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Article publié le 3 mars 2024. oOo Il me plaît de regarder ce jardin. Il faut très peu de temps pour s’y rendre à pied. Un luxe en quelque sorte. Non pas que je ne puisse profiter du mien. Un jardin ? Non, un joyeux foutoir. Il me happe parfois, me fait quelques reproches d’abandon, mais je n’y crois guère à voir les abeilles se régaler et les papillons voleter, ivres, de lavandes en rosiers. Ce n’est pas le propos, j’ai un jardin. Cependant, le plaisir de marcher jusqu’à celui-là m’en fait jouir davantage. Imaginez, je peux encore marcher, seule ! C’est sans doute cet aspect qui renforce le désir de m’y rendre : la solitude, ce bien rare dont il faut user avec parcimonie. Ce moment-là est bien pourtant je ne voudrais pas qu’il dure. Cet éphémère me ravit, je veux encore le vivre, y retourner sans cesse. Faut-il décrire cet éden ? Peut-être mériterait-il une meilleure plume. Le lecteur aussi. Il faudra vous contenter de la mienne. Faible ces jours-ci, comme amaigrie d’avoir trop dit, du lourd et du léger, de l’intime et du public. Mais je tergiverse, allons-y ! C’est un petit jardin… mélodie connue… point de métropolitain, une rue aux petits pavillons de bord de mer, d’une petite ville balnéaire qui se rêve grande. On y passe pour se rendre sur le quai, ou bien faire quelques achats, ou tout simplement pour flâner. Les maisonnettes ne disent rien, elles s’alignent sages et fermées. L’avant-scène ne nous apprend rien sur les personnages qui jouent leur rôle dans ces espaces protégés des regards. Grâce au décor, on devine malgré tout un trait de caractère, un changement dans la routine. On imagine des drames, bien sentis, aux maigres fleurs qui tentent de survivre entre les gravats ou les pelouses étriquées. Une craquelure dans le mur ? Voilà, il l’a quittée finalement. Un vélo abandonné ? Le petit n’est pas à l’école. Est-il malade ? Puni ? En haut avec un ami ? Une amie ? Je l’avoue, j’ai une âme de voyeuse. Non, de vampire. Je prends et fais vivre mon imaginaire de ces détails palpitants. Quel rapport avec mon petit jardin ? Tout. A l’aller et au retour d’une promenade nonchalante, ou au pas plus décidé pour un achat ne pouvant attendre la grand’ messe du centre commercial, je m’octroie une pause. Au début, je n’osais pas. Il y a la grille en fer forgé peint en vert, qui même si elle est ouverte, laisse le corps indécis. Puis-je ? La question demeure en suspens, le temps qu’il faut, le temps est tout. Le lieu est ceint de murs en pierre. Ce n’est pas une forteresse, mais il en impose. Quatre bancs sont à disposition pourtant, comme une invitation. Le sol se partage en une pelouse maigrichonne, jonchée de pâquerettes et autres fleurs sauvages de saison, et une allée de pierres mal taillées que vos pieds foulent avec la plus grande méfiance. Les insectes sont légion à s’enivrer. Les lézards jouent à cache-cache. Tout cela est joyeux. Et lorsqu’il a plu (oh, que j’aime marcher en solitaire sous la pluie, cachée, loin de tous, mais près d’une nature qui se régale et s’abreuve), les reflets du ciel se laissent admirer dans les flaques improvisées des tailleurs de pierre anciens. On ne voit là que des signes de bienvenue me direz-vous ? La vie de la ville semble s’y retrouver en paix. Fleurs, plantes, arbres fruitiers, insectes, reptiles pacifiques, cela ressemble à l’Éden, non ? Un peu trop. Si vous levez la tête, il est là, présence inévitable, lourde de sens, triste rappel de l’humanité violente, impossible, niant la vie sur cette terre, vous en promettant une autre, sous conditions, bien lire les petites lignes en bas du contrat S.V.P. Alors j’ai longtemps hésité à accepter l’invitation goguenarde des vieux bancs mal vernis, usés des vents contraires et des tempêtes soudaines. La figure violentée de l’homme sacrifié n’était pas pour me rassurer. Que viendrais-je faire ici ? Déranger sa retraite et son apparent sommeil ? Réveiller sa douleur ? La mienne ? Quand il était enfant, un de mes fils ne manquait jamais de saluer la silhouette écartelée quand nous passions en vélo. « Salut, Jésus ! » lançait-il, d’une voix qui ne connaissait pas le poids de l’humanité adulte. La sérieuse légèreté de l’enfance, cette beauté. Nous riions bêtement. Pas lui. Il était sincère. Il voyait un homme. Seul. Et le saluait. D’humain à humain. Voilà pourquoi, après moult tergiversations, j’entrai, choisis un banc (celui à droite, sous des arbres dont je ne connais pas le nom – il faudrait que l’on puisse apprendre le nom de tous les arbres qui nous entourent… Comment cela serait-il possible quand nous ne connaissons pas celui de nos voisins ?), m’assis au bord, tout au bord, et attendis. Ne soyez pas ridicules. Aucun miracle ne se produisit. A votre âge, vous croyez encore aux miracles ? Comme c’est touchant. Je sais pour ma part que c’est du blablabla. Le miracle, c’est vous, les pas que vous faites tous les jours pour retrouver vos collègues, vos camarades, vos ami-e-s, la famille, et les êtres aimés qui accompagnent vos errances ; celles du quotidien et du long cours ; les voyages terrestres et célestes ; les personnages de vos drames, de vos comédies, de vos vaudevilles parfois, ces histoires si personnelles qu’elles en sont universelles. Alors, non, pas de miracle. Mais le bonheur d’avoir trouvé en ce lieu, le temps. Ce luxe improbable. J’y retourne et j’observe mieux que dans mon propre jardin, la danse des lézards verts sur les murs vieillis, les itinéraires des insectes chargés du pollen des fleurs du pommier. J’écoute les murmures des feuilles qui se languissent à l’automne. Je parle à mes plaies. Je regarde l’homme qui n’en finit pas de mourir. Je laisse ma peau aux embruns de l’hiver, à l’abri des regards de l’intimité. Je me fais de la peine. Je me défais de ma peine. Je prends soin. Des souvenirs. Je les abandonne. A l’abri, dans ce jardin, où la vie s’épanouit sans nous. Quand tout cela est fait, le pas moins pesant, le regard neuf et le cœur reposé, le retour vers les humains d’ici est enfin gai et serein. La peur s’évanouit. J’écoute. Le bébé qui pleure, le vieux monsieur qui taille sa glycine, le facteur qui dépose une lettre. De bons signes. Des signes de vies bien remplies. Du soin, des besoins simples, des chemins qui s’ouvrent. Je souhaite cela pour mes enfants : un jardin. Un jardin, s’il vous plaît ! Pour tout de suite ou à emporter ? Donnez m’en deux, un sur place, l’autre je le mets dans la poche de mon jean : grains de sable, de terre, petits cailloux, brins d’herbe, fleurs séchées, brindilles, coquillages. Liste non exhaustive. Et puis, à un moment donné, je ne sais pas encore lequel, le temps perd son sens dans cette bulle, le départ devient chose désirable. L’esprit se remet littéralement en marche. Le besoin du retour. Vers soi. Recommencer à tisser. Les liens avec notre vie. Maman araignée refait sa toile. Protège ses vies aimées. Garnit les lits douillets, d’histoires et de fabulettes, à lire, à vivre, à garder pour plus tard. Pour leurs autres vies. Sans nous. C’est triste ? Mais non ! C’est beau. C’est un chemin de vies, d’existences multiples. Et toujours des aventures, des tourbillons, des allers et retours, des voyages concentriques, des alpha et des oméga, des débuts et des fins. Car le jardin, lui, est toujours là, il nous attend. Une nouvelle nichée de moineaux voit le jour, un printemps nouveau amène ses fruits, pêches et pommes, l’herbe a poussé entre les pierres vieilles, et nos chevilles ne s’en remettrons pas plus facilement si nous n’y prenons garde. Je n’ai pas d’autres conseils à donner. Trouver un jardin, remplir ses poches de souvenirs, apprendre le nom des arbres, penser à l’aller et au retour, et surtout, faire bien attention où l’on met les pieds, il n’y a rien de plus traître qu’un jardin qui ne veut pas nous laisser partir ! Ai-je bien décrit mon petit sanctuaire ? J’en doute. Les mots ont pris toute la place. Ils font toujours ça. Ils m’agacent. Aujourd’hui, je n’irai pas. Il est fermé. Cela arrive. C’est un mystère que je n’ai pas résolu. Qui a les clés ? Voilà une chose que je ne maîtrise pas. Oh, comme c’est bon ! Je regarde les bancs mouillés de la pluie du matin, le bois plus sombre, là où le vernis ne protège plus. C’est un peu nous, il faut savoir vivre avec ces bouts de nos vies, plus sombres. Les gouttes tant attendues redonneront des couleurs à nos jardins. Je les accueille sur mes joues. Mélangées à des larmes inutiles, elles creusent des petites rivières qui coulent dans mon cou. J’emporte la bienfaisante fraîcheur, un sourire aux lèvres. L’espoir sous les semelles, on peut encore marcher, bon sang ! Encore marcher ! Vous rendez-vous compte ? Tant qu’il y aura des jardins à découvrir, des chemins à parcourir, et des vies à rêver : renaître à l’émerveillement. Encore. Encore une fois.
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Commentaires :
Un Jardin - Extraits de "Le Cœur chaviré et Tranquille" par Lalande Patrick
Un beau texte qui résonne en moi ! Une résonnance qui peut être écoutée dans la Camera obscura...
https://www.youtube.com/watch?v=WvLq0u63Rtg