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 Article publié le 10 juillet 2022.

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La Palice est mort à Pavie.

Avant de payer son tribut,

Le bougre était encore en vie

-Une faconde à faire envie,

Il y a vraiment de l’abus.

 

Je suis né pas loin de Marseille

-La bouillabaisse, l’aïoli

Et la bonne farce à l’oseille-,

La Canebière me conseille,

Je berlure au parc Borély.

 

Je suis du pays des cigales,

Je ne suis pas qu’une façon

De poète. Nul ne m’égale !

Mes vers orduriers vous régalent,

J’ai toujours l’air et la chanson.

 

J’ai eu des tirades ronflantes,

Des stances pleines de rebonds,

Des sonnets, des lais, des goualantes

Ni longues, ni lourdes ni lentes

Et des devises de bonbons.

Je ne me foule pas la rate,

C’est sûr, je suis de cet endroit,

Une terre basse et ingrate

Qu’à mes moments perdus je gratte.

Malgré tout, la lavande y croît.

 

Ici on ne fait pas la cane,

Un deuxième pour le sentier,

On ne part pas sur une canne,

Ni sur une roue de bécane,

Un troisième pour le métier !

 

Tout ça n’est pas de la gnognotte,

Pas une affaire de gnangnan,

De bravache du mont pagnote,

De traficoteurs de cagnottes,

Non plus de guignons guignonnants.

 

 

Ce qui m’est mielleux à la lèvre,

Rarement au cœur m’est amer.

Ma mère frottée d’ail me sèvre

Et je pousse des cris d’orfèvre.

Je me divague sur la mer.

 

Et tous ces gens que l’on cabane

-Tous les pays ont leur joli-

Que l’on abrite sous des bannes.

Soudain mon vieux rafiot cabane,

Je me retourne dans mon lit.

 

Tantôt, au plus haut de la roue

Et tantôt, pardine, au plus bas,

À la poupe comme à la proue,

Colériquement me rabrouent

Des coups de bélier, de tabac.

 

C’est un gros morceau que j’avale,

Un serpent gros comme le bras,

De quoi soulager ma faim-valle.

Toutes les infâmies se valent,

Est-ce un aspic, est-ce un cobra ?

 

Je me veux mal de mort de n’être

Plus en mesure de fleurir,

Quand l’amertume me pénètre,

Mon huis, l’appui de ma fenêtre,

De laisser mon jardin mourir.

 

J’en mordille mon stylographe,

Bistrotière, ton clair pivois

C’est de la misère en carafe,

Qui m‘entortille et qui m’agrafe,

Qui m’écorche à plaisir la voix.

 

J’entre dans des rondes macabres,

La mer là-bas tond ses moutons,

Ses chevaux de peine se cabrent,

J’étreins des gardeuses de cabres

Et reprends ma route à tâtons.

 

Poète à la triste figure,

Vêtu comme un moulin à vent,

Je n’ai presque plus d’envergure,

Je ne suis plus de bon augure

Et puis, plus rien n’est comme avant.

 

Parfois mon bide se ballonne,

C’est le festin de Baltazar,

Le dernier roi de Babylone ;

Je sème les champs de Bellone,

Je me noie sous le pont des Arts…

 

Vendredi, jour de la merluche,

De la sardine, de l’anchois…

Jour de Vénus, de la paluche

Et de nos jésus morts aux pluches.

J’y crâne, j’y tangue, j’y chois !

 

Un corps franc de brutes épaisses,

Quarante bleus et un sergent,

Qui de bouts saigneux se repaissent,

Traquent, débusquent, tuent, dépècent

Et désossent bêtes et gens.

 

Elle ne casse pas des briques,

Ma compagnie sans caporal

Qui fête les fées félibriques

Dans la gueulante amphigourique

Des secouades du mistral.

 

Mon balandran balaie la rue,

Croc, croc, je marche sur des yeux

Au bras d’une girl nue et crue,

Puis à dos de coquecigrue,

Je survole un Paris joyeux.

 

Que mettez-vous dans la balance ?

Voilà bien des si, bien des mais,

Bien des boucans, bien des silences,

Bien des vielles, bien des violences,

Bien des toujours, bien des jamais…

 

Lame ébréchée, branlant au manche,

Mon couteau ne m’a rien coûté ;

Je le tiens ouvert dans ma manche

Pour les bagarres du dimanche

En bringue avec Gaston Couté.

 

Que heurte à ma vitre, à ma porte,

À minuit, à midi sonnants,

Qui vient verdir ma saison morte,

Qui la bonne nouvelle apporte,

Qui me vient souhaiter le bon an.

 

Je suis tout à la poésie

Et je m’y livre tout entier,

Ce n’est pas une fantaisie,

Je n’ai pas la langue moisie

C’est ce qu’on tait dans mon quartier.

 

Ma Poésie n’est plus sorteuse,

Elle n’est plus dans sa primeur,

Bien que de moins en moins conteuse,

Elle n’est pourtant pas gâteuse

Comme le charrie la rumeur.

 

Je revois ma mère et mon père…

Je ne sais plus ce qui me tient,

Je ne plains pas ceux qui espèrent,

Toi, tu sais ce qui m’exaspère

Même quand tu y mets du tien.

 

Je dévale du mont Parnasse,

Où les sentiers sont caillouteux,

Pleins de panneaux, de rets, de nasses,

D’attrapoires aux dents tenaces

Et de convois de convoiteux.

 

Je m’en reviens de mes vadrouilles,

Un sac d’aveine sur le dos,

Un sac de nœuds, un sac d’embrouilles,

Un sac qui pique, un sac qui grouille,

Un sac de pignes, un sac d’os.

 

Mes vieux habits font la grimace,

Il n’est pas question d’en changer

Tant que je suis à la ramasse,

À éviter les coups de masse,

À déjouer tous les dangers. 

 

Quand j’hiverne dans ma tanière,

Je passe pour un casanier

Attendant son heure dernière.

Semeur de clous dans les ornières,

Qui me veut voir et manier ?

 

On ne me voit plus sur la route,

Sur les quais, sur les horizons,

Sur les parvis gueuser ma croûte,

Sur la grève où les vagues broutent

Ni sous les lourdes frondaisons.

 

Je mignarde mon écriture,

Histoire de me rassurer,

Gribouillis, pâtés et ratures

Et je rebrusque l’aventure

Oseriez-vous me rembarrer ?

 

Je m’alambique la cervelle,

Je joue les cavaliers servants,

Je tourne aussi la manivelle,

De vous aurai-je des nouvelles ?

Reviendrez-vous à mon devant ?

 

Je me méfie des marguerites,

Je t’aime un peu, passionnément,

Pas du tout… Du temps vous en prîtes.

J’ai des sirventes fraîche écrites,

À la folie, pour le moment.

 

Je m’engonce dans ma vareuse,

J’ai mis au crochet mon falot,

J’ahane dans des phrases creuses

Et ma plume n’est plus coureuse,

Ma barcasse n’est plus à flot.

 

Mitraille et menuaille fondent

Dans mes deux pattes de velours.

Croyez-vous que je me confonde ?

Le Diantre joue dans mes profondes,

Le pèze n’y pèse pas lourd.

 

On naît, on vivote, on calenche,

Un berceau, un peautre, un cercueil,

Des pages noires, grises, blanches,

On me sort entre quatre planches

De mes pavés, de mes recueils.

 

Mais que voulez-vous que je fasse ?

N’ai-je plus qu’à regarder d’où

Le vent vient ? De côté ? De face ?

Que voulez-vous ? Que je m’efface ?

Que j’attende, à quai, le redoux ?

 

J’attends le dégel, le déluge

Et la consommation des temps

Sur un radeau, sur une luge.

Mon évènement heureux, l’eus-je ?

L’aurai-je encore bien portant ?

 

Que suis-je toujours à attendre ?

J’ai l’air fin, je ne sais plus quoi,

J’ai brûlé ma carte de Tendre,

Je n’ai plus grand-chose à prétendre,

Je me tiens couvert, clos et coi.

 

Plus une garce ne m’appâte,

Je ne sors plus sans mon clébard,

Mon compagnon à quatre pattes.

Buveur d’asti, mangeur de pâtes,

Je ne vous fais pas un crobar.

 

J’ai du guingois dans la carcasse

Comme tous ceux de ma saison.

Je me plie en deux, je me casse,

Je mens comme une dédicace,

Une épitaphe, une oraison.

 

Je dessinais des goélettes…

J’ai sur ma blouse d’écolier

Des fines fleurs d’encre violette,

Mes jeux sont dans une mallette,

On ne peut pas tout oublier.

 

Que la vieillesse est difficile,

La jeunesse est forte à passer

Et nous voilà gras ou graciles,

On est de plus en plus dociles 

Quand on n’a plus rien à casser.

 

Locataires des cimetières,

Vous voilà guéris de tous mots.

En voudrai-je à la terre entière,

Tout enfoncé dans la matière

Sans pouvoir dire un dernier mot ?

 

Ce sont mes vers que je charbonne,

Les murs sont le papier des fous,

Les pantouflards de la Sorbonne,

Les Quarante m’ont à la bonne.

Gens enfermés dehors, et vous ?

 

Il pleut bergère… Je m’égare…

La pluie remonte les couleurs,

Toute la ville se bigarre,

Taximètre, vite à la gare,

Je meurs sans avoir vu Honfleur !

 

J’arrive au bout de ma tourmente,

Être enfin au-dessous de tout,

J’envie souvent ceux qui se mentent,

Ceux qui, sûrs d’eux, s’enrégimentent,

Ceux qui s’endorment n’importe où.

 

Et vogue, vogue la galée…

De nous, de nous, pauvre de nous,

La Mort n’en fait qu’une goulée

Avec ses phrases ampoulées

Qui nous fléchissent les genoux.

 

La Mort avec sa grande daille,

Avec sa pierre et son coffin,

N’a que faire de nos godailles,

De nos joies, de nos accordailles,

De nos pépies et de nos faims.

 

Je suis sur le sombre rivage,

Dans la barquerolle à Caron

-De ce côté point d’arrivages !

Nocher du Styx, où vas-je, où vas-je ?

C’est combien ? Je n’ai plus un rond.

 

 

Robert VITTON, 2022

 

Notes

Berlurer : raconter des histoires imaginaires.

Faire la cane : montrer de la poltronnerie.

Guignon guignonnant : génie malfaisant dans les contes pour enfants.

Cabané : logé sous des cabanes.

Cabané : renversé, en parlant d’une embarcation.

Félibrique : félibre, félibrèen.

Aveine : avoine.

Peautre : mauvais lit.

Coffin : étui rempli d’eau où baigne une pierre à aiguiser, porté à la ceinture par le faucheur.

 

 

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