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Le calepin d'un fragmentiste - 1 - Castagnes et castagnettes
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 Article publié le 15 janvier 2023.

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Châtaigne : femelle du marron.
Gustave Flaubert

 

Tu prends un vaisseau… Une barque ? Un saladier, matelote ! Quelques moques de cette farine brune, du sel, du sucre en poussière, de la levure… C’est tout. Tes doigts chassent les grumeaux… Tu creuses un puits au mitan… Tu sacrifies cinq ou six cuillères à soupe de lait et d’huile… Tu ne mets pas d’œufs ? Et au moins trois œufs… Et tu fouettes les jaunes et les blancs. Pas de jaloux. Tu verses ton mortier dans un moule à cheminée badigeonné de beurre. Au four ! Ne te bourre pas de marrons, géline d’Inde ! C’est Noël, mais tout de même. Tu en fais quoi, des brisures ? De la crème pour les quatre heures. Dans l’industrie rien ne se perd, grandet. Comme quand on était pauvres ? Le cheval, l’âne, le porc, la famille… Tous à la même enseigne, à la même mangeoire. Le châtaignier, c’était notre arbre à pain, notre arbre à causette, notre arbre de la liberté, notre arbre… Ça gavait la misère, cette affaire. C’est Noël ! Les marrons… Te souviens-tu des marrons confits que nous fîmes, du temps des ancêtres ? Des marrons dans le cristal. Je t’en déguise quelques maines ? La semaine passée, j’ai troué une vieille poêle. Comme avant ? Crues, cuites… Sous la cendre ! Ça pète dans la fournaise. Tu les as fendues ? Arrosées ? On les tirera avec la patte du chat. Une piquette de derrière les fagots… La châtaigne, dit-on, est le fruit de la paresse. C’est vrai qu’elles tombent rôties ou râpées. Tu t’en souviens… Grillées, bouillies… Confiture ! Purée ! On en broyait de la châtaigne dans les chaumières. Des galettes ! Des crêpes ! Tu veux un beignet ? Ça craquait sous les croquenots, dans les champs, dans les rues, dans les réserves… J’en avais toujours dans les poches. Tout le monde en avait deux ou trois à portée de paluche. Les jeunes, les vieux, les hommes, les femmes, les riches, les pauvres… Les riches ? Ceux qui héritaient d’une solide demeure, d’un terrain… Les gros propriétaires. Toutes ces voix qui m’assaillent… On déquillait des bouteilles, des boîtes de conserve, des balles de son… Des colliers pour les filles. Les châtaigniers… En châtaignier, le lit ! En châtaignier, les meubles, les portes, les volets, les parquets… En châtaignier, les galoches, les ronds de serviettes… La bercelonnette, le cercueil. Chaud les marrons ! Chaud les marrons ! L’hiver… Va voir ailleurs, fiston. Le cinéma… La ville. Des boulets de charbon dans des cornets, dans les mitaines. Des baisers sur les gerçures.

 

Castanea ! Elle est morte en 1963, Carmen Amaya… J’avais seize ans. Qu’est-ce que tu racontes ? Elle est morte à Barcelone. En 13… Elle y était née, en 13, la fille du guitariste El Chino. Le gitan ? Bailaora, puis actrice… Barcelone, Paris, l’Univers. Des volutes, des ébauches, des croquis, des épures… Son corps, ses paumes, ses doigts, ses castagnettes… Sa voix ! Sa voix ? Sa voix… Son chant profond… La cadence, le rythme, les silences… Elle brode le canevas. "Carmen Amaya est le battement sur la vitre d’une fenêtre, le cri de l’hirondelle, une cigarette fumée par une femme à l’air rêveur, une tourmente d’applaudissements. Quand elle et les siens arrivent dans une nouvelle ville, ils font disparaître la laideur, la lenteur et la tristesse, comme un vol d’insectes, décore les feuilles des arbres. Depuis le ballet russe de Serge de Diaghilev, nous n’avions jamais vu représenter dans un théâtre cette rencontre avec l’amour." Tu dis ? C’est Jean Cocteau qui parle. Tous les témoignages sont poignants. Deux bouts de bois ou d’ivoire entre deux doigts s’entrechoquent… Tu entends ? Une castagne dans chaque main. Deux coquilles creusées reliées par un fin cordon. On dirait des coques ! Une paire de bogues. Séville, le pont Isabel II enjambe le Guadalquivir, le quartier Triana… Triana et ses réfugiés… Triana, le berceau du Flamenco ? Des grues, des marteaux-piqueurs, des engins voraces… Des gitans, des toreros, des musiciens sous les chantiers, dans les guides touristiques… Tu pêches tout ça dans le fleuve ? J’ai des potes dans la poterie. Tu te fais du mal… C’est partout pareil. Pareil ! Le flouze. Mon château en Espagne ! Lola ! Lola ! Ma tombe en Espagne. Ces voix… Ces Voix… Je rentre au pays. Les marrons ! Les châtaignes !

 

 

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