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Inventaire des pertes (feuilleton)
Introduction

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 Article publié le 21 janvier 2024.

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Ce volume a vocation à consigner et décrire, autant que faire se peut, la série indéfinie des textes que j’ai écrits, qui ont existé et n’existent plus, soit parce qu’ils ont été détruits, soit parce qu’ils ont été perdus ou distribués et ne me sont plus, aujourd’hui, accessibles.

 

J’ai hésité, en entreprenant cet inventaire, à l’élargir aux autres formes de non-existence de textes : les projets à peine ébauchés, juste rêvés, restés à l’état d’idée tel l’essai La série à l’index, étude détaillée de la présence et de l’absence du mot « série » dans l’index d’ouvrages scientifiques (principalement du domaine des sciences humaines) dont je me suis formulé le projet à l’automne 1999 ou encore le récit d’Octave, musicien que son art absorbe si complètement qu’il lui cède l’exercice de sa raison, esquissé en janvier 1991 puis, repris une décennie plus tard, en septembre 2001, sans qu’il en ait jamais découlé une narration même incomplète.

 

La question pouvait se poser également pour ce qu’on peut appeler les textes fictifs, assez nombreux dans Le sens des réalités, à commencer par L’anarchie molle. Il en est d’autres : Précepte des âmes désengagées ; De la dictature par ondes hertziennes ; Views from a world to another one...

 

Dans ce deuxième cas de figure néanmoins la procédure à engager serait toute autre. Établir la bibliographie du Sens des réalités ne pourrait aboutir qu’à un développement interne au roman puisqu’il s’agirait alors de détailler le contenu ou les particularités bibliographiques d’ouvrages évoqués dans ses pages mais qui n’ont jamais eux-mêmes fait l’objet de la moindre préfiguration, si ce n’est dans la matière même de la fiction. Nous laissons ce chantier pour un moment qui aura ou non à se réaliser.

 

Le premier cas de figure est plus ambigu car la demi-existence des textes concernés partage bien des points communs avec celle des textes détruits ou perdus. Il s’agit bien de projets qui se sont, au moins mentalement et souvent par écrit, formulés. Il n’y a pas grande différence entre la remémoration des circonstances et du cheminement d’un texte qui a existé et dont on a le souvenir plus ou moins précis et celle de la formulation intime, faite pour soi d’une idée de texte qui nous serait venue à un moment sans trouver de concrétisation autre qu’une ou quelques lignes dans un cahier.

 

La parenté du travail de remémoration qu’impliquent d’un côté la collecte de titres correspondant à des productions réelles et abolies et de l’autre la consignation de textes restés à l’état de projet pencherait donc en faveur d’un traitement unifié. Pourtant, il est à craindre qu’il y ait peu à gagner à cet élargissement.

 

L’existence de ces projets restés à l’état de projet est complète, en effet, malgré le laconisme des sources. Il n’y a pas de perte dans l’existence avortée de La série à l’index. Il y a même peut-être du sens à l’abandon ou du moins à la non-confirmation du chantier qui se profilait. Tenter de penser ce qu’auraient dû être ces textes, ce n’est déjà plus s’efforcer de retracer ce qu’ils ont effectivement été ou même les conditions dans lesquelles ils sont, même pour un temps éphémère, advenus. Il s’agit donc d’une démarche finalement plus proche de l’idée (non engagée à ce jour) d’une « bibliographie du Sens des réalités » que de cette phase particulière de l’inventaire dédié à l’enregistrement de ce qui n’existe pas ou plus.

 

Je ne sais d’ailleurs à quelles marges se bornerait la recherche de projets de textes dans des textes existants. Les cas d’Octave et de La série à l’index sont saillants, peu développés mais postés à des points stratégiques. Leur non-réalisation est quasi synonyme, dans les deux cas, de changements importants dans mon appréhension de l’écriture ou dans ses conditions de production. Si je m’essayais en revanche à inventorier les amorces du même type, j’obtiendrais d’un côté des réalisations déjà consignées dans l’Inventaire des cahiers, manuscrits et tapuscrits qui compte précisément nombre de fragments qualifiés d’amorce, d’ébauche,d’esquisse ou d’incipit et de l’autre des fantômes de livres, des fantasmes de récits, sans qu’il soit forcément évident de garantir qu’une évocation donnée se réfère à un projet avéré, un désir saillant ou une idée de circonstance nullement destinée à connaître des développements effectifs.

 

Que faire, en outre, de ces réalités translucides que sont des projets non formulés comme tels mais qui, de toute évidence, frappent à la porte, s’immisçant dans les angles de tel ou tel autre texte, parfois avec insistance comme cette attaque : « Le crime que j’ai sur la conscience... » qui devait en effet initier un récit mais dont le projet n’a jamais, dans les faits, été plus loin que ce bref incipit.

 

Il m’a donc paru préférable d’extraire de l’inventaire la seule série de textes détruits ou perdus, peut-être donnés... qui ont en commun la réalité concrète de leur existence. Cette limitation garantit principalement le rattachement du présent volume à la grande série rétrospective initiée avec le Catalogue du sériographe et qui se poursuit dans le cadre d’un Inventaire général sériel dont on ne voit pas bien les limites, il est vrai.

 

Il reste une « sous-série » qui a été écartée du présent volume : celle des pertes autres que textuelles. Les enregistrements de chansons des années 1989-1990, dont il ne me reste qu’une chanson et quelques exercices improvisés à la basse ; la série des chansons improvisées autour de « The house » en 1994 ou 1995 dont je n’ai plus la cassette complète mais seulement quelques séquences ; ou encore la majeure partie des enregistrements en prise directe basse électrique / voix effectués en 2012. Mais la matière textuelle est d’une autre nature que la production musicale même chantée. Et que pourrais-je dire des peintures ? Dans ce domaine, la description rétrospective serait pour le moins hasardeuse. La remémoration s’appuie, c’est son fil d’Ariane en quelque sorte, sur le matériau verbal.

 

Le caractère restrictif de la présente série trouve peut-être son fondement dans l’idée que l’univers scriptural est un continuum niché dans le cerveau que l’on s’essaie à défricher, comme si l’on pouvait cartographier un univers en expansion. Je n’en suis pas plus sûr que cela. Je veux me concentrer sur l’absence du texte, dans le texte, de texte, etc.

 

Je n’exclus pas en revanche qu’il y ait d’autres formes de non-existence qui puissent se rattacher à la présente série. Toute la difficulté d’une entreprise de cette nature, c’est qu’il est impossible de se représenter les termes de l’étape suivante alors qu’on sait intimement qu’elle est susceptible de remettre en question tout ce qui a été « gagné » jusque là. Car ce qui détermine la progression de ce chantier comme une force agissante, ce n’est pas le stock qui est, on le sait, inerte. C’est l’absence.

 

 

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