Formas de la justicia/ Modalités de la Justice par Catherine Andrieu
Ce texte de Fernando Sorrentino, “Modalités de la Justice”, semble osciller entre le réalisme absurde et une fable cauchemardesque, un conte moral où la justice devient une farce et où le pouvoir est un leurre. L’ambiance du village, avec ses notables grotesques et ses rues sans âme, installe une tension diffuse qui ne cesse de s’amplifier jusqu’à l’étrange révolte finale des enfants.
L’image du protagoniste, un peintre de poupées devenu juge par un hasard cynique, illustre une métamorphose sans mérite, une ascension absurde et un engrenage implacable. Le pouvoir est ici une coquille vide, attribué non par compétence mais par opportunisme, dans une société où le savoir et la morale sont pervertis. Il accepte son rôle sans le comprendre, et la justice qu’il rend n’a de justice que le nom, une parodie où les apparences et l’aveuglement gouvernent.
L’idée de justice elle-même est mise à mal : la sentence précède le jugement, les accusations sont dictées par ceux qui tirent les ficelles, et le coupable est désigné avant même de pouvoir se défendre. Le village est une prison mentale, un monde clos où les notables régissent tout, où la légitimité s’efface devant la mise en scène. Même le décor est oppressant : des maisons murées, des rues qui débouchent sur rien, un chemin de fer interrompu, autant d’images qui soulignent un univers clos et voué à l’absurde.
Puis viennent les enfants. Apparition spectrale, manifestation hallucinée d’une justice vengeresse, figures à la fois angéliques et implacables, ils renversent la logique du récit. Leur discours, empreint de moralisme rigide, rappelle que la pureté n’exclut pas la cruauté. Ils incarnent une forme de justice primitive, implacable, où la punition suit immédiatement la faute, sans appel, sans nuances. Leur violence naïve, leurs couteaux de boucher, leur logique binaire font d’eux des juges pires encore que les adultes.
Le protagoniste, au final, ne cherche ni à comprendre ni à affronter ses responsabilités. Il fuit, comme il avait fui sa ville, ses échecs et ses remords. Mais peut-on réellement fuir un jugement intérieur ? Les images de ce village grotesque et de cette meute d’enfants vengeurs hanteront probablement son esprit bien après sa fuite.
Ce récit joue sur le basculement, sur l’étrangeté qui s’infiltre dans le quotidien et transforme une réalité en cauchemar. C’est une satire de la justice, une dénonciation du pouvoir arbitraire, un conte cruel sur la lâcheté et la culpabilité. À travers cet enchaînement absurde et cette esthétique de la fatalité, le texte laisse en nous une sensation troublante, un malaise qui ne s’efface pas aisément.
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Ce texte de Fernando Sorrentino, “Modalités de la Justice”, semble osciller entre le réalisme absurde et une fable cauchemardesque, un conte moral où la justice devient une farce et où le pouvoir est un leurre. L’ambiance du village, avec ses notables grotesques et ses rues sans âme, installe une tension diffuse qui ne cesse de s’amplifier jusqu’à l’étrange révolte finale des enfants.
L’image du protagoniste, un peintre de poupées devenu juge par un hasard cynique, illustre une métamorphose sans mérite, une ascension absurde et un engrenage implacable. Le pouvoir est ici une coquille vide, attribué non par compétence mais par opportunisme, dans une société où le savoir et la morale sont pervertis. Il accepte son rôle sans le comprendre, et la justice qu’il rend n’a de justice que le nom, une parodie où les apparences et l’aveuglement gouvernent.
L’idée de justice elle-même est mise à mal : la sentence précède le jugement, les accusations sont dictées par ceux qui tirent les ficelles, et le coupable est désigné avant même de pouvoir se défendre. Le village est une prison mentale, un monde clos où les notables régissent tout, où la légitimité s’efface devant la mise en scène. Même le décor est oppressant : des maisons murées, des rues qui débouchent sur rien, un chemin de fer interrompu, autant d’images qui soulignent un univers clos et voué à l’absurde.
Puis viennent les enfants. Apparition spectrale, manifestation hallucinée d’une justice vengeresse, figures à la fois angéliques et implacables, ils renversent la logique du récit. Leur discours, empreint de moralisme rigide, rappelle que la pureté n’exclut pas la cruauté. Ils incarnent une forme de justice primitive, implacable, où la punition suit immédiatement la faute, sans appel, sans nuances. Leur violence naïve, leurs couteaux de boucher, leur logique binaire font d’eux des juges pires encore que les adultes.
Le protagoniste, au final, ne cherche ni à comprendre ni à affronter ses responsabilités. Il fuit, comme il avait fui sa ville, ses échecs et ses remords. Mais peut-on réellement fuir un jugement intérieur ? Les images de ce village grotesque et de cette meute d’enfants vengeurs hanteront probablement son esprit bien après sa fuite.
Ce récit joue sur le basculement, sur l’étrangeté qui s’infiltre dans le quotidien et transforme une réalité en cauchemar. C’est une satire de la justice, une dénonciation du pouvoir arbitraire, un conte cruel sur la lâcheté et la culpabilité. À travers cet enchaînement absurde et cette esthétique de la fatalité, le texte laisse en nous une sensation troublante, un malaise qui ne s’efface pas aisément.