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Le revenant
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 Article publié le 29 décembre 2005.

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" Tiens, voilà le revenant ! T’étais où ? En pleine Renaissance ! Par monticules et par vals ? La campagne, l’arrière-pays, les coins perdus, la France profonde, les grottes, les cavernes, les hauteurs, les espaces, les embourbements, les cahots, le grand air, la verdure... Ma pantelante guimbarde, ma malle à malices, mon bagou... Des nécessaires de toutes sortes, des garnitures, des trucs, de la ferblanterie, de la quincaille, des machins incroyables, introuvables... Peu de pacotille. J’ai, tout de même, ma fierté. Je suis un roulant, un voyageur de commerce. Des comptes à personne. Des hôtels miteux, convenables, des chambres sans fioritures, coquettes, des papiers peints pisseux, éblouissants, des parquets souffreteux, miroitants, des matelas criards, veules, sans ressort, reposants, des tables austères, accueillantes... Des silences, des soupirs, des vides... Des amitiés sans lendemain, des amours à la sauvette, des rencontres inopportunes, des occasions... Le rude terroir, parfois la bonne franquette. Je ne vends plus que de la lingerie féminine et quelques bijoux de fantaisie. Je chamarre des bergères qui n’ont jamais vu le loup, je délace des filles de ferme et des châtelaines, je guêpe des tailles grassouillettes, je pince des servantes, je moule des jambes, je dessine des hanches, j’emballe des pots terreux, des popotins fiers comme Artaban, des prozinards dispos, alertes, impétueux, pensifs... Chaque cul est unique. J’empaquette, je saucissonne, je drape, j’emmitoufle, j’épuise, je domestique des tonnes de chair, des chairs blafardes, blanches comme neige, des chairs moribondes, des chairs rubicondes, des chairs joviales, des chairs affolées et affolantes... J’enfile des jarretières, je prépare les futures mariées, les futures mamans... Je suis en 1349. Un bal. Edouard III d’Angleterre relève la jarretière de la comtesse de Salisbury, sa maîtresse, en déclamant : Honni soit qui mal y pense ! L’Ordre de la Jarretière... A quoi ça tient. Je frôle des tétins de bronze, je remonte des tétasses, je souligne des poitrines naissantes, je joue sur du velours, sur de la soie, je farfouille des dentelles, des mousselines... Aux bonnes acheteuses, j’offre des pendants, un bracelet ou un collier, des colifichets... Trois articles ? Choisissez votre cadeau. Les vêpres sont longs. Je scrute des tapisseries et leurs irracontables rêveries, des peintures écaillées, des carrelages éteints par la lessive, des plafonds badigeonnés à la hâte... Je lis. Je lis... Je suis devenu friand d’Histoire avec une grande H et d’histoires avec une petite h. La grande n’est faite que de petites. C’est ce qu’on chuchote dans les chaumières. Nous voyons le jour dans l’Histoire, nous disparaissons dans l’Histoire. Nous nous levons, nous nous couchons dans l’Histoire. Nous jugeons le passé. Les guerres, les batailles, les révolutions, les peuples, l’humanité... Le lait et le sang se caillent dans les récits. Je traîne mes savates de siècle en siècle. Les hommes ont la colique. La liberté... La frousse d’être libre. Au diable vauvert, au charbon, les dieux et les maîtres ! Ardez les timides banderoles, les défilés foireux, les estrades fanfaronesques... Bistrot, un canon ! Barriques, pieux, pavés... La journanche des Barricades. Paris, 1588 ! Paris, 1648 ! Paris, 1968 ! Paris... Paris... Chaque civilisation a ses anéantissements. Malheureusement, mes aïeux, mes enfants, mes arrière-petits-enfants ne sont plus là pour le découvrir, pour le divulguer. Ils n’en reviennent pas, les poivrots. Ricane, racaille ! Ce n’est pas de tout repos de tournoyer dans les champs fangeux, d’enjamber les charniers, d’écouter les ruines, d’imaginer les tortures, de chanter dans les sillons. Poitiers, Waterloo, Bouvines, Gravelotte... Cette fois, j’étais à Monfaucon, frères humains. Souvent, je passe par Oradour. Je pars. Métro Bastille. Vous ne me reverrez pas de sitôt. Boissonnez à ma santé ! Des tchin-tchin à mon éternelle santé. Le bas résille, les dessous noirs, le caraco, le corsage échancré, la nuisette à trou-trou ou à franges, le porte-jarretelles sont en vogue chez les Ostrogothes comme chez les Gauloises ; chez les Madelons comme chez les Mariannes. Je partage mon cachot. Un chevalier errant, un gladiateur, un mousquetaire... La communale, les colonies, la pension, la caserne... Mon labadens passe pour mon jumeau. Il est dans les spiritueux. Martini ! Ma taulière doit être aux aguets derrière les barreaux de ses mots croisés. Toute une existence à épier qui entre, qui sort, qui va, qui vient, qui frappe, qui sonne. Je vous garde le courrier. Quel exploit ! J’ai un pendentif très coloré pour cette Gorgone aux défenses de sanglier et à la croupe de jument. Ce n’est pas méchant. Une broche assortie. C’est la mienne ! Martini ? Martini. Dès l’aube... Je pars en croisade, patron ! Une véritable expédition. Je ne prendrai pas la route sans faire bénir mes deux chevaux fiscaux et mes armes automatiques. C’est la croix et la bannière, les préparatifs. Ne sais quand reviendrai/Ne sais quand reviendrai/Auprès de ma blonde... A un de ces quatre, patron ! A un de ces quatre. En mai ; je reviendrai ! En mai ! Rereviens quand tutu veux ! Tu seraras toutoujours le bienbien venunu. Salutas Démosthène ! Patron, un ballon rouge pour notre camarade. La prochaine fois, tu me raconteras la crue de 1910. Intarissable ce Démosthène... Comme le fleuve. En mai, je reviendrai ! En mai ! "

 

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