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Communication et transmission
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 Article publié le 15 octobre 2023.

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Êtres isolés, communication, n’ont qu’une seule réalité. Il n’existe nulle part « d’êtres isolés » qui ne communiquent pas, ni de communication indépendante des points d’isolement. Que l’on prenne soin d’écarter deux concepts mal faits, résidus de croyances puériles, à ce prix le problème le plus mal noué sera tranché.

Georges Bataille, Tome VII, page 55

 

Communication n’a de sens que relativement à l’existence connexe de deux points isolés censés communiquer l’un avec l’autre, communiquer signifiant alors attester de l’existence une et indivisible, et par conséquent incommunicable, de l’autre dans l’un et de l’un dans l’autre.

Glissements et frottements, points de contact larges ou en pointillé. C’est tout l’enjeu de la traduction qui se manifeste là.

*

Assigné à résidence dans la langue par la langue même. On ne fait que passer d’une résidence à l’autre, lorsque l’on s’ingénie à traduire.

Le traductible met en évidence l’intraduisible. La facilité à traduire est toujours suspecte.

L’anglais désormais universellement employé - à une échelle bien plus grande que le latin limité à l’Empire romain puis le français limité au continent européen - est à la fois la langue des affaires et la langue des scientifiques.

Cette synthèse aléatoire et historiquement déterminée d’anglo-saxon et de franco-normand n’a été appelé à s’imposer mondialement que par le truchement de l’impérialisme britannique. D’aucuns y verront la manifestation d’une Providence divine qui a voulu mettre au premier rang des nations un petit peuple parlant une langue bâtarde de saxon et de français mais nous savons tous que « l’élection » implique des devoirs difficiles à assumer…

L’approche des phénomènes historico-culturels qui se sont déroulés dans des pays non-anglophones est difficile d’accès à ceux parmi les anglophones qui, par paresse intellectuelle et par fatuité, ne pratiquent que leur langue maternelle.

L’universalité - pas l’universalisme - de la langue anglaise est flatteuse pour celles et ceux qui aiment à penser qu’au moins de cette façon ils dominent le monde mais elle constitue un sérieux obstacle à la compréhension fine de l’histoire universelle. Les études historiques au Royaume-Uni marquent le pas de ce simple fait : trop peu d’étudiants britanniques et américains pratiquent les langues étrangères, l’accès aux sources étant ainsi rendu impossible à beaucoup.

Dont acte.

*

L’escargot prisonnier de sa coquille ne s’en déplace pas moins, sauf lorsqu’il s’y recroqueville.

Une fois à l’étranger, ma coquille linguistique ne m’est plus d’aucune utilité.

Il n’y a pas que les us et coutumes ni la culture d’un pays qui m’échappent, si je ne comprends pas la langue de ses habitants, mais aussi toute une ambiance linguistique véhiculées par les publicités, les séries et les émissions télé, les films, les blagues et les personnes qui peuplent sur tous les écrans tant l’actualité d’un pays que sa profondeur historique telle que l’une et l’autre sont vécues par une population donnée.

C’est tout ce fatras qu’aucune traduction ne peut rendre ; c’est particulièrement criant, lorsque l’on traduit un journaliste brillant qui maîtrise tous les codes linguistiques pratiqués au sein d’une même langue dans une ère linguistique donnée.

J’en veux pour preuve Chris Rose, prix Pulizer, et son beau livre One dead in attic qu’il consacra à La Nouvelle-Orléans de l’après Katrina (2005).

Pour pallier l’intraduisible, il nous fallut passer par un tout appareil de notes destinées à expliquer une foule de choses - personnages, us et coutumes, expressions, lieux, etc… - liées à la géographie et aux mœurs locales. (Finalement, le livre n’a pas trouvé preneur, l’agent de l’auteur ayant refusé que le livre de Chris Rose soit publié par une maison d’édition à la mauvaise réputation. Fin de l’histoire ! Une occasion ratée de sortir des clichés qui collent à la ville de La Nouvelle-Orléans, dommage !).

Le rapport traductible-intraduisible pose le problème du transmissible.

Rien ne vaut une connaissance approfondie de l’autre langue qui seule permet d’appréhender la façon dont les autochtones ont appréhendé un phénomène, par exemple le traumatisme induit par l’ouragan Katrina.

On rendra compte des faits dans la langue d’accueil mais jamais de la façon dont la langue de départ en a, elle, rendu compte. A cet intraduisible, irréductible au traductible, s’ajoute l’impossibilité de transmettre la charge émotionnelle-historique que recèle les mots et expressions, tournures de phrases et niveaux de langue choisis par l’auteur qu’il partage exclusivement avec ses collocuteurs dans la langue-source qui leur est commune.

Cet état de fait - Sachverhalt - devient vertigineux, lorsqu’il s’agit d’entreprendre la traduction d’un poème.

Un natif suffisamment cultivé pourra immédiatement « situer » le texte nouveau en fonction de ses connaissances ; il mesure aussitôt l’écart entre une certaine norme - un simple ensemble de possibles devenus usuels voire canoniques - et la singularité d’un texte qui se manifeste à son attention.

Cet écart est lui aussi intransmissible dans une autre langue qui ne dispose pas du même corpus textuel et linguistique implicitement nimbé d’une histoire (Geschichte) qui englobe d’une part la perception de faits historiques induite par la mise en mots (et donc en perspective) d’un certain nombre de récits orthodoxes et hétérodoxes produits au fil du temps et qui sont « en suspension » dans l’actualité et d’autre part des références constantes, en pointillé, à ces mêmes faits chargés d’histoire (Historie), histoire, qui plus est, véhiculée par des personnes connues des seuls locuteurs-sources dans une société donnée à un moment donné. La sphère privée, la sphère professionnelle et la noosphère engendrée par les médias et les réseaux sociaux s’entremêlent constamment vingt-quatre heures sur vingt-quatre sept jours sur sept.

Ce continuum noétique véhiculé par la langue, proprement intraduisible et intransmissible, je propose de l’appeler l’aura d’une langue.

C’est dans cette aura qu’un grand texte romanesque ou poétique s’insère, tout en s’en distinguant jusqu’à créer une nouvelle perception de l’ensemble de l’aura sans laquelle il n’aurait jamais vu le jour.

Ce qui nous amène à penser qu’une langue unique-universelle serait un grand malheur. Heureusement, il y a des langues, il n’y a même que cela.

 

Jean-Michel Guyot

6 octobre 2023

 

 

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