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 Article publié le 14 janvier 2024.

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Je suis, je suis qui je fuis.

Je suis le gnome élargi, la sphère de tes attentes, la canne à pêche fébrile qui frétille à la moindre touche et la truite rectiligne qui passe en filant, en se moquant bien de ta sphère immonde, de ta canne à pêche ridicule et de ton gnome croquignolesque.

Je suis le serpent-monde dont la queue sort par la bouche, l’axe indécis de tes élans, la plaine boueuse et ses marigots putrides mais aussi les hautes montagnes enneigées qui narguent le ciel gris.

Je suis la lance et la flèche, la plaie béante de ton sourire jovial, la herse de tes dents, la poudre d’escampette de tes lâchetés.

Tout ça, oui, vraiment, et plus encore que je ne peux dire.

Soleils rivaux, phares des mondes hallucinés ou bien réels, mais toujours dispersés-disséminés, côtes découpées, anses et baies placides ou accores rocheux, qu’importe dans le fond !

Flambeaux ou lucioles, tes mots dans la nuit qui tinte ? Entends-tu le bois qui craque sous le gel ? L’entends-tu, toi, le tard venu dans un monde glacial qui se réchauffe ?

Les écrivains sont d’aimables hérissons qui se jaugent.

Leur amitié, lorsqu’elle existe, et elle existe parfois, et très fortement, je dirais même qu’elle rayonne et chauffe les pièces mentales de leur foyer respectif, ne se mesure pas à la quantité de compliments qu’ils s’envoient à la figure en des joutes verbales d’aimable tradition.

C’est une chaleur animale, une vigueur d’animal nocturne, une lenteur de hérisson en chasse qui gobent limaces et escargots, lesquels prospèrent gentiment dans les plaines herbues de leur imagination de hérisson. Car enfin, vous en connaissez beaucoup, vous, des gens capables de produire leur propre nourriture à partir de leur propre chair, et ce, sans jamais se départir de leur bonne humeur native ?

Tiens, je te prête un bras, tiens, je t’offre ma cuisse !

Remarquez comme le cul, pour arriver à ses fins, se perd en d’infinis calculs ; autant de tortueux raccourcis qui prolongent le désir d’en finir.

En matière d’amour, et de manière aussi, il est nécessaire de toujours remettre les pendules à l’heure, faute de pouvoir remettre les compteurs à zéro.

Les souvenirs pèsent plus lourd, vie faite, que les élans d’outre-tombe que l’on se plaît à imaginer face au ciel d’été. Souvenirs-béquilles que les imbéciles ne peuvent nous envier, faute d’imagination et de générosité.

Vibrants fantasmes, et chair triste et pantelante que le charme des mots menteurs revigore.

On se raconte des histoires, et c’est sans fin, jusqu’à la fin.

Au petit matin blême, jardin sous une neige fine et poudreuse, noble farine d’ancien temps sur la campagne emperruquée, appelle à la rescousse la perruche bleutée d’un ciel qui s’est absenté.

Tout est gris ici, de toute éternité, à ce qu’il semble, mais qui suis-je pour en juger ?

Le blanc-seing de ton corps signe mon arrêt de mort par arrêt du cœur.

Enfants, nous gambadions par les prés humides le long des berges de L’Ognon, les traitresses, et joyeux saluts lancés aux pécheurs embarqués, modèles de patience rusée ! Les plages de gravier étaient rares, les saules et les aulnes nombreux. Rivière réputée dangereuses à cause des ses fonds mouvants, les « trous », disait-on, mais sablonneuse et à cause de cela dévastée par des sablières fort rentables. Combien de fortunes se sont-faites sur le dos de cette belle rivière méandreuses qui dévalent des Vosges haut-saônoises ? Moncey dévasté, ses iles plantés de hauts saules, ses vasques qui emprisonnaient brochetons et carpes, ses petites plages de sable fin, son magnifique barrage moussu, plus qu’un souvenir.

Nous voilà à présent couchés dans un lit moelleux réfugiés dans une chambre douillette ; le petit poêle de faïence bleue ronronne.

Qu’attends-tu pour me faire du charme, amour ? Je t’ai perdu de vue depuis si longtemps.

Ainsi parlait le vent gourmand perdu dans les grandes plaines de rêves éperdus.

Sa bouche immense absorbait chaque seconde de lumière intense, sa gorge déployée en tous lieux chantait la complainte des gens heureux, elle disait nos folles nuits, nos espérances de quatre sous, et l’empire qui s’avance, falaises abruptes à l’abord desquelles nos fines embarcations couraient tout droit à leur perte. Géographie bousculée dans des rêves médusés.

Vent de nord-est promet belle traversée.

Je te donne l’occasion d’extraire le coutelas que la vie a plantée dans mon corps ; les cicatrices d’anciennes blessures disparaîtront au moment même où tu le retireras de ma chair.

 

Pensée de longue haleine ; partir de très loin, entraîner le lecteur dans un marathon logique dont il ne voit pas le bout au risque qu’il s’essouffle : œuvre d’écriture-pensée qui se découvre des raisons d’être au long cours durant sa pérégrination ou bien solide réflexion qui choisit d’exposer ses conclusions en les distillant pour ainsi dire au compte-goutte ?

 

Le monde sans moi était à la fête. J’y consentais joyeusement. Le monde sans moi m’était une fête.

 

D’où te vient cette mise à distance de toute chose, ami ? des hommes et des femmes, mes semblables, tu sais bien. Il n’y a que les roches nues ou moussues, les torrents et les forêts pour ma faire oublier quelque peu la face humaine qui me poursuit.

 

Ni au centre d’une célébration - quelle horreur ! - ni même humble pêcheur participant anonymement à une cérémonie religieuse.

 

Asymétrique présence.

 

Je ne suis rien que moi. Et je défends ma peau. Rien d’autre ne m’importe en ce monde.

 

Ida avait les seins lourds d’une femme heureuse. Allaiteuse au néant abouchée. Son lait gris envahissait les cieux.

Les cieux sont pour toi, amie des dieux.

Moi, je me contente du ciel gris ou bleu. Et la Terre n’est pas même une promesse pour moi mais une réalité tangible, complexe et dangereuse.

 

Ma petite personne s’en va migrant d’une idée à l’autre. J’ignore les trop rudes et faciles frontières. Je plane au-dessus des eaux et jamais ne m’attarde.

 

Le tonnerre grondait, rôdait tout proche, roulait par vagues sonores jusque dans mon lit d’enfant. Je n’entendais plus que lui. Thor était son nom. Le petit poêle de faïence bleu ronronnait à quelques pas de là. Il faisait chaud en ce temps-là dans la grande maison au vaste jardin.

 

Arrivé dans une église, grande ou petite, délabrée ou refaite à neuf, richement décorée ou très pauvre, je n’y ressens que le vide. La solennité des lieux sacrés tente en vain de m’en imposer.

 

Il suffit que je caresse l’écorce d’un chêne ou d’un hêtre pour me sentir revivre.

 

Quand la vulve en mandorle avalera-t-elle une bonne fois pour tous les crucifix ?

Les hommes se cherchent une Mère, ne trouvent sur leur chemin que des pères de substitution.

 

C’est dans les moments historiques les plus difficiles que le style est plus que jamais nécessaire ; indispensable à une pensée digne de ce nom, lui seul permet une certaine hauteur de vue voire une hauteur de vue certaine.

Dans l’espace domestique, nul style ; le quotidien, riche ou pauvre, voyageur ou statique, selon que les personnes en jeu sont assignées ou non à résidence - en fonction de leurs revenus et de leur niveau d’instruction et d’éducation, les deux pouvant d’ailleurs se percuter, un haut niveau d’éducation et d’instruction ne garantissant en rien contre la pauvreté… - fige les personnes dans des attitudes et des comportements stéréotypés.

Il faut y échapper tant dans sa vie personnelle que dans ses écrits.

Certains auteurs désormais célèbres ont été de parfaits salopards dans la vie et de brillants écrivains.

Il est juste que ceux qui se laissent aller à professer des opinions antisémites meurtrières soient eux-mêmes menacés dans leur vie.

J’aurai toujours fermement voulu que ma vie, toute ma vie, fût à la hauteur de mes textes, ce qui implique, à contrario, de ne jamais m’abaisser - tout moi, ce qui inclue mes textes - à des considérations où la banalité le dispute à l’orgueil mal placé, la rancœur et le ressentiment.

Tout en identifiant clairement mes honorables adversaires et mes ennemis déclarés ou sournois.

La frontière est étroite entre une vie droite mais médiocre et le brillant d’une situation acquise à la force du poignet. Sur ce chemin de crête, toujours regarder en avant, ne jamais sa satisfaire béatement de ce qui a été accompli jusqu’ici.

Fuir les compliments est une règle de bon sens. Remercier est de rigueur.

En littérature, il n’y a pas de rente de situation qui vaille. On ne participe pas non plus à un match de boxe, on ne remet pas son « titre » en jeu à chaque nouvelle publication.

Il n’y a ni match ni titre ni sport de combat en la matière mais un combat invisible avec ce qui peine à se dire au sein d’une conscience qui veut ignorer les facilités de la médiocrité béate.

Cela peut certes engendre une certaine raideur mais largement compensée par la souplesse du Dire et la finesse d’esprit qui trouve à se jouer des lourdeurs que nous impose la vie en société.

Tout entier, je ne tiens que par une série renouvelée de décisions vitales qui toutes s’appuient sur de fermes principes avec lesquels je ne transigerai jamais.

Les sportifs m’ont toujours fait pitié : plus ils avancent en âge, plus ils déclinent, alors que, tout au contraire, les artistes les plus exigeants arrivés dans la force de l’âge puis vieillissants sont au sommet de leur art.

J’ai dit cela un jour à une collègue ; elle est restée sceptique, sans me contredire pour autant. De manière générale, tout au long de mon existence, ma parole n’a jamais rencontré un écho favorable.

Quelques « météores », d’emblée, font mentir cette tendance : morts jeunes, ayant d’emblée atteint une maturité étonnante, ils n’en restent pas moins des figures avortées dont on ne saura jamais ce que leurs œuvres auraient donné à un âge plus avancé.

L’image de la comète, depuis Hölderlin, est associée à l’enfance. Se trouvent-ils encore des esprits pour voir en elle un mauvais présage ?

L’enfance retrouvée, dans la force de l’âge.

 

Jean-Michel Guyot

11 janvier 2024

 

 

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