Tous les soirs, j’entends nettement ce bruit. Analyse faite, et bien faite, il ne s’agit pas d’acouphènes. C’est, vous pensez ! la première chose à laquelle j’ai pensé. Question de voisinage ? Non, mes voisins sont tellement silencieux qu’ils n’existent pas. Je reconnais tous les bruits de la journée. Je peux même dire que pas un ne m’échappe. En riant, je dis que je les collectionne. Il n’y a pas grand-monde pour apprécier cet humour. Quelquefois même personne. Nous sommes tous pareils : seuls et entourés d’autres solitudes. Nous nous rencontrons, certes ! C’est même agréable quelquefois. Mais dès que le soir tombe, ce bruit me coupe du monde et je ne supporte plus personne. Au début, il me surprend. Puis je prends mon mal en patience. Il est déjà deux heures du matin. Plus que quatre heure au lit ! Je ne dis pas « plus que quatre heures de sommeil » car je ne dormirai pas. J’attendrai dans le silence jusqu’à ce que la sonnerie de mon coucou me ramène dans ce monde. Imaginez mon état ! Mes yeux sont entrouverts, mes joues battent au rythme du cœur qui souffre d’arythmie pathologique, mes cheveux s’embroussaillent malgré les onguents et le café a un goût de métal en fusion un jour de grève. C’est dans ces dispositions que je rejoins mon poste de travail. J’entre tout de suite dans le Grand Cerveau Universel, le GCU. J’anime mes flux. Je reçois des ondes. Je brise des carrières. Je donne de l’espoir et je casse des briques ou du sucre selon le degré d’amour. De retour chez moi, j’attends, sans manger, sans boire plus que de raison. Et ce bruit infernal me surprend au détour d’une pensée ! Je deviens infréquentable ! Tout le monde sort. Je ferme la fenêtre si elle est ouverte. Je fais le lit s’il n’est pas fait. J’ouvre des livres pour les refermer. Je gratte les murs avec les punaises. Je me vois ou c’est mon ombre qui s’installe à la place du miroir. Je deviens fou ! Je n’ai pas d’autres perspectives d’avancement. Et je ne sais pas pourquoi ! Mon médecin m’a conseillé la mer. Ce bruit, c’est peut-être celui de la mer. « Elle vous appelle… » Évidemment, je ne saurais rien avant d’avoir essayé. Une fois, j’ai pris le train en route vers l’océan. Ce n’était pas le bruit que font les roues d’acier sur l’acier des rails. Je ne vais tout de même pas passer ma vie à reconnaître des bruits ! Mais c’est pourtant ce qui me pend au nez. Il n’y a que le chat qui ne s’étonne pas. Je me demande bien pourquoi…