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 Article publié le 7 janvier 2024.

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Sans eau, pas de moulin à eau ; si l’inverse était vrai, ça se saurait.

Essayons tout de même pour voir : Sans moulin à eau, pas d’eau.

Non, décidément, ça ne colle pas.

Le réel se risque à diverses théories dans l’esprit de quelques humains mais se rappelle au bon sens de chacun pour éviter ce genre de billevesée.

Mais reprenons !

Sans eau, pas de moulin, assurément, mais il y a un hic : l’eau peut très bien se passer de moulins hydrauliques, couler et rouler sans fin en toute innocence, ce qui me fait dire que cet adage malicieux « Pas de moulin sans eau », comme on dit « Pas de fumée sans feu ! », est affaire humaine, trop humaine, et par conséquent ne concerne en rien le réel non-humain, en l’occurrence les eaux courantes, ce qui m’amène à songer que l’humain, bien qu’immergé dans un réel multiforme, s’en extrait quelque peu par son langage et sa pensée, la pensée impensée de son langage et le langage de ses prolifiques pensées, ce qui ne signifie pas, pour autant, qu’il soit possible d’affirmer en toute vérité que l’humain flotte entre réel et irréel : il occupe simplement une place à part dans le cosmos du fait de son langage.

Pas de moulin sans eaux est donc une sorte de vérité qui ne concerne en rien les eaux mais a tout à voir avec des préoccupations toutes humaines.

Mais il y a un hic : les eaux, bien réelles, sont tout entières prises dans les mailles du filet du langage humain : impossible de les aborder sans les nommer : elles existent bel et bien, peuvent être constatées visuellement, on peut s’y baigner, y puiser, et même les consacrer, et aussi, c’est plus rare, leur faire honneur en les chantant, bien que l’on préfère généralement les exploiter de diverses manières à des fins commerciales, industrielles, agricoles ou de loisirs.

Dans les mailles du filet du langage humain…

Autant dire que les eaux filent sans attendre en passant allègrement à travers ces mêmes mailles ! Le langage, toujours débordé, ne leur fait pas barrage, mais bien des outils de chantier !

Se dessine alors une double perspective : du bavardage au chant, le langage s’empare des eaux, sans s’en saisir, en fait un poème, un hymne, une chanson, un sujet de discussion (surtout lorsqu’il y a inondation !) ou bien les eaux deviennent objet de calculs mathématiques et d’analyses, chimie, biochimie et physique des fluides fournissant les bases théoriques et pratiques à une activité industrielle d’exploitation des eaux : barrages hydrauliques, refroidissement des réacteurs nucléaires, assainissement des eaux, etc…

L’abstraction n’est pas un leurre ; son efficience est clairement démontrée par les actions techniques que certains humains - les ingénieurs et leurs donneurs d’ordre ! - projettent sur le réel : langage verbal et langage mathématique rendent ainsi possible une maîtrise du réel relative aux besoins humains (de certains humains qui décident pour les autres, du moins…).

Et la poésie dans tout cela ?

Eh bien, elle assume pleinement sa dimension humaine, étant langage de bout en bout mais pas de bout en but, si l’on me permet ce jeu de mots, la fin visée étant clairement en contradiction avec les moyens mis en œuvre : la poésie veut révéler la chose même en faisant du langage une quasi-chose, un objet sonore essentiellement rythmique qui peut être visualisé par l’écrit qui en est l’image virtuelle actualisable à tout instant par une lecture à haute voix ou une lecture silencieuse, mais on le lit bien un poème qu’avec ses oreilles ! 

Faut-il voir dans cette manière de faire une régression, la poésie comme « parti pris des choses » refusant en quelque sorte la mainmise du langage sur le réel à des fins de maîtrise et d’exploitation technique, tout en assumant pleinement sa nature verbale exacerbée ?

C’est plus compliqué qu’il n’y paraît à première vue : nous savons, au moins depuis Hegel, que le mot fait disparaître la chose, se substitue à elle mais en devenant, en poésie du moins, chose à son tour, mais intangible, impalpable, pur négatif du réel incréé.

Noli me tangere !

Je puis me bercer d’illusion, me prendre pour le père (ou la mère) de toutes choses par la magie du Verbe créateur, mais en vain : le monde que je projette verbalement n’a d’existence qu’imaginaire. Or, c’est cet imaginaire que nous aimons haïr sans qu’il soit jamais possible de pleinement le haïr de l’aimer. Bataille a écrit des choses essentielles à ce propos…

Discours et harangues, manifestes, tracts et slogans, paroles d’engagement politique qui peuvent mener au pire ! Dimension conative (merci Jacobson !) du langage que la poésie entend ne pas servir et qu’elle retourne comme un gant : elle est tout entière conative dans sa promotion de l’imaginaire dans lequel seul il est possible de puiser des raisons d’agir en toute justice et sérénité !

Politique et guerre, technique et industrie continuent leur petit bonhomme de chemin dévastateur, la dernière mode étant de croire collectivement à une transition écologique enfin respectueuse des humains et de la planète, toutes choses qui s’apprécieront dans le temps à l’épreuve des faits, l’enfer étant, comme on sait, pavés de bonnes intentions.

 

Jean-Michel Guyot

13 décembre 2023

 

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