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Les erreurs d'un héros du Pinde
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 Article publié le 3 juillet 2022.

oOo

Où vas-tu ? Je n’en sais foutre rien, mais j’y vais.

Je vais, ni gai, ni triste, où le mistral me pousse.

Contraint dans mon caban et dans ma carapousse,

Les gens me traitent comme un malade du pouce.

Caramentran, d’où viens-tu ? Si je le savais…

 

Quand je parle de vous, muses, je me déborde,

Je mets de mon côté, poulaillers hilarants,

Cantonades sans voix, strapontins, derniers rangs,

Cela est plus que vrai, je vous en suis garant.

Laquelle d’entre vous le plus souvent me borde ?

 

Dans les rues, sur les ponts, le long des quais verveux,

Je prends des goélands, des piafs à la tirasse ;

Je les lâche étourdis sur les dernières traces

Du chantre d’Ionie, du chantre de la Thrace,

Des gueux félibréens, troubadours sans aveu.

 

Je mets des habits neufs à de vieilles idées,

Des idées riquiqui, des idées rococo,

Des idées sans acquis, des idées sans écho,

Des idées à la noix, à la noix de coco…

Des idées en retard, des idées démodées…

 

Fanfare, procession, ni retraite aux flambeaux,

J’en dirai un peu plus avant que je m’en aille.

C’est ainsi braves gens, les poètes pinaillent ;

Qui meurt à la ville est mangé par la chiennaille,

À la campagne par les porcs et les corbeaux.

 

Des nasses, des guêpiers, des lacs, des chausse-trapes…

C’est à désespérer des choses et des gens.

Je regrette mes temps perdus et mon argent.

Pour tous ces attrapeurs, je ne suis qu’un saint jean

Chrysostome qui mord et remord à la grappe.

 

Préparons-nous à voir notre pays conquis

- Incendiaires, pillards, briseurs de mandolines -,

Rien que d’y songer, j’en ai la chair de galine ;

Encore décamper, regagner les collines,

Se terrer, s’embusquer, rejoindre le maquis.

 

Quand je pense que les faux-fuyants vont à Rome,

Et que mon raidillon, serpentueux, étroit,

Rocailleux et herbu me mène à une croix,

Roulé dans un drap mûr, verdâtre, roide et froid,

Porté par un mulet, quelquefois par quatre hommes.

 

Je n’ai plus le désir de vous tourner un œuf,

Un madrigal, un lai, une ode, une sirvente,

Une rotrouenge, ô mes féales servantes,

Ô mon égérie qui aux quatre vents me vante,

Mes traînées, mes catins, mes rouchies, mes ponts-neufs !

 

Mes alexandrins vous font hausser les épaules,

Je croyais, rioteurs, rigoleurs, rigolards,

Chansonneurs, chansonniers, faiseurs de canular,

Caberlots à l’évent, maigrichons et gros lards,

Vous faire bourlinguer de l’un à l’autre pôle.

 

On dirait que je sors du moulin de Daudet,

Qu’on me casse du grès sur l’épine dorsale,

Que j’ai pris du plaisir avec mes commensales,

Comme d’autres Paris, je voulais voir Pharsale,

Je ramène au pays mon chien et mon bodet.

 

Je grimpe au sommet du Pic de la Mirandole,

Comme à chaque ascension, j’en apprends un peu plus,

Cromlechs, menhirs, dolmens, cairns, galgals, tumulus -,

Mais je ne suis pas près de me faire un calus,

Tantôt, je rejoindrai l’air d’une farandole.

 

Des tocsins, des bourdons et des canons fondus,

J’en ai autant que j’en peux porter sur l’échine ;

Je me crois un Atlas sous la ronde machine,

Des pékins chineurs sur mes pas d’encre de Chine,

Encore une grosse heure et je serai rendu.

 

C’est se heurter le front contre une palissade,

Un mur, que de vouloir me mettre à la raison.

Je suis toujours en l’air, toujours sur l’horizon ;

Devrais-je attendre au coin du feu ma crevaison ?

Malgré tout, je reviens souvent à la passade.

 

Je me raconte en long, en large et en travers,

Ma muse, ici et là, notre gloire nous l’eûmes.

Ma besace à gros grains pèse comme une enclume ;

J’ai toujours sur le râble un tome et un volume.

Écrire, c’est voir son temps en prose et en vers.

 

À la gêne dans vos croquenots à bascule

Et à l’étroit dans vos habits de dimanchier,

Je préfère, c’est sûr, ma vie de patachier.

Que mangez-vous si vous ne voulez pas chier,

Rimeurs tarabustés traduits en ridicule ?

 

Coupeurs de chevaux en quatre et cogne-fœtus,

Ma plume court par les champs comme une échappée ;

Je note à ses retours ses tristes ripopées.

Vous pouvez dénigrer mon goût pour l’épopée,

L’Iliade, les Rougon-Macquart, Roland, Artus…

 

Ce sentier mène -t-il à la ville éternelle ?

On y parle latin, grec, occitan, narquois ?

Pour ma part, je me tiens à dache clos et coi,

Il faut que j’y aille ou que je dise pourquoi

À tous ces orgueilleux tourneurs de ritournelles.

 

J’ai dans mon ciboulot comme un nid de bourdons,

Mon étique Pégase a tous ses fers qui lochent.

Et ces Quasimodo qui me sonnent les cloches,

Les angélus, les glas, les tocsins s’effilochent

Sur les toits, sur les champs… Aurai-je mon guerdon ?

 

- Tuiles, croquets, croquants, macarons, croquignoles…

J’aime tout ce qui fait croc sous la dent- gressins,

Pralines, sablés -croc, croc sous les agassins,

Sous le poing, entre les paumes… J’aurai dessein

De griffonner après quelques gorgées de gnole.

 

Parfois, faire bombance et le tour du cadran…

Je croise des croquis sous une pluie de pierres,

Des profils tranchants comme un couteau de tripière,

Des nus à la sanguine et ma dame en guêpière

Qui me prend par le bras… Je m’éveille mourant.

 

Avant de devenir pantins et marionnettes,

Forçats à la rame, à la rime, enfants champis,

Avant de traverser des avrils sans épis,

Jouons à cache-cache et à touche-pipi,

Au jeu de l’oie, au chat perché, à la dînette…

 

Les flots bleus… Nous faisions bon marché de nos corps,

On s’empaquetait dans une vieille guimbarde

Tantôt obéissante et tantôt furibarde,

À fond, à fond la caisse, à fond, à toute barde,

La radio à plein tube enfonçait les décors.

 

Vieillir… Et ce foutu linceul que le temps tisse,

On se détache d’hier sans s’en apercevoir.

À vélo, en car, à pied, le mieux pour savoir

La carte de l’endroit, ce fut d’y aller voir.

Avec l’âge, on se tasse et on se rapetisse.

 

Ce n’est pas le moment de moduler, ça non,

De roucouler des bouts-rimés tout d’une haleine,

Ni de sérénader les pots de marjolaine.

Ne me soufflez plus rien, mes oreilles sont pleines,

Tout cela est secret comme un coup de canon.

 

La mégnie, les poteaux, la mer et le cinoche,

La plage, les rochers, les westerns-spaghetti,

Les boules, le ballon, le bar, le baleti,

Les cartes, le flipper et le fini-parti.

Les pique-niques, les lunchs et les médianoches.

 

Je n’entends, ni ne vois personne ici autour,

Plus de bruits cuivreux, plus de couacs, plus de parades,

Plus de charrois fleuris et plus de mascarades,

Si j’en profitais pour étirer ma tirade

Et éclaircir ma voix au sommet de ma tour.

 

Ne vous tracassez pas pour ma mienne épitaphe,

J’ai mille males soifs, j’ai mille males faims,

Certes, je ne joue plus au plus fort, au plus fin,

Je n’en suis pas encore aux gros mots de la fin,

Pour ne rien vous cacher, mes labadens, j’y taffe.

 

Mais qu’est-ce que ce livre ? Un œuvre décevant ?

Que non ! Les rimeurs sont dans la même gerbière,

Allons au cabaret, triste Tristan Corbière,

Nous tuer le corps et l’âme, nous mettre en bière,

Faire comme si nous étions encor vivants.

 

Je n’ai plus que du bec, mes ailes sont pesantes,

La campagne est en verve, on entre les moissons.

Je me souviens, peiné, des belles qui se sont

Données dans la farine et vendues dans le son.

J’ai de la glane pour tous ! Pour tous ? Je plaisante.

 

La Fontaine, Boccace, un conte médiéval,

C’est une légende où les femmes sont des oies.

J’abandonne un royaume où les gueux se voussoient,

Ses semées de soucis sur les cris de la soie,

Ses jardins filés d’or pour un frisque cheval.

 

 

Les mots sont balbutiés, l’aigue bénite est faite,

On nous brise le crâne à grands coups d’encensoir,

Dansons la carmagnole à l’entour des pressoirs,

Des arbres de mai, des fontaines, des pissoirs ;

Ce n’est pas le saint mais la bacbuc que l’on fête.

 

Je vous sers, que je vous conte mes coups tordus,

Mes contes violets dignes d’un manicome…

Donnez m’en peu, un fond, un cul de vidrecome

Et tous ces racontars… Je vous en revends comme

Pas plus tard qu’avant-hier on m’en a revendu.

 

J’ai bazardé mes bois, mes airains, mes agates,

Mon collier de misère et mes riches carcans,

Ma lampe de Davy, ma paillasse de camp,

Un buste d’Honorat de Bueil de Racan

Et ma béquille avant que ma carne se gâte.

 

Je vous le dis afin de vous mettre au parfum,

Mon entourage n’est pas du tout fréquentable,

Mais avec, nom de Dieu, une mine mettable,

Ce cercle vicelard tient autour d’une table ;

Nous poussons dans un coin la chaise des défunts.

 

Avant de tirer en l’air mes dernières douilles,

De refaire une fois le tour de mon quartier,

De laisser mes souliers, mes habits, mon métier,

Quelques preuves d’amour, de mourir tout entier,

Je vous écrirai deux mots et une bredouille.

 

Je ne sens pas la fin des fins, la vraie, venir.

À peine on s’en éloigne, encore on s’en approche,

Je coupe court à tout : compliments et reproches,

Je ne regrette pas les anciennes accroches,

Je rassemble tant bien que mal des souvenirs.

 

J’aurai tout labouré, mon champ, la mer, ma vie.

Et je ne suis qu’un vieux bœuf qui suit ses sillons, 

Content d’être encore un peu dans le tourbillon,

D’entendre mon clocher sonner le carillon,

Un vieux bœuf qui jamais ne se tait, ne dévie.

 

Des guignes ? Une maine et nous fîmes le vœu

De nous aimer toujours, toujours quoiqu’il arrive.

Les histoires d’amour sur le sable s’écrivent.

À la rame sur un étang sans fond, ni rive,

On ne fait pas souvent des vents ce que l’on veut.

 

Séparés, on se cherche, ensemble, on se chamaille

Comme font, font, font, font les petits amoureux…

Les oaristys, les rencards, les buissons creux ;

Preux cavalier, au bois, j’étais toujours le preux.

J’ai ma colichemarde et ma cotte de mailles.

 

Soudain qu’elle m’a vu, elle m’a appelé.

Te souviens-tu de moi ? Madelon ? La crémière ?

La gardeuse d’oies ? Non, c’est la belle Heaumière

Que tu couvrais d’iris et de roses trémières !

Et je tourne le dos où je devais aller.

 

Depuis qu’on m’a volé mon vieux vélocifère,

Elle me tient l’échelle et garde mon pataud,

Tout mon saint-frusquin, ma bourse, mon paletot,

Mon luth, ma crécelle et les clefs de mon château.

Elle s’occupe en plus de mes sales affaires.

 

Elle prend son temps et le mien pour rajeunir

 - Teintée, peinte de frais, fagotée, pomponnée,

Le compte n’y est pas, il s’en faut, dix années.

Nous gambadons même aux fêtes carillonnées,

Nous n’avons plus le cri, la larme à retenir.

 

Je vous fatigue avec mes morceaux de bravoure,

Mes contes graveleux faits, refaits à plaisir,

Qui, citoyennes, vous font à peine rosir,

Dames, je n’ai jamais eu du mal à choisir

Mes récits égrillards, tout ce que je savoure.

 

Je dépave Paris et pave les enfers,

Je compose mes vers sur des dalles sonnantes,

Je fus le prisonnier de la ville de Nantes.

J’ai tiré dans Toulon une chaîne traînante,

J’y suis né, mère, avec la crépine et les fers.

 

Je n’attendrai pas plus d’une heurette d’horloge,

Je ne supporte plus de toujours poireauter,

De faire les cent pas et de m’impatienter.

J’ai passé le bon temps de m’en faire conter.

Si je savais au moins où cette garce loge.

 

Avec l’âge on se tasse, on perd de la hauteur

De me revoir, ils en sont ravis en extase,

À ces esbroufeurs, à ces fats, à ces viédases,

À tous ces casse-cou, je tire mon pétase ;

Je fus un comédien, mais jamais un acteur.

 

J‘ai un pied sautillant, léger au bal-musette,

Et l’autre bot dans la nacelle de Caron.

Un chausson, un sabot… Après la danse en rond,

Transis, nous partagions un cornet de marrons,

Nous avions des chez-nous pour faire la chosette.

 

Sans violon, je ne sais plus sur quel pied danser,

L’amour a emporté notre ménestrière.

Je griffais son devant et pinçais son derrière,

Elle mouchait mon cierge et blaguait ma prière.

Il ne me reste plus qu’à tout recommencer.

 

Je ne renonce pas aux envies de mon âge,

Aux joies de mes petits boyaux, à mes hochets,

À la rengaine, à la chanson du ricochet,

À prendre les plumeurs d’oiseaux au trébuchet

À remonter la Seine et ma rue à la nage.

 

Au fil du temps, les ponts rendent leur tablier.

Les chemins rebattus s’enfuient par les broussailles,

Moussaillon au long cours, hale-bouline, saille !

Protée dans son sommeil rêve de représailles,

Il change ses moutons en bouillonnants béliers.

 

Tant que j’aurai ce quart de lune dans la tête

Pour prendre allègrement les mots, la balle au bond,

Non, je ne serai pas tout à fait moribond ;

Je soigne mes tuyaux, m’inquiéter, à quoi bon ?

À quoi bon, à quoi bon m’accabler d’épithètes ? 

 

C’est toi ? Où trottes-tu, vêtu comme un moulin,

Sur ton fier ânichon, sans satou, ni girouille,

Les moujingues, là-bas, te chercheront garouille.

Pour défaire mes sacs de nœuds, mes sacs d’embrouilles,

Je me donne, Alphonse, au plus tard, la Saint-Glinglin.

 

Je donne à travers champs la réplique à Sénèque,

 À Taine, à Pétrarque et brife avec Rabelais

Si je te tors le nez, il en gicle du lait.

Que suis-je devenu, un douloureux palais,

Un mollasse viet d’aze et deux figues penèques ?

 

Je me vêts lourdement presque toujours trop tôt,

Je ferre pour l’hiver mon vieux Pégase à glace.

Mais qu’est-ce qui me pousse à refaire mes classes,

À rimer haut et fort dans les cours, sur les places,

De ma plus haute tour et d’entre les tréteaux ?

 

Elle n’a pas besoin, pour savoir mes pensées,

De boire dans mon bock, ni dans mon rouge bord,

Elle loue mes retours, mes naufrages au port,

Ma parnasside y voit clair sous mon tapabor,

Dans mes yeux éblouis, dans mes mains harassées.

 

Croyez-vous tout payer en tresses de laurier,

En bouts de Marseillaise, en messes rebattues ?

Vous flanquez le bâillon aux muses déjà tues,

La feuille de vigne et de la gaze aux statues,

Les tambours voilés aux morts à rapatrier…

 

Le dimanche au bistrot, on s’enfume, on s’anise,

Le rami, la belote… On fend les guéridons ;

Nous sommes frétillants, frais comme des gardons,

Mais au vêpre venu, on a tous le bourdon.

Demain c’est lundi, d’y penser on agonise.

 

J’ai souvent coupé mes poires par la moitié,

Partagé ma maraude et mes larcins en frères

Avec ceux qui avaient la fortune contraire

Et puis retrouvé ma colonne itinéraire

En me raillant de qui me regarde en pitié.

 

Il y en a pour tout le monde et il en reste.

J’ai trouvé le santon et la fève au gâteau

Et cette pétillante écume de coteau ;

Une part pour Pédauque, une part pour Pétaud,

Une part pour Pylade, une part pour Oreste…

 

- Serviette en nids d’abeille et pièce de savon,

Guenilles à la guimauve ou à l’eau de toilette,

Aiguilles, baise-en-ville… Où sont les gigolettes

Qui nous changeaient les pieds en bouquet de violettes ?

Où l’on donne de quoi rêver, les gueux y vont.

 

Pendant que vous parlez, que vous vous chantez pouilles,

Le rosé se réchauffe et le repas froidit.

On passe à la mangeoire, il est plus de midi ;

J’aurai rince-cochons, armagnac, rhum, brandy…

Je me suis levée tôt pour faire la tambouille.

 

Descends, on est à table ! On est dans le brouillard !

Du cul de la crémière et de l’argent du beurre,

On ne s’en soucie non plus que d’un brin de feurre.

Descends ! Je suis à dos d’oiseau avec Fombeure

Dans un peu moins d’une heure, on prend le tortillard !

 

J’écris dans des wagons un long roman de gare,

Je suis simple soldat, je suis simple ressort,

Un pain de munition et des gendarmes saurs,

Un vin de la comète et le tirage au sort.

Quatorze… On repart pour une grande bagarre !

 

Saura-t-on qui est vif, qui es mort, là-dedans ?

Ô combien d’immortels, combien de centenaires

- Crachats glauques, souffle au cœur, troubles urinaires -,

À force de se battre à coups de dictionnaire

Et de glaive ont péri, ampoulés, redondants ?

 

Les académiciens peu à peu déverdissent,

Sur quarante fauteuils, les trois-quarts sont percés,

Sachant que presque tous ont leurs ressorts cassés,

Ces trois sont comme neufs malgré qu’ils soient passés

Le Parnasse aujourd’hui n’est qu’un mont d’immondices.

 

C’est là, le tram se tord… Terminus ! Terminus !

Tout le monde descend ! Dans mon carnet de notes,

J’occis le receveur, j’étreins la traminote,

On m’entoure, me ceint, me passe les menottes.

Pour la énième fois, je dis mon in-manus.

 

Je supporte de moins en moins les forts en gueule,

Pour allonger la sauce, ils sont tous un peu là,

Mais pour, sans rechigner, nous servir pots et plats,

Mais pour nous apporter flonflons et tralalas,

Mais pour tirer l’eau du puits et tourner la meule…

 

Si ton monde est ailleurs, ne traîne plus ici,

Chausse l’escafignon de sept lieues et détale,

Elle n’est pas si loin que ça, la capitale

Avec le bigophone et les cartes postales.

Nous monterons te voir, ne sois pas en souci.

 

Un poète, un goualeur armé d’une guiterne,

Un vieux sac de marin et tout un attirail.

De Toulon à Paris, toute une nuit de rail,

Gare de Lyon ! Enfin, Lutetia, ce mirail !

Nous n’allons pas avoir une existence terne.

 

Vous avez tant compté sur mon harmonica,

Sur mon lourd bataclan, sur mon cache-misère,

Sur mes écrase-merde, endévés qui s’usèrent,

Passant entre vos doigts bleus les grains d’un rosaire

Jusqu’à l’extrême onction, la fin de vos tracas.

 

Que de pleurs rencognés, de sang caillé pour n’être

Qu’un forge-mètre avec un gros cœur d’artichaut,

Hors la loi dans ses murs recrépis à la chaux

- Une écritoire, un banc, un martel, un réchaud…

De la misère sur l’appui de la fenêtre.

 

Et pourtant j’aurai fait de vieux os à Paris,

Mon Paris qui toujours chante et littérature,

J’y ai tiré la langue et serré la ceinture,

Côtoyé des fusains et des caricatures,

J’y ai jeté mes dés, vécu dans mes écrits.

 

Ce pays où la terre est basse m’a vu naître,

Je le parcours encore à dos d’homme, à dos d’aï ;

J’y croise, fier de moi, la damote au grand d’ail

Frottée de provençal, d’huile d’olive et d’ail.

Mon terroir saura-t-il, un jour, me reconnaître ?

 

 

Robert VITTON, 2022

Notes

Erreur : action d’errer çà et là ; parcours sinueux et imprévisible.

Girouille : carotte.

Chercher garouille : chercher des motifs de querelle.

Aï : âne, se prononce ail.

Labadens : camarade, du nom du personnage, maître de pension dans une comédie d’Eugène Labiche, l’Affaire de la rue de Lourcine (1857).

Les femmes sont des oies : locution empruntée par Boccace à une légende médiévale et reprise par La Fontaine. Un jeune homme, élevé loin du monde, voit pour la première fois des femmes ; il demande, intrigué, au frère Philippe : Qu’est-ce que c’est ? Ce sont des oies, répond le vieillard.

Viédase : imbécile. Voir viet d’aze

Viet d’aze : viet, pénis du latin vectis et aze, âne. Pour ne rien vous cacher, l’aubergine, en provençal, est aussi nommée viédase.

Pétase : chapeau de pluies et soleil.

Vin de la comète : vin de l’année 1811 où l’on observa une superbe comète, année dont la chaleur de l’été et de l’automne fut exceptionnelle, année qui remplit ses tonneaux de vins excellents.

Penèque : se dit des fruits pendants et flétris sur l’arbre. 

 

 

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