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La flamme de la bougie
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 Article publié le 15 avril 2013.

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Ecrire ne rime à quelque chose que si vous passez le flambeau à qui vous lit, des flammes dans les yeux, mais, de ce feu n’espérez pas faire un feu de joie, encore moins un foyer ardent, vous seriez dans l’erreur de perspective : on ne vous lit pas pour vos beaux yeux, mais pour la flamme que vos textes laissent entendre.

C’est chacun pour soi, dans une opération de séduction qui ne débouche sur rien d’autre qu’une lumière partagée à distance. Vous n’êtes qu’un passeur de lumière tamisée ou irisée qui éclairera autre que vous.

Le lecteur ne lit pas dans vos yeux, mais se dit, à la lecture de la flamme qui danse sous ses yeux et qui passe en lui que vous devez bien avoir un peu de cette flamme aussi dans le regard. Le lecteur avisé n’étant pas fétichiste, il ne fera pas de votre livre le substitut de votre personne : seul le livre lui importe. Il n’est pas vous, il n’est que de vous, le monde est vraiment bien fait !

L’auteur n’a pas l’outrecuidance de se voir en voleur de feu. Tout au plus baigne-t-il, et seulement par intermittence, dans une lumière qui ne l’aveugle pas, une lumière douce qu’il appelle lucidité et qu’il emprunte au monde.

Il écrit dans cette lumière et il distingue nettement les ombres douces ou menaçantes qui frangent cette lumière qui n’éclate pas, mais éclaire doucement les choses, d’un jour nouveau peut-être, et c’est ce peut-être qui anime son désir d’écrire à partir de ce risque encouru dans le vague de cette hypothèse heureuse, dans les vagues montantes et refluantes de cette marée du sens et des sens emmêlés qui veut qu’à travers lui lumière du monde et flamme intérieure se rencontrent au moins un peu sur la plage blanche de son cœur mis à nu.

Cela fait beaucoup de temps à gérer et la solitude est grande, conditio per quam, mais il compte bien sur ses forces dissolues pour mener à bien cette dissolution du moi qui s’opère en lui qui devient, dans un éclat de lumière, agora bruyante et colorée, un jour de marché aux fleurs, quelque part, très loin, en pays aimé.

Une fois le texte ou le livre lu, le lecteur souffle la bougie. Vous voilà dans la nuit. Vous allez pouvoir vous reposer. Cette part de vous, ce supplément d’âme qui hante vos textes, vos livres, s’endort dans le livre ou le manuscrit refermé, mais vous avez rejoint votre grotte depuis longtemps déjà.

Vous n’êtes pas le dépositaire d’un vil ou vain secret, encore moins l’ardent vecteur d’une révélation bouleversante à transmettre à tous prix, et impitoyablement, aux autres. Vous ne rêvez pas de mettre le monde à feu et à sang ni de voir le monde entier se prosterner à vos pieds.

Pas de prophéties et pas de confidences sur l’oreiller du lecteur, ni intimité ni parole publique tonitruante, mais une flamme qui danse, qui bouge, une flamme de bougie à souffler le moment venu.

A l’heure de la lumière électrique omniprésente et de l’Internet, il est bon, ami lecteur - tu as bien raison - de faire la nuit sur cette vie impersonnelle qui ne dort jamais, pour pouvoir trouver le sommeil personnel.

L’insomnie de l’auteur ne te concerne pas et demain est un autre jour.

Le cœur content, l’auteur peut plonger lui aussi dans le sommeil à sa guise ou bien compter les moutons qui s’agitent encore en lui, mais ce n’est pas l’affaire du lecteur affairé ou bien en proie au sommeil réparateur que tu n’es déjà plu, dès l’instant où tu as refermé le livre et soufflé la bougie.

Que le texte soit et le texte fut !

C’est dans ce fiat liber ! que l’auteur puise sa raison d’être, et cette lumière radiante est insondable, enfermée qu’elle est dans ce tonneau des Danaïdes qu’est la conscience humaine affrontée à ce qu’elle peut percevoir de l’univers.

Cette lumière n’est ni édénique ni satanique. Elle ne tend aucun fruit défendu sur l’arbre de la connaissance. Elle est grecque en son essence.

La naissance du livre ne fait pas monde ni univers à elle toute seule. Le livre ne transit pas l’être en son entier.

Il projette tout au plus une petite lumière douce qui éclaire modestement un peu de la pièce habitée par le lecteur. Elle ne vit que d’éclairer, puis vacille et meurt sous l’effet de souffle du lecteur.

Jean-Michel Guyot

13 mars 2013

 

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