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III - serena
L’enquête de Frank Chercos - chapitre XXIII - 3

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 Article publié le 29 janvier 2023.

oOo

Le cadavre passa la nuit dans le hall du château, couvert d’un drap fourni par la maison. Anaïs était remontée dans sa chambre. Elle avait demandé au gendarme si elle était autorisée à exiger qu’on ne la dérangeât pas. Renseignement pris, elle pouvait dormir jusqu’à deux heures de l’après-midi, mais pas plus, parce qu’à cette heure-là il faudrait être « entendue ».

— Vous répèterez ce que vous venez de dire, dit le gendarme avec des courbettes appliquées.

— Si je m’en souviens…

— Oh ! Vous ne pouvez pas oublier…

— Ne croyez pas ça, mon ami !

Elle monta. Le comte la suivit des yeux, mais ne quitta pas son fauteuil. Il sirotait un verre apparemment brûlant. Le verre allait d’une main à l’autre, ce qui ne signifiait rien de bien particulier. Le proc avait permis à Frank Chercos de déambuler dans les limites du hall. Pourtant, il y avait des traces dans la bibliothèque qui était une petite pièce à peine éclairée exactement adjacente aux premières marches de l’escalier que la comtesse venait de gravir, tenant sa traîne dans un bras plié à l’équerre. Frank l’avait consolée avec des paroles d’usage, mais de quoi la consolait-il si elle n’entretenait aucun rapport sentimental avec l’extraterrestre ? se demanda le comte. Il voyait les jambes qui s’ouvraient sur une braguette aussi ordinaire que le tissu dont les coutures approximatives trahissaient un revenu fiscal proche de zéro. On ne connaissait aucune propriété à cet alien. Personne n’avait idée de ce qu’il possédait. Ses poches ne contenaient que des reçus bancaires dont les sommes atteignaient rarement le prix de la baguette additionnée d’un sachet de saucisses de Frankfort. Pas de vin sur les listes de détails. Et rien d’autre que des reçus dont certains dataient de plus de trois mois. Frank n’avait pas pu ou pas su en savoir plus sur ce contenu. L’extraterrestre ne portait pas de slip et son hygiène était tout à fait convenable. Par contre, le cou avait été littéralement écrasé, comme si on s’était servi d’un outil, mais quel outil imaginer sans les conclusions de l’autopsie ? Le fusil du comte, deux canons superposés, avait été déchargé et la cartouche avait rejoint le petit tas de pièces à conviction sur un guéridon de style préalablement privé de ses bibelots précolombiens. Des fleurs embaumaient l’atmosphère déjà légère qui avait remplacé le tragique climax des premiers moments. Ce n’était pas le comte qui avait découvert le corps, mais la comtesse. Et son cri avait mis en fuite un individu qui, une seconde avant, était penché sur le cadavre et le secouait sans ménagement et sans commentaires d’ailleurs. Ainsi extrait de sa rêverie opiacée, le comte avait saisi son arme, ou plutôt l’avait arrachée à son mur et, y insérant deux cartouches de chevrotine, il avait dévalé les escaliers en poussant un cri de guerre, mais il avait ensuite reconnu que ce n’était pas ce cri qui avait mis en fuite l’assassin, mais celui de la comtesse, qui l’avait précédé, chronologie que le gendarme tenta de tempérer tandis qu’il la rapportait au proc.

— Vous n’avez pas tiré la deuxième… ?

— Je… Je n’y ai pas pensé !

Voilà tout ce que Frank savait et exactement ce qu’il avait rapporté à Roger Russel entre deux verres d’anisette sous le regard de la vieille qui, n’en sachant pas plus, mais voyant plus loin que ce qu’elle savait, avait dosé les verres elle-même, des fois queue.

— Vous prendrez bien quelque chose… ? proposa le comte.

— Pas de refus, fit Frank en acceptant un verre franchement offert.

Il ignorait à ce moment-là qu’il en prendrait plusieurs autres, surdosés, avec maître Roger Russel qui avait entendu le coup de feu, témoin à ne pas négliger, avec sa vieille, bien que le comte eût reconnu n’en avoir tiré qu’un, ce qui avait éveillé les soupçons. Que sait Anaïs ?

— Vous devriez plutôt vous demander pourquoi je n’en sais rien ? fit le comte.

Il ne quittait plus son fauteuil depuis qu’il avait été entendu, alors que la comtesse l’était dans la bibliothèque. Frank en voyait la porte entrouverte, yeux noirs.

— Je ne suis pas autorisé à y entrer, dit-il.

— C’est une bibliothèque tout ce qu’il y a de.

— Là n’est sans doute pas la question. En sortait-elle quand vous avez descendu l’escalier, fusil pointé vers l’assassin déjà debout puisque le cri de la comtesse avait interrompu l’étranglement…

— L’extraterrestre était déjà mort.

— Cependant il continuait de. Et si la comtesse, sortant de la bibliothèque, n’avait pas crié, alors l’assassin aurait continué d’étrangler sa victime.

— Certes mais sans ce cri je n’eusse pas été moi-même arraché à ma…

— Qu’est-ce qui la retenait dans la bibliothèque… ? alors que l’extraterrestre était assassiné… en sortait-il lui-même ? Et l’assassin se trouvait-il là par hasard ou bien il était lui aussi dans la bibliothèque.

— Vous imaginez un conciliabule qui ne peut pas avoir eu lieu, mon ami !

— Allons donc ! Expliquez-moi ça, Fabrice…

(coupez. dansla chambre, avec Hélène)

— Tu étais trop saoul pour savoir à quel moment de la soirée Roger Russel t’a attiré comme la mouche le miel. Tu ne sais même plus s’il est apparu avant qu’on t’autorise à pénétrer sur la scène du crime ou pendant que tu lorgnais la porte de la bibliothèque dont l’entrée t’était interdite. Tu n’écriras rien de bon sur le sujet…

— Je n’écris pas ! Je ne suis pas celui que tu crois ! Je suis…

— Nous n’avons pas passé la soirée chez Anaïs, Rick ! Tu as dormi dans ce lit (elle lisse le drap) et j’ai regardé la télé. Ben Balada est sorti, si tu veux savoir…

— Il ne peut pas sortir ! Pas maintenant ! Oh mon D !

— Ce soi-disant docteur et son anéthol frelaté !

Il y avait un balcon. Et la nuit reposait sur les toits. Les cheminées ne fumaient pas. Elle avait tellement aimé ces « petits volcans » ! Et jamais n’en avait parlé à quelqu’un. Pas à lui en tout cas. Pourquoi évoquer ces moments de bonheur alors qu’on ne sait plus pourquoi on avait été heureuse à ce moment-là ? Il se frotta les joues avec le drap. Il suait comme si.

— Tu dis qu’il est sorti… Mais où est-il maintenant ?

— Comment veux-tu que je le sache ?

— Tu en as bu… ?

— Rien. Pas une goutte. Je déteste l’anis. Heureusement parce que sinon. Par contre toi.

— Et l’extraterrestre… ?

— Il est mort, dit-elle. L’extraterrestre est mort et Ben Balada est sorti. L’assassin est en fuite et on ne sait pas où est Ben Balada.

— Alors c’est lui !

— Qu’est-ce que tu vas imaginer ?

Il la rejoignit sur le balcon. Son esprit s’éclaircissait maintenant. Il avait eu du mal à s’extraire de cette espèce d’ombre qui lui était tombée dessus après le premier verre. Mais où l’avait-il pris, ce premier verre ? Avec elle, ici ? Ou chez Roger Russel ? Avec le comte qui s’inquiétait pour l’avenir de son fusil, une pétoire de valeur qu’il avait héritée de son interminable lignée servante des intérêts de la France ? Qui suis-je ? Je ne le sais pas, je ne l’ai jamais su et je ne le saurai sans doute jamais. Telle est la fonction de mon personnage dans cette histoire, si c’en est une. Qu’est-ce que je possède ô mon d je crois que seulement cette femme que je ne traite pas comme si elle m’aimait vraiment. Et puis enfin qu’est-ce que les autres pensent de moi si je suis seul ?

— Il faudra que j’en parle à Barman, dit-il après un hoquet douloureux.

— Lui parler de quoi… ?

— De l’anisette et de son docteur. Je crois que Roger Russel est devenu fou à cause de ça.

— Mais de quoi parles-tu, mon chou ?

— Je parle que je ferais mieux de me taire, té !

Il claqua la porte derrière lui. À cette heure, Barman est encore ouvert. Les dernières filles se saoulent. Il y en a toujours un qui pleure. Chapitre des effets de l’alcool sur l’esprit. On ne raconte plus rien. Et pourtant les autres veulent savoir. On vous attend même.

— On n’attendait que vous ! s’écria Roger Russel en recevant Frank Chercos dans ses bras.

Justement le docteur Vincent rentrait de vacances. L’analyse de son anisette n’avait rien donné de bizarre ni même d’inquiétant. Il en vidait un verre, justement. En compagnie d’une fille que Pedro Phile lui-même avait rapportée de Mongolie. Elle leur parla de la manière d’enfermer les criminels et les emmerdeurs dans son pays, mais c’était du temps de son grand-père et son papa était mort en Afghanistan. Elle n’avait plus de métier depuis qu’on ne se chauffait plus au charbon.

 

 

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