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L’état critique
Derrick et la critique de la poétique

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 Article publié le 10 octobre 2008.

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Quand on parle de « mots-valeurs », il faut se poser la question de savoir s’il n’y a pas là tout simplement un pléonasme, étant donné qu’un mot est obligatoirement une valeur. Il faudrait donc dire « mot-valeur + », afin de désigner une intensité particulièrement. Encore que le risque ne serait pas mince de voir alors une ambiguité se créer, du fait que le signe + ne signifie pas simplement un degré sur une échelle d’intensité mais comporte un élément de positivité, sur une échelle « axiologique », distinguant comme à la racine du psychisme les « bonnes » et les « mauvaises » choses.

Néanmoins, l’intensité d’un mot dans un discours est une chose qu’il est absolument nécessaire de prendre en compte, si l’on tient à dégager une plastique du rythme discursif, qui soit autre chose que l’incantation quasi religieuse à laquelle on nous a trop habitué, sur la question du rythme. Précisément, dans le discours de type incantatoire, ces valeurs intensives se laissent lire aisément. J’avais, en d’autre temps, souligné la « charge psychique » que soulevait le mot « littérature » dans la parole d’Henri Meschonnic, prenant appui sur un entretien accordé par le poéticien sur internet (Littérature sérielle, Po&sie n°101). Je voudrais aujourd’hui rapprocher cette intensité particulière d’un signifiant, intensité de type dramatique, d’une construction autrement riche. Celle de la série Derrick.

« Un meurtre a été commis ». Cette phrase est d’une grande récurrence dans Derrick. Elle scelle le passage entre l’intervention de l’inspecteur (la découverte du forfait) et l’irruption de Derrick dans la vie des protagonistes impliqués, d’une façon ou d’une autre, dans l’action. C’est le mari qui annonce le crime à sa femme, l’ami de la famille aux proches de la victime, l’actionnaire ou le chercheur scientifique à ses associés... Généralement, l’écho est immédiat : « Un meurtre ? », s’exclame l’interlocuteur (ou l’un d’eux). Et la réponse ne tarde jamais : « Oui, un meurtre. » Commence alors la narration du crime (du moins, des éléments qui en sont connus de la police et du témoin).

L’échelle des intensités verbales est plus complexe que celle des sons. En effet, l’intensité est l’un des quatre paramètres employés pour décrire le son (avec la hauteur, la durée et le timbre). C’est sur ces quatre données que le sérialisme généralisé a pris appui, en notant (Pierre Boulez, Penser la musique aujourd’hui) qu’une hiérarchie quasi universelle donnait le primat à la hauteur et à la durée (rythme & tempo) par rapport au trimbre et à l’intensité. Le sérialisme a précisément exploré ces deux paramètres à partir d’une étude d’Olivier Messiaen, « Modes de valeurs et d’intensité ».

Dans le discours, la valeur intensive n’est pas un paramètre. Les éléments primitifs du langage sont autres que ceux du son musical. La musique, disait Benveniste, est une « sémantique sans sémiotique ». Le langage est à la fois sémantique et sémiotique et, si l’on considère le poème comme une « sémantique sans sémiotique », c’est pour souligner la dimension abstraite de la construction verbale que représente le poème. Réellement, le langage articulé déploie toujours, nécessairement, une fonction sémiotique.

L’intensité verbale correspond donc à un dispositif discursif. Et si « littérature » est pour Henri Meschonnic le climax verbal d’une valeur éminemment positive et associée à ce titre à une chaîne de termes relativement close (rythme / sémantique / sujet / poème...), le « meurtre » chez Derrick représente l’oppposé, une valeur éminemment négative. Le crime étant généralement irréparable (à l’exception des cas de kidnapping), le rétablissement de l’ordre dans la narration passe par la découverte de la « vérité », valeur positive qui serait au final l’équivalent, chez Derrick, de la « littérature » chez Meschonnic.

Michel Deguy, à l’occasion de la parution d’un pamphlet du poéticien, avait qualifié Henri Meschonnic de « serial killer ». Il est certain que le style de Meschonnic, non seulement dans la vitupération mais aussi dans l’organisation textuelle de ses ouvrages et jusque dans l’emploi de la citation, relève d’une analyse sérielle. Nous devons tout de même corriger le propos de M. Deguy puisque, très tôt, la lyrique meschonniciennne nous entraîne dans la fiction. Nous envisagerons donc l’oeuvre du poéticien – et nous tenons ici à rappeler combien nous sommes attaché à cette chose volumineuse – comme une série télévisée. On cherche un producteur, au fait. Les compagnies intéressées peuvent prendre contact avec nous en écrivant au Chasseur abstrait, qui procèdera au casting.

 

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