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 Article publié le 12 janvier 2025.

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à Patrick Cintas

 

La sincérité ne me chaut, en art, que lorsqu’elle est difficilement consentie. Seules les âmes très banales atteignent aisément à l’expression sincère de leur personnalité.

Gide, Journal,1909, p. 278.

 

Est-ce quelque remord ou le destin moqueur qui ouvre un souvenir, ou plutôt le chaland plein de mots et qui vogue sur le blanc silence vide de la vie ?

Gilbert Bourson, Ce remorqueur débarque à l’instant…

*

Il en est des styles comme des corps : la plupart ne nous disent rien qui vaille, alors on les tient à distance, on se garde bien d’entreprendre quoi que ce soit de fâcheux avec eux que l’on serait amené à regretter amèrement. Il ne faut pas se compromettre avec le tout parlant, jamais. Aussi foin des réseaux X, Y ou Z !

On ne se mêle pas à eux pour ne pas avoir à bêler en leur compagnie.

Le temps n’est plus aux expériences érotiques cuisantes ou bouffonnes. Ni à des rêveries désuètes sur des corps de naïades à demi dénudées. Ni à des délires recuits ni, non plus, à des clowneries d’avant-garde.

En la matière, notre instinct est notre seul juge et notre seule boussole dans ce monde aporétique ni plus ni moins chaotique qu’hier.

Le désespoir est tonique, j’en sais quelque chose.

*

Quelques traits d’esprits, divers calembours bien sentis, de bons mots jetés çà et là sur la page blanche, et te voilà repu, petit homme ? ou bien te faut-il de longues confessions rédigées devant le tribunal de l’Histoire telle que tu te la racontes ? des repentances aiguës, vives à en pleurer qui ne contenteront jamais les victimes réelles ou imaginaires qui, tu ne l’as pas compris, veulent purement et simplement ta peau ? des bribes de fictions que tu sèmes comme mie de pain sur les lignes de désir de ta chienne de vie, quelques jolis cailloux colorés que tu égrènes dans les eaux mornes de l’aquarium qui te sert de refuge quand tu n’en peux plus et que tu étouffes ?

Que nenni ! Il en faut plus pour m’embrouiller la conscience ou même me séduire à néant.

Et j’ajoute qu’il me faut plus qu’une quenouille pour me mettre dans l’embarras, et puis d’ailleurs, soit dit en passant, si j’aime à la folie, moi, ces baronnies d’ancien temps, tombées en quenouilles, qu’avez-vous à redire à cela ?

Des femmes fortes à leur tête s’y firent fort, et sans fanfare, qui moins est, de s’en sortir la tête haute. N’est pas grenouille qui veut pour garder la tête hors de l’eau en ces temps difficiles, mais quels temps ne furent pas difficiles ? Avec ce réchauffement de l’atmosphère qu’on ne cesse de nous annoncer - lente agonie climato-apocalyptique - les grenouilles que nous sommes tous et toutes à nos heures perdues font ribotte dans les eaux sales de plus en plus tièdes de la parole commune ; Nietzsche avait raison, les eaux de la religion se sont retirées, désormais nous pataugeons dans des marais putrides, méphitiques à souhait. Dieu est mort et son cadavre pue. Les croyants ne sont que des charognards.

J’y songeais l’autre jour : je concevais la vie des mots comme d’innombrables écheveaux enchevêtrés les uns dans les autres, avant même tout emploi, avant tout service rendu, avant toute main tendue prête à se piquer, avant même que la machine à parlotte chez quiconque ne se déclenchât pour le pire le plus souvent, car n’est pas poète qui veut.

En lieu et place d’une aussi malheureuse image qui m’a tout de même tenu éveillé plusieurs années, je conçus de minuscules réseaux souterrains constitués de milliers de galeries de mots tombés depuis fort longtemps en graines prêtes à germer à la moindre pluie dans ma forêt enchanteresse pleine de fesses d’ogresses naines et grasses à souhait, tout ce petit monde festoyant comme c’est pas permis entre radicelles et rhizomes sous une épaisse couche d’humus, mots pas morts pour un rond et pas à proprement parler enterrés, mais mots terreux-terrestres, énergie débandée-déchaînée-renouvelée, comme la terre remuée-remuante retourne à la terre, mais sans tambour ni trompète ni cendre ni poussière, creusant encore et encore dans cet affreuse mixture gorgée d’énergies brutes concaténées parfaitement ignorantes du bien comme du mal, et foin des rixes et des coutumes en ce monde d’en-haut plus abject que sélect !

Quelque épaisse tignasse de Gorgone serpentée fraîchement décapitée fera l’affaire, multipliée à l’infini qu’elle sera dans un savant et retors dédale de miroirs jumeaux dûment placés sous l’égide de grands stylistes mâles et femelles accourus des quatre coins du monde. Goethe appelait de ses vœux cette Weltliteratur, et nous l’avons mise au monde tous ensemble chacun dans notre coin. En toute innocence et sans hiérarchie établie ou renouvelée, sans relents nationalistes ou furieusement rationalistes.

A nous de jouer et d’en jouir.

Un « nous » que nous ne concevons pas comme le maigre goulot d’étranglement d’une seule et même bouteille d’encre à travers lequel nous ferions entrer de force qui ne se reconnaît pas dans notre démarche allègre. Et quitte à se baigner à corps perdu dans de l’encre, nous préférons la danse gracieuse de la seiche dans les eaux violettes de nos calanques !

Un « nous » hortatif qui se veut invitation à la danse. Valse ou fandango, rock n roll ou tango, comme il vous plaira !

A présent, j’y vois plus clair, les métaphores, tôt ou tard, tournant à vide, lorsqu’on s’avise d’en jouer imprudemment en s’emmêlant les pinceaux dans leurs fils de couleur, je me garde bien d’y recourir immodérément dans le vif de conversations improvisées. Elles constituent en effet un merveilleux réservoir à sottises pour les gens qui parlent plus vite qu’ils ne réfléchissent, à supposer même qu’ils pensent.

Les nuances disparaissent et avec elle la rigueur qui préside à leur choix en toute connaissance de cause, sans parler du méli-mélo qui résulte de tout ce salmigondis qui fait ressembler les phrases faussement alambiquées truffées d’anacoluthes disgracieux à un plat de nouilles froides.

J’aime les belles et grandes flaques d’eau, je n’y contemple pas le reflet du ciel ni mon visage buriné ; comme lorsque j’étais enfant, j’aime y gavouiller, comme on dit par chez moi. Sauter dedans à pieds joints, éclabousser joyeusement tout ce qui se trouve alentour, et puis la touiller, cette eau boueuse à souhait à coups de talons rageurs, ah quel bonheur !

On triture la matière du monde qui nous tombe sous la main. Grumeleuse, rugueuse, visqueuse, soyeuse, peu importe, tout est bon pour une main qui aime fouailler, malaxer, broyer les téguments et les couleurs, et qui, il faut bien l’admettre avec Reverdy, finit, en se civilisant, par aimer caresser des corps qui s’avisent d’être aimés.

C’est l’enfance de l’art qui m’a bercé durant ma prime enfance dans le grand jardin arboré, et puis, peu à peu, l’école aidant, faut dire, comme tout un chacun, j’ai mis la main à la pâte, quitte à me mettre dans le pétrin. Oui, pour moi du moins, c’est un peu ça, écrire, entre mille autres raisons que l’on passe sa vie à pourchasser entre les lignes, loin, très loin de toute « cause » identifiable. Pas d’écriture mercenaire, merci, mais du vif, du brutal, du bestial même, s’il le faut.

On commence par bricoler, sans trop réfléchir ni y penser sérieusement, c’est un jeu innocent, (un « play » et non un « game  »), et puis l’on devient peu à peu l’artisan de son style qu’on se forge à la force du poignet, à mesure que la langue forte de ses normes nous lance un défi que nous relevons en inventant nos propres règles du jeu, mais en faisant en sorte qu’entre les mots, comme entre deux pièces mécaniques impeccablement usinées, il y ait toujours un peu de jeu afin qu’y passe un peu de cette lumière qui n’ appartient à personne et à laquelle, tous et toutes, nous appartenons même à notre corps défendant, et ce faisant, tous autant que nous sommes, nous nous gardons bien, à tout jamais, de passer à une production industrielle en série, soucieux de bout en bout de la chaîne de création que nous sommes de garder la main sur les petits bijoux que nous ciselons avec amour dans la patience des jours. Un travail d’orfèvre, en somme, doublé d’une rigueur d’horloger comtois ou andalou !

Boulanger-pâtissier un jour, d’un trait de plume, comme ça, pour le plaisir, et un autre jour artisan horloger et orfèvre ! mais que demande le peuple ?

 

Jean-Michel Guyot

9 janvier 2025

 

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