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Hypocrisies - Égoïsmes *
Julien Magloire VII

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 Article publié le 15 janvier 2023.

oOo

« Le mot folie appartient d’abord au marketing. Les questions de justice et de santé n’en sont que les parallèles maudites. Quel tissu romanesque à explorer ! Le fou ou le criminel connaît les personnages. Il ne reste plus qu’à les emprunter. Oh ! Juste le temps d’en finir avec cette histoire ! Vous comprenez… ? Ce que je vis avec Julien Magloire n’est pas une aventure dans le sens propre du terme qui est alors tourné vers le futur, qui voit dans le miroir non pas ce qui va arriver, mais ce qui est en train de devenir un roman. Julien n’est que le pourvoyeur de la documentation nécessaire. Il ne se passe rien entre nous, contrairement à ce que vous a raconté Fouinard !

— Il ne m’a rien raconté…

— Il vous a menacé… Ne dites pas le contraire… Il menace tout le monde… Il a un bon avocat… Payé par le gouvernement ! Avec l’argent de nos…

— Je crois qu’il a lui aussi un projet…

— Littéraire ? Pas même scientifique ! C’est un charlatan. Il a des vues sur vous. Méfiez-vous de ne pas tomber dedans ! Il en a cuisiné plus d’un.

— Je ne connais ni le début ni la fin de l’histoire…

— Nous en sommes tous là ! C’est notre nature. Autant en faire un principe d’écriture. Qu’en pensez-vous… ?

— Ce ne serait pas une invention…

— Je le sais bien ! Heu… Vous ne mangez pas… ?

— Je crois que je vais sauter le repas de midi… Lucienne me nourrit le soir…

— Ah… Vous aussi… Je suis passé par là. Rien ne change. On commence par se ressembler. Puis on se croise… Ne croisez pas Fouinard ! Rasez les murs ! Et ne sautez pas un aussi bon repas ! »

Julien nous rejoignit au moment du café qui arriva sur un chariot, fumant dans ses contenus inoxydables. Les tasses tintaient dans les soucoupes. Cette manie de touiller, le regard perdu pas plus loin que la fenêtre, si haute que les arbres semblent se baisser pour en caresser les carreaux aux traces de gouttes. Roger murmurait maintenant. Julien à l’écoute, touillant lui aussi. Je croquais des morceaux de sucre du bout des dents, langue suave en perspective, ne participant pas à la conversation terminale. Déjà, les larbins en tabliers bleus s’activaient entre les rangs, silencieux et rapides, répétant les mêmes gestes sans accorder leurs regards aux nôtres. Les mondes ne se mélangent pas. Pourtant, ils s’interpénètrent en spirales ou en ondes, comme les eaux de la rivière. Roger dressait encore la liste des personnages comme un ensemble cohérent dont l’inconnue commençait à prendre forme. Il en tremblait d’impatience, mais Julien ne comprenait pas où le docteur voulait en venir et il craignait d’en concevoir une autre douleur, autre vortex de ruptures, dissémination des données, le regard cherchait de quoi attendre des jours meilleurs. Cette souffrance me culpabilisait. La table de Fouinard, près d’une hotte zébrée de suie, était maintenant désertée. Assistants et enseignants promenaient leurs estomacs dans les allées, en péripatéticiens ou en cavale temporaire, fumant et retenant des rots. La salle du réfectoire s’était vidée. Un seul larbin demeurait, tenant la porte en attendant qu’on l’emprunte enfin pour faire comme tout le monde, mais il connaissait le docteur Russel, ses habitudes, les tracasseries qu’il colportait sans se soucier de leurs effets sur le moral des troupes. Un courant d’air s’était établi entre cette porte et l’âtre noir. Julien frissonnait à chaque afflux. Il n’écoutait plus. La conception du roman que Roger était en train de lui exposer n’était pas la sienne. Il ne songeait même pas à me consulter, entamer une conversation malgré l’impatience du larbin qui jouait avec les gonds, me permettre d’exister dans sa proximité au lieu de me considérer comme un étranger qui n’a pas pris le temps d’examiner les assises du récit, et je me levai pour aller jeter un œil dans les cafetières, ce qui provoqua le trépignement des sandales domestiques. Roger me happa au passage :

« Vous agacez le personnel mon vieux ! Ils vont finir par perdre patience et se mettre à faire un boucan du diable pour laisser cette salle aussi propre que vous l’avez trouvée en entrant. Vous ne connaissez rien de cette énergie ouvrière. Elle vous détruit aussi sûrement que leurs tondeuses à gazon et autres braillements d’enfants que rien n’éduque dans le sens de la connaissance et de l’esthétique. Vous n’avez donc rien appris dans la police ? »

Il me tenait ! Julien s’efforçait visiblement de mesurer cette emprise, autant comme proie déjà en cage que comme rêveur qui n’achève pas la nuit aussi facilement qu’il mettrait fin à ses jours. Il ne chercha pas cependant à sonder mon regard. Il touillait ! Tasse vide, de café et de sens, et le larbin fit signe qu’il était interdit de fumer… faute de cendrier… aussi Roger se leva et se posta devant la cheminée, alluma le cigare et souffla la première bouffée sous le linteau. Ensuite, les volutes se mirent à fuir en direction de la porte, ce que je n’expliquais pas aussi clairement que je l’aurais voulu. Julien, harassé, se leva à son tour et tourna dans l’allée pour sortir. Roger haussa les épaules, m’invitant à l’approcher.

« Nous travaillerons ce soir, dit-il. Vous coucherez à la maison. Sally préparera le clic-clac. Des draps neufs. Le précédent invité n’en a pas fait usage…

— Ha bon… ? Il y a un… précédent… ?

— Il a fui devant l’énormité de la tâche ! Lit fait pourtant… Et repas avalé ! Mais quelque chose clochait chez lui… Je ne savais même pas d’où il venait… Pas de la police en tout cas… L’enseignement peut-être… Le lendemain, il me fuyait ! Il s’était plaint à Fouinard, le salaud !

— Fouinard est donc au courant… ? Hum… Il m’a bien semblé qu’il projetait de nous plagier…

— Vous voyez comme j’ai raison ! »

Embouchant le cigare comme un instrument à vent, il me fit pivoter puis m’entraîna dehors. La porte se referma en douceur. J’avais oublié qu’elle était gardée. Nos pas trouvèrent le rythme de nos pensées, les jambes de Roger étant un peu plus longues que les miennes. Nous tournions en rond, passant devant les portes de sortie du patio sans en saluer les ombres ni les reflets de vitre. Pas de traces de Julien.

« Vous avez le dernier rapport ? demanda Roger.

— J’ai bien failli me pisser dessus !

— Méfiez-vous d’Alice… Vous l’avez observée au pique-nique… Elle prenait des notes. Étrange, non, pour une lingère… ? Elle finira par vous surprendre…

— Bel encouragement à continuer, docteur ! La prochaine fois, je me ferai dessus ! Ce qui servira d’indice à Fouinard…

— Portez une couche. Alors… ce rapport… ?

— Je l’ai laissé chez vous, comme convenu…

— Pas lu, j’espère… ?

— Sally me l’a arraché des mains !

— Brave Sally ! Le seul être fidèle…

— Tout ceci se terminera mal… »

Je ne doutais plus que les docteurs Russel et Fouinard étaient entrés en compétition sur le même sujet. Et depuis longtemps. Comme je le disais, je ne connaissais pas le début de l’histoire. Et je redoutais d’en connaître la fin dans un box. Mais entretemps, il y avait de quoi lutter contre l’ennui. J’aurais peut-être mieux fait de m’intéresser à mes racines territoriales… Maintenant que j’en foulais la terre… Et pour des années si Roger Russel ne finissait pas par se livrer à un tournoi dans un tribunal, avec au moins l’adversité d’un Fouinard conseillé par sa hiérarchie. J’y paraîtrais alors comme témoin ou complice… Tout peut arriver quand on a mis les pieds en territoire ennemi.

Nous nous séparâmes sur un son de cloche. Roger trotta vivement en direction de son cher bureau, sans m’avoir invité à le rejoindre. J’étais moins pressé. J’avais rendez-vous avec Fouinard. Autre dossier, le mien, à compléter, une tâche qui selon lui dépassait les compétences de sa secrétaire. J’avais le temps de flâner encore un peu. Les allées et les pelouses s’étaient vidées. Sur la façade, quelques fenêtres s’étaient ouvertes et des bustes s’y penchaient à travers les barreaux. Je pouvais voir les plafonniers allumés. J’allai jusqu’au mur, revint sur mes pas, consultai ma montre, tâtai les rondeurs du cigare que Roger avait glissé dans ma poche, regrettai de n’avoir pas songé à emporter un livre ou quelque chose qui y ressemble… J’ai l’habitude d’attendre. J’ai souvent poireauté au coin d’une rue ou sous un porche. J’ai beaucoup suivi, pisté, couru après. Les cent pas sur le tapis d’un couloir aux portes closes, les bancs occupés par des êtres en attente de décisions judiciaires, les collègues plus ou moins fripés, quelques secrétaires qui pourraient se croire séduisantes si on ne leur avait pas déjà dit le contraire. Je n’ai jamais vraiment croisé personne, dans un lit ou à la sauvette. Si Fouinard cultivait quelque projet me concernant, je serais bien inspiré d’y réfléchir un peu avant de me livrer à lui. Mais je n’allais pas laisser passer l’heure. Elle arriva, avec cinq minutes d’avance, car je suis un inquiet du rendez-vous. Sa porte était entrouverte. Puis elle s’ouvrit pour laisser le passage à la secrétaire. Elle avait passé l’âge du compliment. Elle ne me distingua pas d’un buste posé sur son piédestal. Aristote ou Platon. Ou Avicenne. Je n’ai jamais pris le temps d’une visite de ce corridor rempli d’Histoire… interne. Un portrait ressemblait très précisément à ce que je savais de Fouinard. Il me surprit l’observant, mais se contenta de me tirer par la manche. La porte ne claqua pas, car la secrétaire s’était précipitée pour en amortir la fermeture. Elle disparut. Fouinard était déjà assis derrière son bureau. Sa main, cloaque de poils noirs et d’une blancheur exemplaire, m’indiqua la chaise encore tiède des fesses qui venaient de s’y poser le temps d’une prise de notes. Pas de cigare ici. Un bocal contenant des bonbons au papier transparent. Bon sang ! Je m’en souviens comme si c’était hier ! Je serais capable de pousser cette description jusqu’au moindre détail ! mais qu’en feriez-vous, n’est-ce pas ?

« Vous dînerez chez moi ce soir, dit Fouinard comme si un refus de ma part n’était pas à l’ordre du jour. Mon épouse se meurt de vous connaître. Elle a entendu parler de vous…

(là, Fouinard prend le temps d’observer ma petite réaction cutanée)

Tout le monde se connaît ici, continua-t-il d’expliquer. Mais à ce point ! Les nouvelles vont vite. Elle a insisté pour vous recevoir en grandes pompes !

(je sursautai)

Nous les limiterons cependant à ce que nous savons de la bienséance…

(inquiet ou jouant)

Vous mangez de tout j’espère… ?

(ânonnements)

Elle cuisine à merveille le poisson. Mais il faudra vous contenter de ce que la rivière réserve à nos palais ruraux. Simplicité de châtelains. Vous pêchez, m’a-t-on dit… ?

— Une fois… Mais comme prétexte… Un pique-nique…

— Je sais ! Je sais ! On ne peut pas faire un pas sans faire l’objet d’une observation, aussi discrète soit-elle… Va pour le poisson ! Un petit blanc s’imposera. Ou plutôt deux qu’un !

— Oh… deux doigts… Pas plus… je ne suis pas amateur…

— Lucienne dit le contraire… Oh ! La menteuse !

— Je n’ai pas dit ça… »

Son smartphone clignotait. Il se contenta d’en tapoter l’écran, sans autre effet qu’une accélération du clignotement. Je craignis l’enregistrement. Roger avait la même manie de la mémoire à toute heure et par tout temps ! J’utilise un Minox qui a appartenu à mon père. Une valise Altaïr de même origine, le soir, sous le rouge d’une lampe. Et le tour est joué. Je ne mitraille pas. Je cadre le dossier, page par page, et je prends le temps de révéler ces images à ma conscience d’espion patenté. Une expérience professionnelle précède cette activité au service du roman. Que sait Fouinard ? Quels vers prévoit-il de me sortir du nez ? Reconnaîtrait-il cette odeur acide dans ma chambre ? Qu’a-t-il connu du passé qui précède l’ère numérique ? Autant de questions destinées à m’éloigner de son influence qui s’annonçait malveillante. Ces types courts et grassouillets m’ont toujours écœuré. Le col de chemise subit la dure soie des bajoues. Le nœud de cravate n’est pas aussi serré qu’il en a l’air. Poussières des manches et des épaules. Derrière lui, une mappemonde décrivait un voyage portugais, un astrolabe tarabiscoté ornant un angle. Mêmes dossiers en chemise ivoire titrée de rouge. Le nom de Labastos, sans prénom, sautait aux yeux. On pouvait deviner, dans une encre plus discrète, des notes concernant les divers pseudonymes du personnage, le tout encadré d’un épais trait de plume rouge. Cinq bons centimètres d’épaisseur. J’en avais photographié toutes les pages. En à peine trois semaines de sueur froide. Toujours précédé par les talons pointus de la secrétaire. Je laissai derrière moi mon odeur de célibataire soucieux d’une constante hygiène corporelle, un défaut de ma cuirasse d’affidé en perte de vitesse. J’avais connu la peur, de l’enfance en chambre à la perquisition mouvementée, voire périlleuse. Et ça me reprenait. Une sueur d’ail et de piment. Lucienne en agrémentait ses lentilles. Chaque soir avant le coucher de ses grosses fesses sur l’horizon de mes draps. Vie secrète déjà alors que je m’étais promis de ne plus recommencer. Promis de retrouver la paix d’avant l’enfance, chez amatxi et atatxi. *En basque dans le texte. Étrange, tout de même, cette fatalité, suite à une rencontre déterminante, quelqu’un de dominant, impossible à réduire à ma taille, comme si j’étais destiné à servir d’intermédiaire pour ne pas subir le sort du domestique qui dort en moi comme la poésie en Musidor. Je haletais toutes les nuits en lapant mes chabrots. Mais la mission était toujours achevée en succès. On me regrettait peut-être dans la police, même si l’oubli est la plus probable des hypothèses.

« Nous sommes trop loin de tout pour avoir une idée satisfaisante de ce monde qui renaît sans cesse de nos propres cendres.

(c’est Fouinard qui parle mâchant un rose bonbon que ses doigts ont décortiqué en apaisant les crissement de l’acétate dans la pulpe l’ongle se limitant aux décollements tenaces)

Le Monde, mon cher Frank (appelez-moi Hadrien), est à l’extérieur. Or, nous sommes au centre ! Avec les fous et les criminels, les indésirables que notre bon vieux Pétain n’a pas réussi à foutre dehors ! Le monde leur eût appartenu ! Oh ! Quelle erreur de perspective ! Et nous n’en revenons pas. Ruminants que nous sommes !

(il mime la vache couchée dans l’herbe mais lui se contente de poser son lourd menton sur le sous-main de cuir taché d’encre et de jus tutti frutti

puis relevant cette tête onctueuse)

Savez-vous que je suis d’ici moi aussi ? Ma femme l’est ! Mais…

(grattant la joue molle)

…nous (ma femme et moi) nous souvenons à peine de votre grand-père… Comprenez : nous étions des enfants et lui un de ces résistants issus de la retirada… Nous ne fréquentions pas les couches sociales qui pourtant forment le lit de nos existences… Ces personnes si utiles au bien commun ! Je vous le dis, mon cher ami : nous avons été mal éduqués ! Et voilà ce qu’il en reste ! »

Pardonnez-moi d’abréger un peu ce discours… Il m’entretint ainsi une bonne partie de l’après-midi. Roger Russel devait déjà être informé de cette longueur. Et se poser les questions qui le turlupinent d’habitude. Je ne dînerai pas chez lui (ô Sally !) ce soir, mais il apprendra que ma soirée est consacrée à madame Fouinard et à sa cuisine, à moins que Fouinard ne m’enfourne !

« Vous savez que le docteur Russel, avec lequel vous entretenez des rapports pour le moins ambigus, s’intéresse de près, depuis des années ! au cas soulevé par cet indispensable Titien Labastos, alias Julien Magloire et je ne sais qui encore ! Il vous a peut-être confié quelque chose à ce sujet… Moi, il ne m’en touche pas un mot ! Alors que je suis en droit de savoir ce que mes collaborateurs complotent avec l’Université ! Je pense en effet que ce patient peut servir un sujet de thèse… Mais lequel… ? On reste discret sur le sujet ! Vous en savez sans doute plus que moi… Une thèse !

— Mon grand-père s’est vite réduit à un nom gravé dans la pierre dure du monument aux morts… Quant à mes parents, je n’en sais pas plus que vous… Mais je suis né sur cette terre ! Ce qui ne fait pas de moi un autochtone… je sais bien ! Je ne suis d’ailleurs pas « revenu » ! Non, non, docteur ! Vous n’expliquerez pas ma présence dans ces lieux par un retour à la terre natale dont je serais en train de composer le carnet sous la houlette du docteur Russel !

— Mais je n’ai rien dit de tel ! Il n’est pas d’ici ! S’il s’y trouve, c’est par mesure disciplinaire… Je n’ai pas eu le choix ! On ne me l’a pas laissé ! Qu’allez-vous imaginer… ? Ne sommes-nous pas assez malheureux comme ça ?

— Mais je ne le suis pas ! J’aime mon travail.

— Mais vous n’avez pas aimé le précédent… si je ne m’abuse…

— Je l’ai aimé, détrompez-vous ! J’ai aimé Paris ! Le Monde que vous vous reprochez de tenir à distance… Oui, oui ! Je viendrai dîner ce soir ! Je suis sûr que madame Fouinard…

— C’est moi qui le dis ! Mais vous en jugerez par vous-même… À ce soir, mon jeune ami ! »

M’a-t-il touché les fesses ? Je ne saurais le dire maintenant que vous en parlez… Au croisement du personnel administratif, j’ai senti que j’étais de trop. L’entrevue avait duré plus de deux heures ! On me le reprochait du regard, femmes entre deux âges pomponnées comme des putes qui camouflent leur odeur de crevette dans les fragrances les plus commerciales. Le département administratif est cloisonné de briques rouges. J’en sors réfractaire.

« Vous a-t-il piégé… ? me demande Roger Russel.

— S’il m’arrive un jour de reproduire cette longue conversation…

—…interminable vous voulez dire ! Nous étions tous dans l’attente… Après-midi improductive par votre seule faute, Frank ! Comment vous en êtes-vous sorti… ?

— J’avoue que je ne me souviens plus trop bien…

— Cette foutue patte-pelue de Fouinard ! Hum… Il paraît que vous dînez chez lui ce soir… ?

— Les murs n’ont pas que des oreilles…

— Ils parlent le même langage que vous ! Certes, la Fouinard, fonctionnaire au service de l’enseignement national, n’est pas dénuée de talent du côté de la cuisine… Vous apprécierez, j’en suis sûr… Mais attention au blanc ! Il est sec ! Et Fouinard est un as du goulot qu’il fait chanter avec la voix de ses victimes propitiatoires !

— De quel dieu est-il question cette fois… ?

(me rengorgeant)

Il croit que vous préparez une thèse… dans son dos… et ça le rend… fou ! Mais fou de quoi, Roger ? Vous seul le savez…

— Vvvvvv… Il finira par en savoir plus… Julien s’affaiblit ces temps-ci… Rien n’y fait… Nos méthodes sont trop anciennes… Et la pharmacopée trop récente… J’envie l’exactitude à laquelle d’autres scientifiques consacrent leur existence promise aux meilleures reconnaissances… Nous travaillons dans le vague, voire la confusion. Il faudra mettre ça dans notre roman…

— Mais je ne signerai pas, je vous l’ai dit avant de…

— …signer ! Toper, c’est signer ! En tout cas chez nous… Chez vous je ne sais pas… Vous êtes d’ici… Vous devriez savoir…

— Mon grand-père y est mort… et mon père n’a pas rrrrésisté à la tentation du retour à la patrie de l’anarchisme… laissant seule ma mère… qui était… d’ici…

— On n’en mettra rien dans le roman ! Rien non plus sur les origines tout aussi douteuses de Julien ! À moins que vous y teniez…

— Non… Mais j’en toucherai un mot aux Fouinard qui en savent long sur ce qui s’est passé… me concernant…

— Houlala ! Terrain miné ! Vous allez nous revenir dans un état mental déplorable ! N’est-ce pas, Julien ? »

Nous étions retournés à la rivière pour repérer les trous, mais sans y mettre la main. Voix basses des comploteurs en braconnage. Parlant d’autre chose que de leurs préoccupations communes. Les données techniques alimentent la joie de n’être pas un ignorant en la matière qui fait le sujet de la conversation. Julien jubilait, peut-être trop ostensiblement. Nous le savions dans la mire du docteur Fouinard qui le travaillait quotidiennement sans qu’on puisse s’opposer à ces sournoises investigations. Mais Fouinard cherchait une thèse où il n’y en avait pas. Il prétendait forcer les portes d’une Université qui était étrangère à notre entreprise. Comment ne pas s’en réjouir, doux enfants ?

« Ce serait plus simple avec mon Samsung… dit Roger.

— J’ai l’habitude de mon matériel… Atatxi s’en est servi avec l’efficacité qui a fait de lui un héros…

— Je vous arrête, Frank… N’est-il pas un héros parce qu’il en est mort… ?

— Je ne vais pas mourir. J’éprouve du plaisir… Tous les jours… Lucienne… Fouinard… Ce roman qui prend forme…

— Vous oubliez Sally et Alice, il me semble…

— Mais je n’ai jamais… Oh ! Qu’allez-vous imaginer, Roger !

— Ne sommes-nous pas en train d’écrire un roman ? Qu’en pensez-vous, Julien… ?

— Alice est un homme…

— C’est ce qu’on dit… Mais comment le savez-vous, vous… ?

— Ce sera dans le roman, docteur… Mais pour l’instant, je ne suis pas prêt. Laissons Frankie mener à bien sa mission. Vous imaginez… ? »

Recroquevillement du sujet. À même le sol. Il enfouissait sa tête entre ses cuisses. Souplesse de yogi. Pendant ce temps, des carpes zigzaguaient à fleur de l’eau, insouciantes et grotesques. « Comme nous sommes loin de tout ! avait braillé Fouinard dans sa salive à parfum de cassis acidulé. De ce Monde qui nous entoure, nous ne dirons jamais rien de pertinent ni surtout de vrai. Nous ne parlons que de nous. Mais pas par nombrilisme. Nous nous interrogeons et ce sont nos réponses qu’il s’agit maintenant d’examiner avec les outils scientifiques qui sont les nôtres, ceux-là même que le monde nous jette comme l’enfant nourrit les singes du zoo malgré ce qui est clairement exprimé sur le panneau. Vous le voyez, le panneau, Frank ? N’en dites rien à ma femme, surtout ! Sachez tenir votre langue quand vous n’êtes pas chez vous, nom de Dieu ! »

 

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