|
Navigation | ||
[E-mail]
Article publié le 4 septembre 2022. oOo Dans une vie antérieure, dont les chemins nombreux ne furent pas jonchés que de pétales de roses mais le plus souvent couverts de ronces et envahis par les orties, il a pu m’arriver d’endosser en rêve le rôle traditionnel de l’écrivain en quête d’une Muse et d’une bonne compagne vigilante et aux petits soins pour « le grand homme » comme le firent tant et tant d’artistes de ces derniers siècles, contraints, qui plus était, de courtiser un mécène ou au moins d’entretenir un solide réseau de relations. De nos jours, galeristes et éditeurs pensent faire la pluie et le beau temps en ce domaine, grand bien leur fasse ! Les Muses, le plus souvent de passage, plus ou moins éphémères, peuvent dynamiser une œuvre qui les transfigure, qui en capte et fixe l’énergie qu’elles ont induites chez l’artiste en train d’œuvrer, c’est-à-dire de transformer cette énergie brute en quelque chose d’audible ou de visible qui n’aura plus que de lointains rapports avec « le modèle qui dégage cette énergie », pour ainsi le dire plus précisément et plus froidement. Les Muses sont des leurres que les artistes entretiennent à leur insu pour donner de la substance à leurs œuvres. Le substrat mythique est bien plus conséquent, mais curieusement, pour que ce substrat s’éveille, les artistes ont longtemps eu besoin d’une figure le plus souvent féminine bien réelle qui incarnât à leurs yeux toute la beauté labyrinthique du monde. A mon avis, ces temps sont révolus. Les mythes sont en sommeil, les Muses caduques. Les femmes restent bien présentes, mais comme artistes faisant jeu égal avec les hommes, hommes et femmes, par ailleurs, ayant jeté par-dessus bord, depuis belle lurette, l’attirance exclusive pour l’autre sexe ; un champ des possibles s’est ouvert qui ne se refermera pas de sitôt, et c’est une formidable nouvelle que de savoir ces artistes femmes ou hommes libres d’aimer et de créer ce qu’ils/elles veulent et comment ils/elles le désirent. Solder le passé ? On l’a déjà fait, et alors ? Certes, n’est pas Rimbaud qui veut ! Chaque fois que la nécessité s’en fait sentir, on est légitime à le faire sous la forme que l’on juge la meilleure pour la force du propos qu’il délivre et qui délivre. Qu’on ne s’y trompe pas : c’est un exercice jubilatoire qui a une valeur cathartique au sens le plus médical qui soit. C’est une vraie purge, un mot devenu malheureux, hélas, depuis que les Soviétiques ont usé et abusé de ce terme à des fins criminelles. Reste la jubilation qui tient tout entière dans ce regain d’anhistoricité gagné sur la tristesse des histoires vécues au sein de la grande Histoire. Tenir dans ses mains un gros morceau de passé, le jeter au feu et le voir brûler, est une joie qu’il faut partager : la force du sacrifice étant de rassembler tous ceux et toutes celles qui se retrouvent dans ce geste fort par où est partagé la mort de ce quelque chose qui nous concernent tous et toutes, soit, a minima, une certaine expérience vécue, un fatras d’illusions perdues, un amour toxique, etc… A la fin, l’instant souverain exige de nous que nous mourions, et ce nous sera une joie. * N’use mes forces à te lire Ne retrouve jamais quelques germes de pensée mienne Dans tes solennels écrits Tes tentatives ont toutes finies dans les sables Mortes dans l’œuf ou arrivées à pleine maturité Elles n’étaient que des projets trop mûrement réfléchis Trop bien construits et pensés Pour avoir quelque chance Et leur but trop clair dans ton esprit Tu n’avais pas saisi dans les œuvres Qu’un livre est une fin en soi, jamais le moyen Le plus sûr de rapporter gloire et argent à son auteur
Tu as le mérite au moins d’avoir mis la main à la pâte Dans le pétrin dans lequel tu t’étais fourrée Farine et levain, sel et sueur, rien ne manquait, Dosage parfait mais tes pains ne se sont pas vendus Ils sont passés inaperçus Retour à l’éditeur
Une fois même, rupture de contrat, Publication avortée cat tu t’étais par trop approché De la limite que l’éditeur désirait te faire franchir Ton livre-phare écrit avec ta vie et la vie d’autres, Des proches parfois, ne suffisait pas à l’éditeur Ce dernier voulant étaler sur la place publique, Par le biais d’interview des personnes réelles Impliquées dans tes nouvelles, leur version Des événements dramatiques que tu te plus à évoquer Comme l’on déroule un catalogue de cas de figure Censés illustrer une réalité sordide : Le rapt ou la captation d’un enfant Par l’un des deux parents au détriment de l’autre Un rebond chez un autre éditeur moins vorace Te permit de publier ton livre qui ne trouva pas de lecteurs
Je fus heureux, vraiment heureux de te voir échouer Si près du but Toi qui m’avais placé sur un piédestal, M’avais tressé des couronnes de lauriers Pour mieux m’humilier Il y eut d’abord la courtoise idée De me faire passer l’épreuve du temps long Qui devait me permettre de m’affirmer comme un écrivain reconnu Afin, le jour venu, de séduire ta misérable famille Et de la convaincre de l’intérêt que je représentais J’eusse à tes yeux et aux yeux des tiens Etélégitime à gagner ton cœur et ton lit A la condition expresse d’égaler en prestige Ton pauvre plouc de mari perdu dans ses nuées astrophysiciennes Le grand matheux, l’élégant musicien Qui ne comprenait rien aux mots Pour qui la dialogie resterait éternelle énigme Foutaise que tout cela ! Non contente de capter mon énergie d’écrivain, Tu conçus peu à peu le projet de me damer le pion En publiant de ton côté Des livres qui se vendent !
Il y eut durant un temps Le temps de la collaboration heureuse Où nous faisions jeu égal Preuve, s’il en était besoin, Qu’une collaboration entre deux écrivains Peut être jubilatoire et fructueuse Même si elle implique beaucoup d’énergie Dépensée dans des circonstances très défavorables Tu n’as pas idée, à cette époque, de l’état d’épuisement Dans lequel j’étais Je retiens de cette expérience la force de penser De creuser des idées malgré une grande fatigue Force qui demeure, fait que je traverse tous les aléas Sans jamais être à court d’idées et d’énergie pour leur donner forme
N’use mes forces à te lire Longtemps me crus autorisé à faire de toi Ma muse Tout le miel dans ma ruche Provenait alors des fleurs qu’imprudent j’allais butiner Exclusivement dans le jardin que je t’imaginais être alors Je dus me rendre à l’évidence : les pensées et les élans Que je te prêtais n’émanaient pas de toi J’étais les fleurs et le jardin, les abeilles et le miel Fin du rêve
Depuis lors, à mon grand bonheur, Le monde s’est rouvert Je m’y suis jeté à corps perdu Marchant des heures et des heures Dans divers sites, visitant et sillonnant La Comté et les Cévennes Retrouvant dans les mousses set les lichens, L’ail des ours et les myrtilles, Les hêtres et les chênes, Les orages et le bleu du ciel En bas, en haut, à hauteur d’homme toujours Le sel de la vie Dans le sourire d’une femme La joliesse de son sein Un rire Un livre Un poème Un bonheur de vivre sans la pensée de toi Qui parasita-paralysa trop longtemps Mon Dire. Libre d’aimer enfin tout ce qui n’est pas toi Libre de m’imposer formes et formats Convenant parfaitement à l’absence de sujets De thèmes, de projets Qui font la force errante De mon travail Il faut avoir été quelques années En prison dans une cellule capitonnée Entouré de bons sentiments et gratifié de rares caresses Pour apprécier l’air libre Une fois la prison évanouie Son prisonnier complètement dégrisé
Ni haine ni regrets ne me tourmentent Mais un mépris sans appel pour ta personne J’ai fait table rase du passé Pire, j’ai brûlé ta table au lieu de simplement la renverser Ne me reste que le sable dans mon sablier Qui ne compte pas mes heures Posé là sur mon nouveau bureau, magistral, Qui me rappelle La force de devenir soi Dans l’indifférence la plus grande A l’égard de l’avenir
Texte après texte, je creuse en moi Pour ne trouver qu’autre que moi Livrant-délivrant une parole qui ne se veut pas universelle Mais fraternelle Le monde que j’aime tient en si peu de mots Il appelle tous les mots Se renouvelle sans cesse Le mot patrie n’a pas de prise sur lui Cette transcendance fade a son importance dans les heures sombres Que nous traversons Mais il ne dit pas l’essentiel Qui est partout et nulle part Qui ne se dicte ni ne se dit Parce ce qu’il n’est en rien mythique En rien tautégorique Mais bien réel Là et là et ici A portée de main A portée de voix A portée de mots Porté par un amour qui ne s’abaisse jamais A préfigurer je ne sais quel ciel angélique Mais fuse et ruse dans tous les recoins de l’être en commun Vécu devant des fleurs, un arbre, une cascade ou une fontaine En joyeuse compagnie !
Jean-Michel Guyot 23 juillet 2022
|
Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs | [Contact e-mail] |