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Sans parti pli (pochade)
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 Article publié le 18 février 2024.

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Sans parti pli (pochade)

Lorsque le Père-il rencontra le Père-plexité, il se fit un grand silence.

L’androgynie du Père-plexité ne laissait de mettre mal à l’aise sa communauté de foi basée sur un engagement sans failles, un dévouement à haute valeur ajoutée aux yeux du Seigneur qui tarderait le plus longtemps possible à récompenser généreusement ses ouailles gouailleuses, tant elles étaient d’un bon rapport qualité-prix sur le marché de la bienséance. En religion, il n’y a pas de petits profits ; tout se prend et se revend à prix d’or pour la plus grande gloire de notre Seigneur. Et les Maîtres, en veux-tu, en voilà, n’étaient pas en reste dans ce domaine fort délicat qui exige une poigne de fer, une conviction inébranlable et un très solide sens des affaires.

Après mûre réflexion, enfin, autant que faire se pouvait au sein de cette secte de laborieux, il fut décidé à l’unanimité, avec l’accord du premier concerné, de procéder à une délicate opération, laquelle opération devait ensuite être suivie d’un très complexe traitement hormonal, assez lourd, il faut bien le reconnaître, et censé conférer forme et contours définitifs à ce corps nouveau en devenir. Corps de gloire, cela va sans dire, à l’image de notre Seigneur dieu tout-puissant. On fondait de grands espoirs dans cette sorte nouvelle de résurrection qui tenait de la métamorphose, laquelle semblait être l’avenir de l’humanité tout entière. Il s’agirait à l’avenir d’engendre des surcroyantscapables de déplacer des montagnes avec le petit doigt. On cogitait et on s’agitait beaucoup dans le landerneau transhumaniste de la secte, assez en tous cas pour éveiller les soupçons de diverses autorités occultes jalouses de leurs prérogatives en matière de saloperies diverses et variées. Les Francs-Maçons étaient sur les dents. On fit provision de limes et de cure-dents en prévision du grand soir qui verrait leur disparition souhaitée par tout le monde.

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Les lecteurs impénitents furent tous convoqués sans exception dans la chambre haute dont on fit arracher les tentures, parce que ça allait saigner. Ils se devaient d’assister à ladite opération à sexe ouvert, afin qu’il ne soit pas écrit plus tard, par quelques cacographes en mal de publication, que ce grand escogryphe de Père-pléxité était bel et bien devenu Mère-pléxité, conformément à son vœu le plus cher formulé par sa communauté de foi.

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Avant l’opération, on procéda à la lecture publique d’un écrit considéré comme sacré et canonique par cette communauté de foi pour laquelle la lecture était l’alpha et l’oméga d’une relation à dieu, à cette nuance près que le texte qui se déroulait sous les yeux bleuis des lecteurs impénitents jaillissait en lettres de feu de leur bouche, allaient dare-dare s’imprimant sur un papier de grande qualité appelé washi importé du Japon à prix d’or. Ah quel gâchis, je vous jure !

Le texte en question ne laissait d’interroger les consciences étrangères à la teneur de son propos. Ecrit sinon par une personne lettrée du moins par un universitaire bon teint diplômé de l’Université et Enseignant-Chercheur, le texte s’articulait autour de la dichotomie lecteurs diplômés versus non-diplômés, dont l’Universitaire faisait partie (tout en s’arrogeant une position de surplomb fort commode.) Il donnait l’impression que les lecteurs diplômés étaient des prédateurs : « ils s’emparent des bibliothèques et des librairies », « ils s’approprient le dispositif des boîtes à livres ».

La dernière formule du texte relevait du galimatias universitaire : enrobage complexe d’un fait dérangeant : les non-diplômés lisent peu ou ne lisent pas, parce qu’ils éprouvent de grosses difficultés de lecture. La disparition de « l’Education Populaire » censée pallier les carences de l’enseignement dispensé par « l’Education Nationale » laissait un grand vide dans les cœurs avides de savoir. Le bon sens étant la chose du monde la mieux partagée, selon la célèbre formule inaugurale de René Descartes, on pouvait légitimement estimer que les meilleurs de générations entières avaient été et étaient encore de nos jours sacrifiées sur l’autel de la reproduction sociale des élites, on pouvait subséquemment déplorer ce fait et appeler à un sursaut national, mais nous savons tous que les cartes ne sont rebattues, que de nouvelles élites ne se créent qu’à la faveur d’une catastrophe majeure qu’est une bonne grosse guerre suivie d’une réorganisation des forces vives d’une nation en armes qui s’est pour ainsi dire purgée de ses éléments parasitaires à la faveur d’un grand chambardement meurtrier. Les élites, toujours les élites, on n’en sortira donc jamais ? Affirmer la nécessité d’une élite distincte de la grande masse n’est-ce pas avouer implicitement que tout le monde n’a pas les capacités intellectuelles et les ambitions qui en découlent, aveu impossible à affirmer haut et fort en raison du culte de l’égalité antiaristocratique apparu aux Amériques d’abord et si bien décrit par Alexis de Tocqueville ?

Sans entrer dans une discussion laborieuse sur les causes de ce qu’il faut bien appeler une carence, comme on parle de carence alimentaire, force est de constater que le cœur de notre docte interprêtre des faits penchait en faveur des pauvres non-diplômés. Fallait-il y voir de sa part une revanche de classe ? notre universitaire était-il issu d’un milieu modeste ? son attitude se voulait-elle, inconsciemment s’entend, un écho de la formule de notre Seigneur disant que les derniers seraient les premiers le jour du Jugement Dernier, donnant ainsi une prime aux pauvres d’esprit ? Mais que serait une volonté inconsciente d’elle-même, si ce n’est un sourd et lourd déterminisme qui faisait peine à entendre ?

La communauté de foi de Mère-plexité accordait beaucoup d’importance aux écrits sociologiques, en ce qu’ils étaient tous empreints d’une très forte empathie à l’égard des faibles rebaptisés minorités. On en trouvait de toutes les couleurs et de toutes les tendances politiques.

Une traduction des écrits sociologiques en termes chrétiens était chose si aisée que tous les fidèles la pratiquaient mentalement sans effort particulier. La haine de toute forme d’aristocratie était si solidement ancrée dans les cœurs des fidèles que toute mémoire historique leur faisait défaut : ils oubliaient, voulaient oublier que la noblesse franque avait soutenu l’Eglise encore peu ferme sur ses assises au cinquième siècle, que la France avait gagné le titre de fille ainée de l’Eglise, etc…, etc… Mais, d’ecclésia en ecclésiolas diverses et variées, il n’y a qu’une pas. Le sectarisme allait bon train ; le terreau était favorable, les faibles d’esprit étant légion.

Tous les fidèles sans exception furent donc invités à venir cracher le feu de ce texte que tous et toutes connaissaient par cœur depuis qu’il leur avait été révélé. Je ne résiste pas au plaisir de vous en révéler la teneur. Le voici donc :

Plus des trois quarts des utilisateurs des boîtes à livre ont fréquenté au moins un établissement d’enseignement supérieur, soit plus de deux fois la proportion observable dans la population française. Comme ils s’emparent aussi davantage des bibliothèques et des librairies, les plus diplômés s’approprient aussi davantage ce dispositif. Plus familiers du livre, ils sont plus à l’aise dans la manipulation, la compréhension, la différenciation de cet objet que les moins diplômés qui, au contraire, peuvent avoir conservé des traces d’une relation difficile à la lecture dans le cadre de leur scolarité.

Claude Poissenot, enseignant-chercheur à l’IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de recherches sur les médiations (CREM), Université de Lorraine.

C’est une pie voleuse qui, un beau matin, l’avait déposé sur le parvis du Temple et c’est une enfant haute comme trois pommes qui savait déjà lire et écrire qui eut la primeur de sa lecture. La missive était écrite en caractère Times New Roman, un des plus courants, sur papier vergé. Les caractères choisis étaient déjà en soi un signe divin.

Enthousiaste, elle tambourina à la grande porte en bois sculptée du Temple et demanda à genoux à voir aussitôt le Grand Prêtre. C’était un grand sec vêtu d’une sorte de toge écarlate ; sa tête était surmontée de trois plumes bleu électrique. Ses sandales avaient la particularité de tintinnabuler à chacun de ses pas, sans qu’aucune clochette ne fût jamais visible. Cela tenait à coup sûr du miracle. On n’en demandait pas plus. La fillette fut introduite auprès du Grand Prêtre usé par des années de jeûne. Ses yeux d’ascète brillaient comme ceux d’un opiomane en fin de vie. La cachexie guettait son heure. Nullement effrayée, la fillette se fit un devoir de lire à haute et intelligible voix la missive apportée par la pie voleuse. A peine avait-elle commencé sa lecture que le Grand Prêtre fondait en larmes, battant sa poitrine. Ses mains, larges comme des battoirs, faisaient résonner la cage thoracique du grand sec bientôt pris de convulsions. Cela ne fit ni une ni deux : il fut pris d’une violente crise d’épilepsie qui lui fut fatale. A la fin de sa lecture, il se passa quelque chose de vraiment étrange : la fillette s’était transformée en un papillon aux ailes bleu électrique d’une taille fort respectable.

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Le classicisme s’en était allé ; au beau style capable à lui seul de sublimer les malaises inhérents à une société pleine d’artifices, vaine et vouée à terme à la disparition, on préférait désormais les désordres de la Foi tous azimuts, « les remugles accordéoneux » de cantates improvisées dans la chaleur épaisse des auberges espagnoles qui faisaient florès. Ça sentait les frites, la bière et la saucisse, tout le monde était content. Chacun y allait de son pavement nouveau ; les parvis des Temples enflaient sans cesse sous les couches répétées de sable et de pavés luisants.

La prose faisait de plus en plus peur à qui s’en approchait par la parole. Les doigts sectionnés des écrivains de cette triste époque flirtaient avec l’indicible douleur de l’amputé du cœur qui se souvenait des jours heureux durant lesquels ses mains ne tremblaient jamais, lorsqu’il fallait donner la mort.

C’est ainsi qu’à l’instar du baiser de Rodin le texte apporté par la pie voleuse fut sacralisé.

Dans le même temps long d’une quête de l’indicible fraîcheur, l’on vit le grand papillon bleu se métamorphoser à rebours. Devenu diaphane chrysalide pour un temps certain ; on se dispute encore de nos jours sur la durée exacte, tant les uns, croyants impénitents, ne voulaient pas entendre parler de durée mais d’éternité, tandis que la masse compacte des incrédules dont faisait partie votre serviteur, ne jurait que par le jour où la chrysalide éclata en une masse verdâtre et sans doute gluante qui se recomposa, sous les yeux d’une foule compacte de fidèles ébahis, en une adorable chenille verte et velue au derme constellé de petites tâches en forme de points rouges qui clignotaient alternativement, donnant l’impression d’une moderne guirlande de Noël.

On déposa solennellement la chenille sur le grand chêne sis au centre de la Grand Place du Marché aux Croyances dans l’espoir de l’y voir prospérer. Que pouvait-on au juste en attendre ? L’espérance qui travaille au corps tous les croyants de tous les temps était à son comble. Il est dur de maintenir ainsi un état d’excitation proche de la transe des jours et des mois durant. Beaucoup de badauds en moururent de congestion, parmi lesquels on compta de belles et nobles figures de l’aristocratie vieillissante, quelques jeunes filles aussi, soyons honnêtes ! La fine fleur de la jeunesse fauchée avant les grandes moissons d’été ne trouva personne pour la pleurer, pas même moi. Ajoutez à ce tableau tragique une pléiade de jeunes rebelles encagoulés, et vous aurez une idée du désastre qui, l’avenir nous l’apprendrait amèrement, ne faisait que commencer.

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Pendant ce temps, Mère-plexité se remit doucement de son opération à sexe ouvert.

On ne s’attachera pas ici, en clinicien accompli de la Chose Littéraire, à décrire par le menu, avec force détails, avec un luxe de détails - quelle formule préférez-vous ? - sa résurrection sexuée.

On se contentera de noter que Mère-plexité tenait désormais plus de la vache à lait qu’autre chose, étant donnée l’ampleur démesurée que prirent rapidement ses seins qui la précédaient à présent dans tous ses déplacements et toutes ses démarches, et elles étaient fort nombreuses en ces temps de fièvre nationaliste.

Il arrive fréquemment que la basse politique et la haute politique œuvrent main dans la main, avancent dans la même direction, afin de donner raison, en définitive, à leurs détracteurs, trop heureux de sauter sur l’occasion d’en finir avec l’une et l’autre, produisant ainsi un magma historique, un gigantesque étron idéologique, bref une grosse merde au service d’une nouvelle classe de dirigeants et de cleptocrates.

En ce sens, la Russie était un modèle à suivre, une réussite merveilleuse, le Graal du crime organisé, à moins qu’il ne fallût voir dans les triades chinoises œuvrant main dans la main avec ces salauds de communistes le nec plus ultra du raffinement en matière de perversion du politique.

Bien sûr, les USA et leur politique sinueuse et opportuniste, leur voracité impériale, leur « deux poids, deux mesures » qui est au fondement de leur pratique politique depuis le génocide des Amérindiens et l’esclavage des Africains, tout ça n’était pas rien aux yeux de Mère-plexité qui hésitait entre USA, Chine et Russie.

Qui fallait-il haïr le plus ? On en débattait sans fin.

Européenne jusqu’au bout des ongles, elle en était réduite à aller chercher des modèles comportementaux ailleurs que chez elle, mais chez elle, où était-ce au juste ? Elle souffrait du « syndrome du parapluie », très courant parmi les nations européennes biberonnées à l’aide étatsunienne.

Acculés puis enculés jusqu’à l’os, les Allemands, peuple composite jadis unifié sous la bannière prussienne de sinistre mémoire, s’étaient des décennies durant érigés en champions de la cause américaine, tout en faisant des affaires juteuses avec la Russie post-soviétique et la puissante Chine. Déboussolés, aigris, les voilà qu’ils se tournaient vers leurs vieux démons, s’agitaient en tous sens en brandissant les vieux slogans xénophobes qui avaient jadis fait leur succès puis précipité leur ruine de courte durée. Le feu couve toujours sous la tourbe, me direz-vous… Qui se souvient que seulement 7% du potentiel industriel allemand fut détruit par les bombardements alliés ? que les raids des bombardiers évitaient le plus possible de détruire les usines Ford et autres complexes industriels que les industriels américains et allemands espéraient voir repartir de plus belle dès la fin du « conflit » ?

« Ce qu’il y a d’emmerdant avec les Allemands, c’est qu’ils font toujours les mêmes conneries. »

Ce propos de Jean-Baptiste Neveu, professeur des Universités à la Faculté des Lettres de Strasbourg, tenu dans son bureau en octobre 1980, résonnait encore quarante ans après dans les oreilles de Mère-plexité. Germaniste de formation, elle était allée de déception en déception avec l’Allemagne réunifiée, à cette nuance près qu’à l’époque elle n’était pas encore elle, mais plutôt « iel », comme aiment à l’écrire les fanatiques wokistes. Position fort incommode, on s’en doute, inscrite dans sa chair, et qui trouva sa résolution heureuse, lorsqu’on lui imposa de choisir entre l’un ou l’autre sexe, à rebours de toutes les nouvelles normes sociales enclines à diversifier à l’infini les questions de genre.

La pensée de Mère-plexité se résumait à peu près ainsi : A la décharge des Allemands, il fallait bien admettre qu’ils avaient pris sur eux tous les péchés du Monde.

Les Polonais, par exemple, pouvaient se poser en victimes des nazis puis des soviétiques, ce qu’ils étaient sans aucun doute, tout en se réjouissant secrètement que les armées hitlériennes les eussent débarrassés de « leurs » Juifs. Accabler les Allemands permettait à toutes les autres nations « civilisées » de minimiser leurs propres crimes et manquements. Et puis, après la guerre, ce fut business as usual, tout rentra dans l’ordre jusqu’à ce fatidique 24 février 2022, dont on ne sait s’il marqua un tournant ou s’il fut le point d’orgue d’une ère géopolitique périmée. Pour l’heure, les nations tournaient en rond en un jeu de chaise musicale. On ignore encore aujourd’hui d’où provenait la musique, un tintamarre d’ailleurs plutôt qu’une musique, et aucun chef d’orchestre à l’horizon, mais beaucoup de grands chefs d’Etat tous imbus de leurs ambitions dévorantes.

Moloch était de retour, et chacun voulait lui sacrifier ses populations respectives. Il y avait bien les Nord-Américains et les Européens pour faire la fine bouche, mais pour combien de temps encore ? Le requin blanc américain a les dents longues ; son sourire carnassier ne trompe plus personne, et les Européens sont fatigués. Certains d’entre eux en viendraient même à penser qu’ils sont si coupables de tous les maux de la Terre qu’ils méritent de disparaître, ce qui ne ferait pas les affaires du grand requin blanc ni non plus, d’ailleurs, de ce grand bazar qu’est la Chine soi-disant communiste.

En somme, le monde était merveilleux, parce qu’il offrait d’innombrables opportunités à tous les salauds que la Terre portait en son sein. 

Politiciens, criminels, juristes, avocats, écrivains, artistes, tous participaient de ce monde pourri jusqu’à l’os, un monde autotélique et pour ainsi dire autophage, capable de se régénérer constamment. Un organisme autotrophe à nul autre pareil. Une belle merde, en somme. Genre euglènes, ces algues vertes qui prospèrent dans nos cours d’eau gavés de phosphate.

Un pour tous et tous pourris, et fiers de l’être !

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Supposons un instant que la Littérature domine toutes les activités humaines, supposons une seconde qu’elle soit devenue, l’espace d’une nuit, l’Ultima Ratio, qu’adviendrait-il alors ?

Nous pourrions à tout instant réécrire le monde en fonction de notre humeur, de nos désirs, de nos impulsions les plus folles, de nos rancœurs aussi, et ce serait le chaos.

Et c’est bel et bien comme ça que ça se passe dans le calme olympien des livres livrés aux tourments sans fin du monde. On en brûle beaucoup, on assassine des auteurs et des traducteurs, en somme, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Dans la jungle urbaine, c’est : Advienne qui pourra ! Le bon peuple, plus réaliste, tend plutôt à penser : Advienne qui pourri ! L’écrivain, lui, qui toujours fait la part belle aux choses, penche pour : Advienne que pourra !

Ce qu’il nous faudrait, c’est une bonne petite guerre ! Un déluge de feu purificateur ! Voilà la doxa dominante qui avait cours dans l’esprit des bons peuples. Chacun y allait de sa petite variation.

L’hommage de la vertu au vice, voilà une attitude profondément littéraire !

A même de prendre en compte, et même en charge, toutes les misères du monde par la magie du Verbe. Mais, pour tant de gens, le temps de la mort de dieu n’étant pas venu, le cadavre de dieu pourrissait lentement dans les consciences, formidables incubateurs à virus et bactéries capables de ravager la Terre entière. Les chiffres et les lettres se disputaient la faveur des consciences, toutes allaient dans le même sens : le salut promis. Promesse d’aucun salut, la Littérature, à l’image du dieu créateur en train de pourrir lentement, se faisait fort de remuer toute cette merde.

Ne me parlez plus de catharsis, le mot est usé, et en user, c’est salir la mémoire du grand Aristote.

Moi, je préfère le « Verfremdungseffekt » brechtien qui nous met crûment devant les réalités les plus dégoûtantes, les plus sordides, en nous en expliquant les ressorts économiques et donc inconscients.

Je connais un ami écrivain de grand talent qui écrit par vagues. Il est post-brechtien.

Les vagues qu’il déchaîne submergent tout ce qu’il écrit, tout ce qu’il en écrit. Il ne refait pas le monde ni ne le défait, il le recompose, et ce n’est pas chose facile, lorsque l’on travaille une matière aussi décomposée.

Ce n’est pas un maelstrom ni un gentil tourbillon ; on ne se sent pas aspiré par les crimes et les veuleries qu’il nous dépeint avec force réalisme, ni même inspirés ni non plus sidérés mais fascinés, car dans ces nouvelles, c’est nous, notre humanité, qu’il convoque à chaque page.

Il nous dit : Toi aussi, dans certaines circonstances, en dépit que tu en aies, tu serais capable de pareilles abominations. Allez, avoue que tu aimes ça !

Tous ceux qui veulent péter plus haut que leur cul en prennent pour leur grade avec lui. Il nous prend par surprise, et il nous prend à notre propre jeu en faisant appel à ce qu’il nous reste de fierté : on ne va tout de même pas s’identifier à de pareils salopards !

En somme, ses personnages agissent sur nous comme des repoussoirs mais aussi des voussoirs qui, bien agencés, permettent de nous créer des raisons de vivre comme les voûtes d’un édifice permettent la création d’une toiture solide et durable.

On ne s’y sent pas à l’abri des coups du sort, mais l’édifice d’humanité tient bon, et c’est tout ce qui compte. On risque moins, ainsi, de tomber dans la barbarie qu’il met en scène à longueur de pages sous les traits d’êtres veules qui n’ont que leur propre intérêt à la bouche, comme le font tous les Etats de la planète qui justifient leur choix stratégiques et tactiques en fonction de ce critère à valeur absolue.

C’est une école de liberté qu’il propose à notre entendement, ce qu’aucune grande politique, grande broyeuse d’âmes, ne peut être, justement parce qu’elle ne voit le monde qu’à travers la lunette de l’intérêt bien compris. En somme, sans proposer de grandes solutions à nos maux, que ce soit dans le genre méditation, crise mystique ou grand chambardement révolutionnaire style table rase, on tue tout le monde et on recommence, il nous met devant nos responsabilités, en nous apprenant que faire le bien commence intra-muros, dans l’intimité de nos chambres et de nos salons. Vous me direz : c’est bien peu de chose, et vous n’aurez pas tort, si l’on songe que le monde continue son petit jeu pervers.

Aristote, Brecht et le Diable… Nous en sommes là. Toute mimésis porte en elle les germes de sa perte. Ces trois entités, je les vois s’organiser en un triangle au sommet duquel j’aperçois B.B seul à même de ne pas verser dans le dégoût pour le dégoût, seule entité qui ne soit pas nihiliste dans ses penchants et ses appétits.

Mère-plexité, fondue dans la masse incroyablement ductile des croyants de tous bords, tira son épingle du jeu en se lançant à corps perdu dans le stupre, l’écriture et la bonne chère. C’en fut fait une bonne fois pour toutes des errements de sa secte qui, séparée d’elle, n’avait plus aucune raison d’être.

A sa mort, elle me fit promettre de ne publier ce texte qu’à la condition expresse qu’il fût rédigé en caractères Times New Roman. J’ai tenu parole, c’est déjà ça.

 

Jean-Michel Guyot

15 février 2024

 

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