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Goruriennes (Patrick Cintas)
Nue et ficelée selon le kinbaku

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 Article publié le 9 février 2014.

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Cessez de tout chambouler. Vous vous faites mal et vous nous empêchez de faire notre travail. Je vous encule pour vous démontrer que vous avez tort de vous révolter à un âge où vous feriez mieux de cotiser dur en vue de votre enterrement…

*

J’ai grandi dans un feuilleton télévisé sériel à souhait. Paraît même que je pratiquais la masturbation à distance alors que rien de tangible ne me séparait de la réalité retransmise par les réseaux hertziens. Je buvais trop de Loca Loca. Et je voyais le Monde Futur comme si je l’avais poussé moi-même dans les cordes du Ring où je combattais contre le père. J’sais pas pourquoi j’vous parle de ce temps alors que je suis sur le point de rencontrer enfin quelque chose de vraiment définitif, pas soignable par-dessus le marché, un truc comme j’en ai toujours rêvé pour épater les autres et les précéder dans la maîtrise du Saut. J’ai jamais eu l’âge qu’on me donne, un peu comme si ma ruse existentielle consistait à déplacer le temps des conversations dans le champ des possibilités de commentaire. Je commente avant ou après et personne n’est là pour souffrir de ma lucidité. Je suis une espèce de pythie, mais sans le corps reptilien, à l’opposé de toute imagination cinématographique. Je procède par images contondantes, certes, mais je suis toujours innocent. Voilà pourquoi selon mon évangile un parachute est un trou dans un tuyau et non pas un tuyau dans un trou.

*

— On n’est pas pareil à l’intérieur, dit-il d’une voix profondément atteinte par les pratiques spirituelles du raisonnement, parce que vous êtes vous et que je suis… moi. Voici le système capable de créer l’illusion que vous et moi ne faisons qu’un.

*

Il projeta dans l’air des gouttelettes du produit de l’imagination des scientifiques gardiens du progrès et des réserves ecclésiastiques de la Justice. La phosphorescence n’était qu’un habillage chargé de situer le nuage de probabilité afin qu’on y pénètre ensemble. Les gens qui m’accueilleraient demain à l’heure du pouce n’y verraient que du feu.

*

— La différence entre vous et moi n’est pas qu’intérieure, dit le type qui me remplaçait.

— Ah ouais ?

— Nos destins diffèrent, continua-t-il.

— Et la pointure de nos arpions, constatai-je.

Il se pencha religieusement sur cette différence énorme. Je m’inquiétais, mais il mesurait sans éprouver la moindre émotion. Ses nougats poussaient encore alors que les miens sentaient le moisi. Une erreur du système de remplacement ?

*

C’était l’ultime différence : ne pas être d’accord ni sur la même longueur d’onde. Le système prenait des risques avec la télé et les micros. On s’rait p’t-être deux finalement à ce rendez-vous avec la Foule et la Presse.

*

Il aurait pu se passer des tas de choses dans mon existence de terrifié si j’avais été le remplaçant d’un grand poète, mais les poètes de notre temps ne consultaient pas les catalogues de remplacement. Ils naissaient tous avec un remplaçant à la place du cerveau. Le hasard des consultations de catalogue aurait pu aussi me situer dans la lignée de mes ancêtres combattants. Ou bien dans celle des larbins qui ont servi pour pas crever de faim ou de solitude.

*

— Vous m’en voulez, continua-t-il. Vous m’en voulez parce que je vous prive du meilleur de l’existence. Ces orgasmes intracérébraux ne vous satisfont pas. Vous avez besoin de l’érection et de la chair turgescente qui l’appelle et la contient. Sans compter qu’un petit cucul vous ferait le plus grand bien. Je me trompe ?

Il se trompépa. Yavait qu’moi pour me gourer d’endroit et d’heure.

*

Yavait pas d’meufs si on était des mecs. Mais ça m’travaillait de l’intérieur, comme si j’étais pourri depuis toujours et que j’avais tenu l’coup uniquement parce que j’avais assez d’imagination pour ça. Je m’accrochais, mec, et je m’rendais compte que c’était pas mon truc, que j’avais autre chose à faire avant d’y penser. Seulement voilà, j’y pensais pas, pas avant, et ça revenait pour me donner en spectacle alors que j’étais timide et pudique comme un ange gardien. Notre père qui êtes au pieu, n’imaginez surtout pas que ça va durer et que vos enfants mâles en sauront assez pour vous sauver de la poubelle.

*

On entendait vaguement l’horloge universelle faire trembler imperceptiblement les murs de la ville, les vieux comme les nouveaux. On attendit que ce frémissement sidéral s’éteigne sous les couches anecdotiques de l’Histoire. Je connaissais tous ces monuments et la crasse tympanique qui les couvrait sous mes ongles d’enfant terrorisé.

*

Il était rouge autour des yeux et de la bouche. Il montrait des dents entraînées à mordre la poussière pour en saliver la force de revenir à des combats circulaires qui le vivifiaient. Un enfant heureux devient forcément un héros si l’existence prétend lui faire payer son bonheur. Il avait appris ça de la vie. S’il n’avait appris qu’une chose, c’était savoir se servir de la moindre énergie vitale pour revenir intact auprès de l’enfant qui avait rêvé de devenir cet adulte-là. J’en étais baba, philosophiquement.

*

Je scrutais la nuit pour y trouver un chien que je savais à ma portée. Ses yeux brilleraient dans l’ombre comme ceux des chats, mais ce serait un chien.

*

Il faisait jour quand je l’ai habitée, cette ville ! Sans doute au poste de combat d’un simulateur de situations désespérées. Mes doigts retrouvaient la saveur d’un clavier simplifié à l’extrême pour ne pas compliquer le calcul de la trajectoire.

*

Je réfléchissais. Ça tournoyait dans ma tête comme si j’avais pas été prévu pour ça ou tout simplement parce que je prétendais prendre une initiative qui n’intéressait plus celui que je remplaçais sans savoir vraiment si c’était un aussi bon boulot que je croyais encore. Mais je voyais pas la femme.

*

Les signes avant-coureurs de multiples cross-over me rendaient sournois. Je rusais même avec la nuit, sans aucune chance de la tromper, mais elle boulottait en haletant, comme si j’étais pas loin et que je maîtrisais au moins le sens à donner à ses pitreries comportementales.

*

J’hallucinais par intermittences, croyant la voir puis reconnaissant aussitôt mon erreur à voix haute, comme si je lui devais quelque chose, à ce type qui sortait de nulle part, mais qui était exactement à sa place.

*

J’pigeais. Il avait même pas besoin de la tirer de la nuit comme d’une manche qu’il aurait jouée à pile ou face avec un malade de l’idée du chômage comme moi. Mais elle apparut, nue et ficelée selon le kinbaku, trottant à la verticale sur la pointe des pieds, prête à accepter l’épreuve que j’avais conçue pour elle du temps où je remplaçais personne. Elle n’avait pas changé, la Sibylle.

 

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