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 Article publié le 13 avril 2014.

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le poème narratif ne sera pas une épopée

nul pays n’ajoutera ses terres à ces mots

mais si tu veux voyager avec moi

sors de toi même et va au bout de ce que tu sais

 

la poésie n’a pas de vocation, rien à dire

elle est comme la carcasse au mur de mon salon

si la tortue l’habitait encore

c’est dans ton fauteuil qu’elle se vautrerait

 

ne conçoit pas le véhicule, ne montre pas le chemin

lance la lance contre le mur

sagaie ou pique elle ne voyagera pas plus loin

que la tortue qui a perdu son sens

pour en donner un à ton attente

 

et ne regarde pas par-dessus ton épaule

tu es à la fenêtre pas au sommet d’une montagne

les mains tranquillement posées sur l’appui peint

aux couleurs du ciel

 

« Ce qui est bien, dit Paterson, c’est qu’on ne fera pas de rapport. Nous sommes en week-end. Divertissez-vous ! Toi le jeu. Toi la chasse (ou la pêche je ne sais plus). Et moi l’aventure sans lendemain. »

 

Il mentait à Gilette. Pourquoi ?

 

Dans le journal ce matin même : « Ne demandez pas l’impossible. Soyez impossible. Notre porte est ouverte de 8h à 22h. Vous trouverez ce que vous cherchez. Sinon, on rembourse. » Gilette : « Ils remboursent quoi ? »

 

reprenons : dit ma conscience : ici :

nous avons attendu que la pluie cesse :

elle n’a pas cessé : une heure d’attente :

sous le regard du chasseur qui mentait

lui aussi : il ne pleuvra pas : ce n’est

qu’une bruine sans avenir : la fenêtre

claquait : vous n’avez pas goûté à :

nos desserts : régionaux : oui : touche

de gris : quand vous aurez fini d’attendre :

revenez : nous aimons les retours :

nous avons pensé à vous : c’était hier :

un an déjà : et là : ce couloir feutré :

on n’entendait pas les portes se refermer :

vous attendrez patiemment que la pluie

veuille bien cesser de tomber : chasseur

au nez rouge : elle s’en est moqué :

et il n’a pas osé rire avec elle.

 

après les muses la patrie

cette terre qui n’appartient à personne

et que chacun porte en son cœur

si le cœur est à chacun

 

mais la solitude n’a pas d’hommes

on ne la voit pas dans les combats

elle ne paye pas de mine

elle traverse le champ du possible

avec des airs de n’être pas de ce monde

et d’en chanter un autre bien meilleur

 

tu ne descendras pas si bas

si tu es aussi seul que tu dis

tu ne donneras rien à voir

tu rempliras les salles

l’air portera tes résolutions

en admettant que la vie

n’est rien d’autre que la vie

 

« Tu mens à Gilette ? » Paterson sourit : « Je mens à tout le monde, dit-il. Je ne te fais pas confiance, mec. Tu y as pensé pendant tout le voyage. »

 

Nous étions arrivés. Gilette s’éclaircit la gorge.

 

le vieux nous l’avait dit : cet endroit est

la porte du monde : les Américains sont passés

par là : armés jusqu’aux dents : pas tranquilles :

le regard furieux : ils venaient de tuer plus de 50

Boches : ceux-là mêmes qui ont tué mon père :

j’ai vu leurs cadavres dans les ruines : sang

impur : les Américains l’ont fait couler : voyez

ce qu’il reste de ces souvenirs : là : cet endroit :

c’est la mort : monsieur : madame : passez

votre chemin : et allez faire ça ailleurs.

 

.comment peux-tu dire (et écrire) qu’il ne s’est rien passé ? Tu ne veux pas me comprendre. Je n’ai pas pleuré une seule fois tellement je t’en voulais. Nous ne repasserons pas par là. À moins que tu en aimes une autre. Tu avais l’air si faux en partant. Tu parlais pour ne rien dire et surtout pour que je ne dise rien. Il y avait trop de monde. Et personne pour te donner raison si la vérité éclatait. Je suis restée seule sur le quai. Plus de train avant demain, me dit-on. Je ne l’ai même pas regardé. Je l’ai remercié. Qui ? En attendant d’en penser quelque chose. Quelque chose qui ne mette pas fin à cette belle histoire. La première et la dernière, je te rassure.

 

ensuite ils ont tiré dans cette direction :

sur quoi : je n’en sais rien : l’un d’eux

hurlait à la mort : comme un chien :

peut-être un Indien : un autre m’a demandé

si j’avais peur : il parlait français :

comme ça : (imitant) : j’ai souri :

mes mauvaises dents ont souri

à l’Amérique : il a eu pitié de moi :

ça se lisait dans son regard : pas

plus vieux que moi : il saignait

un peu : mais ça ne lui faisait pas peur :

il en avait vu d’autres : à la guerre :

on saigne toujours un peu : la peur :

connais pas : les Boches : Couic !

vous ne devriez pas regarder de ce côté :

ce n’est pas que ce soit sacré : non :

c’est même tout le contraire :

ce n’est pas ici que je viens prier :

il n’y a rien à voir si on ne sait pas :

priez de l’autre côté où est le monde :

et laissez l’antimonde aux pauvres

comme moi : comme moi :

 

Je racontais ça à Paterson. Il me croyait. Gilette était déjà entrée dans l’hôtel. Et le chasseur me reconnut aussitôt.

 

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