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 Article publié le 29 septembre 2024.

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« J’ai l’air de me cacher parce que j’ai glissé ma tête sous la neige. Je n’y suis pour personne parce que le silence y fait loi. Rien ne bouge parce qu’il est trop tard pour vieillir. Ce sera mon petit lit blanc parce que c’est fini pour de bon. »

Ce sont les premières phrases qu’il m’a dites. Ce Monsieur Bicause ! Des phrases dont je suis à peine certain car il avait une élocution difficile. C’était un petit bonhomme aux apparences mêlées, la taille d’un adolescent à la courbure d’un vieillard, et le visage d’un homme d’au moins quarante ans à la voix réellement sans âge. Une voix dont je ne comprenais pas tout, parce qu’elle agglutinait les mots sur une même ligne, une grande flèche d’harmonie, qui prenait son inspiration sur les crêtes de l’âge ingrat, les blancs de l’âge d’or, les seconds mots de l’âge mental et les derniers de l’âge de raison. Et sans jamais les distinguer, ni les délier, pâtamodelant  une sorte d’éternel retour en retour sur lui-même à la façon du boléro de Ravel et du célèbre aphorisme de Kierkegaard : « La répétition, voilà la réalité et le sérieux de la vie. »

Quand je l’entendais parler, j’avais l’impression d’entendre rouler un petit bonhomme de neige qui, prenant sa tête pour son sexe, voulait pénétrer en marche arrière l’utérus d’une femme, pour y fondre le jour de sa naissance à l’impossible degré zéro d’une humanité sans « voix », comparable à ce que le sanskrit devint pour les Lumières et les Romantiques Allemands : une langue primordiale, mère de toutes les langues du monde.

Pourquoi disait-il avoir l’air de vouloir se cacher dans la neige ? Ce n’est pas à moi que je pose la question, mais à nous. Oui, à nous tous ! Nous, qui nous souvenons d’un fait qui agit sur notre mémoire comme un ressouvenir en avant. Un fait si étrange que j’éprouve encore beaucoup de difficulté à en rendre compte.

Cela remonte à loin… Au jour de la découverte d’un homme fossile qui conduit l’homme à ne plus regarder vers le ciel mais dans la terre. Et jusque dans la neige qui recouvre la terre. Qu’y voit-il ? Un scandale ! Et qui voit-il ? Un homme civilisé en lieu et place du quasi singe, de l’hominidé de la préhistoire (le terme est né quelques années plus tôt, aux alentours de 1830), du sauvage qu’il pensait à jamais encagé dans l’oubli, enseveli dans le temps du Temps.

C’est ce qu’il essayait de me dire, Monsieur Bicause, avec sa façon de parler faite d’à-peu-près, d’hésitations, de chemins de traverses et d’errances, comme s’il passait du déni à l’appropriation. Comme s’il passait lui-même par toutes les étapes de l’homme à la recherche de l’Homme, c’est-à-dire de l’ensauvagement à la civilisation. Cette civilisation qui, si j’ai bien entendu ce qu’il me disait, nous menait tout droit au c’est fini pour de bon !...

Ceci dit sous une neige fictive d’où il jaillit comme un diable en riant aux éclats. Ah, ses dents, ce grand rire blanc qui vite s’effaça devant une sorte de comptine qu’il susurra d’une voix si triste et si gaie à la fois, indéfinissable comme lui-même.

 

Par la porte minuscule

Après avoir maçonné

Mon trou avec le bec

Verseur de vies en pagaille

 

On dirait la neige

Foulée par une pelletée

De mots

 

Mon corps recouvre

La terre blanchie

Au soleil de mon œil

 

Vivent la rose le lilas

Aux abois 

Entre la vie et la mort

Où j’ai posé mon chant

Fleur d’incendie

 

Et puis ? Et puis, il était temps d’aller déjeuner. Quelques pas jusqu’au restaurant en glosant sur les derniers mots d’un monde qui filait droit au trou ! Quels étaient-ils ? Je dis : « Courez à la rade. » Lui : « L’allée est déserte. »

 

La table était bonne et l’humeur joyeuse. Et vice et versa. Je ne comprenais pas tout ce qu’il me disait mais son rire, qui coupait ses phrases comme un couteau sans manche coupe des tranches d’absurdité dans la réalité de la vie, me communiquait une joie intérieure qui m’inclinait à tendre une oreille complaisante.

Nous avions tous deux commandé le même plat : une langue de bœuf sauce piquante, où nageaient des rondelles de cornichons. Des rondelles vertes comme des chandelles.

Il dit entre deux bouchées gourmandes :

— La lumière est muette, ce n’est pas blanc blanc c’est factice comme les mouettes qui ont la tête d’un cerf-volant perdu au-dessus de la neige, perdu dans les nuages, perdu oui, car tout est perdu, même le vent, même le bleu mort au bleu sans horizon, c’est la fin pour de bon, la fin du monde, tout est né pour mourir, il serait temps de rejoindre nos petits lits blancs ! 

— Un peu de vin ?

— S’il vous plaît. Il est pour bientôt notre monde sans histoires. Sans une fois et sans il était. Un monde sans avenir. Sans rêve, sans cauchemar. Un monde où la réalité répond à toutes les questions que personne ne se pose. Un monde conjugué au présent perpétuel : il est une fois la fin du monde. Vous comprenez ?

— Moui moui moui, répondis-je, en le regardant d’un œil amusé. Profiteroles en dessert ? Avec un café ?

— Une dernière chose : Je sens que vous avez peur. Pour garder un peu de quoi ? C’est pour ça que vous semblez coller au déclin du soleil. Vous vous accrochez, n’est-ce pas !? Sachez que tous vos efforts seront vains. Inutiles ! La seule chose que vous devez faire c’est de vous poser la bonne question : c’est par où la sortie ? Et vous pourrez enfin passer sous la neige !

 

 

Jacques Cauda

 

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