Passe-passe - nouvelles de Martine Lombard - éditions Médiapop.

Ce livre de Martine Lombard n’est pas un simple recueil de bonnes histoires. Son unité a vite fait d’apparaître en cours de lecture. Le titre prend alors tout son sens : ces personnages cherchent leur place, dans leur famille, dans la société, dans l’entreprise qui les emploie, dans le pays qui les tient. Et c’est par un tour de passe-passe qu’ils s’en sortent, non sans blessures et rien ne dit, dans le texte, qu’elles sont en voie de cicatrisation. L’Allemagne de l’est, pays de naissance de l’auteure, y joue le rôle à la fois de terreau narratif et de raison d’aller voir ailleurs. C’est ainsi que les personnages, femmes et hommes, se retrouvent prisonniers de la famille, souvent artificielle, par le biais du mariage non dépourvu d’amour ni de sincérité, et dépendant de ce qu’il convient d’appeler le travail, qui n’en est pas moins contraignant, voire sclérosant. Il s’agit alors de s’en sortir, de trouver la faille et de l’exploiter, avec quelque chance, pas forcément mesurée au départ, de changer d’existence ou au moins d’en connaître les issues : travaux, amants, lieux retrouvés qui ont perdu leur sens si ce sont les enfants qui y sont invités, une fois le mur tombé, à essayer de comprendre d’où vient leur mère et ce qui devrait leur revenir, ce qu’ils ne saisissent pas d’emblée, voire jamais. Certes, la RDA, comme sous-sol d’une autre existence, n’est pas la seule raison de planifier le renouveau : Martine Lombard, en ne se limitant pas à ces traces nécessairement autobiographiques, réussit à donner à son sujet une dimension cette fois humaine, non pas en moraliste, ce qu’elle n’est pas, mais en observatrice opiniâtre et méticuleuse, ce que lui autorisent son métier et sans doute son talent d’interprète et de traductrice, sans compter sa nature profonde ; les idées n’excluent jamais les sentiments. Un livre intelligent et bien senti, qu’on lit avec plaisir, même si on s’y reconnaît et qu’on n’a pas vraiment envie de changer. De plus, Martine Lombard maîtrise parfaitement l’art de la nouvelle ; l’esthétique qui s’ensuit confine au roman, et non point à l’autofiction ni aux misérables interprétations journalistiques* qui pourrissent notre quotidien de voyageur dans le temps partagé et mis en réseau. Il y a aussi ce plaisir de lire quelque chose qui représente un bel exemple de dépassement de soi… et des autres.

Patrick Cintas

* À ce sujet, c’est dans la nouvelle intitulée La Baumann, peut-être la meilleure du recueil, que les décalages journalistiques entre le style communiste et le style libéral montrent à quel point il est nécessaire, si l’on a quelque ambition littéraire, de se libérer —à quoi servirait sinon les tours de passe-passe ?— du Journal, de l’Autobiographie et de la Politique.