendrai la maison
de mon père.
On m’ôtera les armes
et je la défendrai avec mes mains
la maison de mon père.
On me coupera les mains
et je la défendrai avec mes bras
la maison de mon père.
On me laissera
sans bras,
sans poitrine
et je la défendrai avec mon âme
la maison de mon père.
Moi je mourrai,
mon âme se perdra,
ma famille se perdra,
mais la maison de mon père
demeurera debout.

 

Poème écrit et chanté dans un pays basque non reconnu par les loustics de l’ONU… Heureusement, l’Ukraine a des frontières juridiquement reconnues, elles. Certes, je ne les ai pas retrouvées telles quelles dans l’anthologie de Dmytro Tchystiak, sans doute parce que j’aime trop la poésie pour ne pas craindre ce « déshonneur des poètes » dont notre Benjamin Péret nous a entretenus en son temps et pour longtemps encore si j’en crois l’état de l’humanité en ce jour où je me prépare à relire le dernier grand livre écrit en français, à savoir Le Théâtre des Métamorphoses.

N’allez pas croire que Dmytro Tchystiak, auteur et traducteur de cette anthologie, cherche à nous inculquer la doctrine officielle ukraino-occidentale. Il s’agit bien ici de poésie, avec ce que cela suppose de langage, de sincérité, de générosité, de douleur et parfois même, ô hasard, de joie. Voilà une occasion d’écouter autre chose que les papelardises médiatiques et les interventions cauteleuses des ratapoils. Personnellement, je me fous de savoir qui gagnera et gagnera quoi ; pourvu que les gens, ceux qui rarement se préoccupent de poésie, ou alors à dose eurovisionnelle (grand bien leur fasse !), reviennent chez eux et non pas chez l’autre… Je pourrais citer maints passages de ce recueil, ils ne vaudront peut-être pas les loups de Villon cités par Eliot, mais pourvu qu’ils introduisent le lecteur au cœur même d’un peuple peut-être éternellement en formation, et cependant à jamais ancien et connaissant, comme tant d’autres que nous savons reconnaître. Je trouve d’ailleurs émouvant que le patron de ce pays soit un Juif… Quelle métaphore ! Inchallah…

Enfin, le poème de Gabriel Aresti peut être revendiqué par l’un ou l’autre camp sans que cela ne change rien à sa beauté ni surtout à sa justesse, sachant que, comme l’écrit l’auteur des Cantos, « il n’y a pas de guerre juste ». Ce qui compte, au fond, c’est de comprendre l’incompréhensible avec d’autres moyens que la médiocrité eurovisionnelle. On ne trouvera pas dans ces Clarinettes de quoi alimenter autre chose que notre esprit honnêtement critique, nourriture terrestre indispensable, surtout en ces temps d’imposture étatique et de béotisme populaire.

Poderoso caballero

Es don Dinero

Patrick Cintas


1. Lu dans les médias !

2. 4e édition, tout de même…

3. Dmytro Tchystiak est un écrivain, traducteur et universitaire ukrainien francophone. Professeur à Kyiv (Kiev) et à Bruxelles, vice-président de l’Union nationale des écrivains d’Ukraine (section de Kyiv), Responsable international des lettres de l’Académie européenne des sciences, des arts et des lettres à Paris, il a publié plus de 80 livres traduits dans une dizaine de pays et qui lui ont valu des prix internationaux, notamment le Prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le Prix du Gouvernement ukrainien. Membre de l’Académie des sciences et des arts à Salzbourg, il est chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques et Commandeur dans l’Ordre des Arts ukrainien. (4e de couverture)

* On trouvera une bio/biblio plus complète (impressionnante) chez [Wikipédia] où Dmytro Tchystiak n’apparaît pas la poitrine bardée de médailles comme un amiral soviétique, mais comme un indispensable passeur et même poète.

 

 

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