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III - serena
L’enquête de Frank Chercos - chapitre XXIII - 21

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 Article publié le 4 juin 2023.

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Mourir sans une fenêtre à portée du regard. C’était ce qui l’attendait, il le craignait en tout cas. Aux questions de l’homme en blanc, il répondit en technicien avisé. Rien sur Caliban. Mais l’odeur de poisson était tenace. Derrière les paravents, on haletait ou c’était des machines qui respiraient. Bruits de succion dans des vases. Les pas étaient feutrés. De blanches apparitions se tenaient à intervalle régulier au pied du lit. Aucune douleur. Il parcourut mentalement toute la surface de son corps, énuméra les articulations, fouilla les profondeurs de sa mémoire, pratiqua même le calcul mental, vieux souvenir de victoire momentanée, devant les fillettes émerveillées ou jalouses, selon qu’elles promettaient d’être belles ou ordinaires comme des paillassons. Point de contention, à part des fils ou tubes divers. Le goutte-à-goutte trahissait le temps, comme si l’existence en entretenait la régularité et la précision. L’heure du jour ou de la nuit n’apparaissait nulle part, il n’y avait pas de murs, c’était impossible qu’il n’y en eût pas au moins quatre. Chiffre qui lui rappela qu’ils étaient quatre et que l’un d’eux, s’il avait bien compris, avait ôté son masque pour respirer l’air frais de la campagne. Qui croirait à cette histoire, n d d ! Un extraterrestre, ça passe, mais quatre. Et même cinq avec celui qui avait été assassiné. Par qui ? Question qui s’imposa pour lui rappeler qu’il était en mission et qu’une fois de plus il avait failli. Mais il y a une énorme différence d’interprétation entre le fait d’avoir laissé ses fusils au comte et celui de pouvoir témoigner publiquement de la présence de quatre aliens clandestins, à quoi il fallait ajouter la complicité du docteur Vincent, une chose que personne n’accepterait d’avaler aussi facilement que la pisse de Johnny Halliday. Il était maintenant au cœur d’une affaire qui pouvait associer la procédure policière et la science-fiction. Quel roman il s’empêchait d’écrire ! L’AVC était un leurre, non pas qu’il le simulât, comme allait le penser le jaloux et hypocrite comte de Vermort, mais c’était le signe d’une imposture venue d’un autre domaine de la foi qui est au-dessus de la pensée. D’ailleurs, il égrenait les perles noires d’un chapelet en ce moment. Il en trouverait la fin, sans doute une petite croix de faux ivoire où le Crucifié avait des airs de mongolien. Mais ce n’étaient pas ses doigts qui égrenaient. Il ne les sentait plus. Il égrenait avec son esprit ou autre chose d’aussi inconcret. Remarquez bien qu’il ne pensa pas abstrait. Il en avait marre de la peinture et de tous ces faux signes d’un langage vicié par la conviction. Ce qui ne l’empêchait pas de croire. Il y avait quelque chose à débattre à ce propos : croyance & conviction. Une forme blanche se tenait en face, coupé au niveau du vagin par le pied du lit. Une forme sans visage, sans voix, qui revenait, tirait sur les fils, vissait, inversait puis remettait en place, verticalement ou horizontalement, selon l’heure qu’il était sans doute, mais il ne posa pas la question et il demeura longtemps sans savoir s’il était jour ou nuit, dehors, et d’où venait le vent. Il le sentait, le vent. Il venait du sud-est, comme l’autan, mais ce n’était pas l’autan. Il avait un goût de tramontane. Et des poussières de ventilation virevoltaient sous le plafond couleur et forme de nuage, sans oiseaux. Le plus angoissant c’était l’absence de douleur. On aime toujours mieux savoir d’où ça vient. Comme au combat dans les tranchées. Ma jambe ! Ma joue et mes dents ! Ma bite ! Mais rien de concret. Ça flottait comme un animal dans un musée aquatique. Et vous colliez votre nez sur la vitre pour en savoir plus sur la consistance de la peau ou sur le contenu de l’œil toujours secret dans les réfractions contradictoires. Ouais. Une petite pince n’importe où. Une introduction sous la peau et même plus loin, avec injection de venin comme la guêpe des repas d’été sous la tonnelle. On entendait les coups de fusils dans les champs aux abords des bois et des fourrés qui les clôturaient jusqu’au labyrinthe quand on n’a pas la taille d’un chien. Mottes de terre gelées après les labours. La blanche apparition revenait et consultait l’écran, doigt posé dessus avec commentaires sans la voix mais les lèvres en disaient long sur la gravité de la situation. Quelqu’un de moins blanc explora ses canaux auditifs, allez savoir pourquoi et à quelle heure, quel jour, l’année seule constituait un repère fiable, de même que son âge. Le docteur Vincent n’était pas seul. Comment le dire sans passer pour un con ? Jamais vu un pareil monstre aquatique, ni chez Lovecraft pendant les vacances à la mer où pourtant il avait éprouvé des peurs paniques dans les trous, à fleur des mollusques aux belles couleurs hallucinées. Il avait tout de suite pensé à Caliban, comme il aurait évoqué Bottom s’il avait eu affaire à une tête d’âne. Encore une impression à ne pas communiquer aux autorités médicales toujours enclines à trahir le secret professionnel dès qu’il s’agit d’enfance. Ne se confier à personne sauf au coquillage, lui avait dit sa grand-mère qui avait trouvé le coquillage dans le trou. C’était peut-être ce qu’il cherchait lui-même. Et elle avait plongé pour en ramener un. Il se souvenait de la première fois où il avait parlé dedans, en cachette sous la protection de sa grand-mère qui prenait un malin plaisir à contourner les règles comportementales familiales toujours en adéquation avec la loi sociale. Il avait parlé pour ne rien dire puisque le coquillage était inhabité et qu’aucun système de communication n’y était connecté. C’était complètement con de se comporter comme ça ! Mais il en avait ri avec sa grand-mère, sous la tente dressée avec d’autres en épi. On regardait les nageurs et on les enviait. Il aurait pu nager dans ces eaux, mais alors il aurait fallu y planter la tente et il aurait crawlé à l’intérieur, à l’abri du soleil qui, jusqu’à ses seize accomplis, était le pire de ses ennemis. Ça ne vous fait pas plaisir de le savoir ? Ça n’ajoute rien à votre connaissance du personnage ? Car c’est un personnage. Il l’a inventé à partir de souvenirs personnels et comme il avait eu une enfance ordinaire, sans amours ni défaites, il s’était inspiré à la fois de la littérature, la bonne comme la mauvaise, et des bruits qui couraient dans la famille et dans le voisinage. La forme blanche s’était assise au bord du lit, à la hauteur de la queue qui, si elle existait encore, ne s’exprimait pas, peut-être parce que le sexe de l’apparition blanche était impossible à déterminer et surtout parce qu’il ne voulait pas passer pour un pédé. Frank Chercos n’était pas un pédé. Il l’avait construit pour qu’il ne le soit pas, ce qui n’avait pas empêché les spéculations, vous savez comme sont les gens. La main écrivait. Pas la sienne. Elle prenait des notes, entre l’écran et les signes dont il était l’émetteur. L’écran fouillait son intérieur et les yeux de l’apparition blanche scrutaient sa peau, elle lui avait même tiré la langue (sa langue à lui) avec une pince qui ne produisit ni douleur ni sensation d’être pincé à cet endroit d’ordinaire si sensible. D’ailleurs la langue était restée dehors, pincée et tirée, et retenue dans cette position par un fil invisible ou une force du genre magnétique ou équivalent. C’était indolore, certes, mais si on lui demandait de parler, il se demanderait s’ils avaient prévu un système de télépathie au croisement d’un réseau qui en dirait long sur l’importance qu’ils accordaient à sa vie même. Puis l’apparition blanche se précisa un peu, sans abus de détails toutefois, et elle se leva et il constata à l’étroitesse des épaules et à la courbure des hanches que c’était une apparition et non pas un spectre, preuve qu’il avait eu raison de la qualifier d’apparition dès le début et non pas de spectre, ce qui eût prêté à confusion et on aurait encore bavassé à propos de son orientation sexuelle, pour rien puisqu’il était orienté dans le bon sens du terme. Il ânonna, semble-t-il. Les poissons, sauf les baleines qui ne sont pas des poissons, ne parlent pas.

 

 

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