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Goruriennes (Patrick Cintas)
Si c’était ça, la vie, j’en voulais pas !

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 Article publié le 23 février 2014.

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Nous servons tous à quelque chose ! Sinon, à quoi sert tout ce système qui coûte si cher en marge de manœuvre ? Répondez !

*

J’pouvais pas dire le contraire : ça faisait très mal. Et au premier pet. Mon visage reflété dans la vitre sans tain en témoignait assez. J’en avais le sourire aux lèvres. Un nain me tabassa avec une prothèse. Il surgissait de mon enfance, me dit-on. Qu’en pensait John Cicada qui évoquait la mort de son père dans la marge d’une grande feuille numérique déjà noire d’hypothèses ? Il n’y avait pas de nain dans son enfance, mais il en avait inventé un parce qu’il avait un jour souhaité ne plus grandir. Un désir qui avait passablement obscurci ses rapports affectifs. Il se souvenait de la douleur lointaine, mais aucun incident n’avait émaillé cette traversée du doute et peut-être d’une angoisse assez poreuse pour ne pas passer pour des salades inspirées par une mauvaise lecture.

*

J’ai jamais déambulé dans la zone des tournages. On pouvait se faire un peu d’pognon dans les marges du système objectif-sujet. Mais il fallait que je traverse à pied les studios de plein air pour me rendre au Centre des Simulations Aiguës. Je rencontrais toujours les mêmes larbins à qui l’Industrie du Divertissement et de l’Information confiait des petits transports de marchandises annexes destinées à boucher les trous du décor ou de l’attente. J’aimais pas l’cinéma, mais j’étais un bon film. Spielberg me l’avait dit. Il avait amené des visiteurs dans la salle où je m’habituais lentement à vivre deux passés à la fois. J’étais assis sur la machine, le cul rempli de substances amies, et le mec parlait de moi comme si on se connaissait depuis toujours.

*

Je fermais les yeux. Ça commençait toujours par cette sensation de bien-être. J’étais ni l’un ni l’autre et personne.

*

J’en avais un, mais pas vraiment de verre, avec une bulle de gaz optique à l’intérieur. Il le toucha avec le bec de la canne. Il avait une canne-cane. Il s’était jamais posé la question de l’œil. Il me montra le sien. Il en avait pas encore besoin. Il en aurait peut-être jamais besoin.

— Si jamais vous perdez le vôtre… je sais pas… dans une bagarre… je vous prêterai le mien. C’est un modèle de haute technologie de la vision en coin-coin.

Il éclata de rire.

— On peut savoir pourquoi ? demanda Spielberg.

*

J’ai toujours eu une relation insensée avec le mal dans la peau. Les deux côtés de l’existence étaient couverts d’épines d’acier qui n’avaient pas de noms définitifs et ma dérive consistait à reconnaître mes erreurs, voire mes fautes.

*

— Des fois, expliqua Alice Qand, le système superpose deux personnalités contradictoires qui se combattent dans le virtuel jusqu’à ce que quelqu’un gagne le gros lot. Heureusement, on agit encore à l’instinct dans ce domaine d’application des sciences conditionné par l’appât du gain.

*

Mais j’étais déjà là, mec, et j’comprenais plus vraiment à quoi je servais ni si j’avais intérêt à continuer. Ça circulait en moi comme si j’avais aucune chance de pas finir par trouver de quoi bouffer et entretenir des dépenses pas forcément justifiées par mon train de vie. C’est l’choix des minables congénitaux : suicide ou travail. Mais j’avais jamais essayé le crime. J’avais même jamais assisté à une Cour Criminelle. J’avais voté pour des cons mieux payés que moi, mais le crime m’avait pas inspiré autre chose que le goût de l’énigme et de la sentence aléatoire. Et voilà que j’étais à deux doigts de jouer dans un film de Spielberg !

*

— Vous aurez pas c’boulot, murmura DOC dans le seul tuyau qui me reliait encore à la réalité.

On sait aujourd’hui que je l’ai eu, mais on sait toujours pas après quelles péripéties mentales que j’ai dû subir pour ne pas sombrer dans la mélancolie.

*

DOC envisageait une refonte du récit, mais la complexité des enchaînements lui interdisait toute application systématique, ce qui réduisait son influence à néant.

*

J’aimais tellement d’choses, connard, que j’étais prêt à tout pour me les payer ! Seulement voilà : j’avais pas un rond et rien pour en recevoir légitimement. Est-ce que quelqu’un dans l’assemblée savait que j’avais envie de travailler honnêtement ? En tout cas, personne n’avait l’air d’y croire comme je le croyais.

*

Des rideaux. J’aurais ouvert les fenêtres s’il y avait eu des rideaux pour épater les passants. J’aurais aimé les voir lever la tête pour apercevoir mon nez mutin et mes yeux récidivistes. Mais j’avais pas d’rideaux et pas envie d’en avoir tant que le malheur demeurerait sur le seuil de chez moi, attendant qu’je me décide à foutre le nez dehors pour entrer dans l’existence des autres et les faire chier jusqu’à ce qu’ils consentent à me donner de quoi bouffer.

*

À l’époque, j’habitais dans la zone contaminée de New Paris. Je vivais seul dans un container au premier étage d’un Monticule à Loyer Expérimental. J’crevais pas vraiment, mais j’avais la trouille. L’Armée n’avait pas voulu d’moi parce que j’avais pas la forme requise, ni l’cerveau d’un domestique. J’aidais à la manœuvre partout où on manoeuvrait dans la merde, mais pas trop loin non plus, parce que j’avais des guiboles en plastique importées de l’Ancienne Russie où le froid est encore un instrument de torture au service de la Vérité Révélée. J’avais perdu mes dents dans un choc frontal avec le manque de vitamines et ma peau pelait sous l’effet des agents nettoyants que la pluie colportait de zone en zone au hasard des vents provoqués par les champs de bataille et les extractions de matières premières. J’avais une télé connectée aux bonnes nouvelles et une radio qui pourvoyait des cris de révolte pas chers à l’achat. Et pas un rond pour rendre la monnaie. Quand le Noir est revenu sans ses pattes, je l’avais oublié. Il avait des airs de héros et l’habit qui va avec, une espèce de djellaba avec des pompons et une ceinture dont l’étui était vide. Au mur, il avait punaisé des photos de chevaux. Pas une femme. Ça m’avait choqué alors que moi-même je fréquentais aucune femme. Les p’tits cuculs de mon existence pouvaient appartenir à n’importe qui ou quoi, mais pas à des femmes. J’avais une trop haute opinion de la femme pour accepter l’idée que j’avais encore les moyens de pas m’branler dans l’ombre comme un résistant de la dernière heure. C’était tellement bon marché que j’en abusais et personne m’avait dit l’contraire jusqu’à que ce Noir m’emmène à la pêche aux poissons dans le canal où j’avais déjà noyé tous mes chagrins. Il montait à la force des bras en haut de l’écluse et il se jetait dans l’eau tourbillonnante qui m’avait si souvent donné le vertige. Les gosses lui lançaient des pierres, mais des petites, pas assez grosses pour blesser sa grosse gueule de vainqueur de retour au pays natal. L’éclusier lui demandait alors poliment de remonter, toujours à la force des bras, et j’applaudissais avec les autres. Plus haut, l’eau était calme comme la joue d’un enfant endormi et on lançait nos lignes sous les arbres. J’aimais pas cette attente, mais il s’en nourrissait et paraissait parfaitement joyeux, même quand la pluie se mettait à tomber et que les gens se dispersaient sur le chemin de hallage. On attendait alors que la pluie cesse et on pouvait voir les poissons agiter la surface sous le regard des canards qui se tenaient silencieux sur la berge à l’abri des bancs publics. Si c’était ça, la vie, j’en voulais pas.

 

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