J’élève la voix et je dis qu’il n’est pas vrai qu’il n’est de rimes nouvelles, quand il est un monde nouveau.
Extrait de La Rime en 1940
Louis ARAGON
Quand ma muse feint d’être en cloque
Et d’étourdir tous mes tourments
Je pousse les beaux sentiments
Mais elle saigne sous sa loque
A la pompe de mon Château
Mettons compains pinte sur pinte
Savez-vous que l’enseigne est peinte
Par un descendant de Watteau
Où sont les vers de Verhaeren
Ô les petits carcans de bois
Des tristes enfances Je bois
Sans soif les eaux de l’Hippocrène
Je fane autour des Hélicons
Les roses de la rhétorique
Les soucis les pensées lyriques
Et les géraniums des balcons
C’est toujours les mêmes histoires
D’amour mais après tout tant pis
Les mêmes mots sur le tapis
Paradis enfer purgatoire
C’est toujours la même chanson
On a beau se faire bigame
Changer de nom changer de gamme
Noyer la peine et le poisson
Choquons les vers verts de Verlaine
Les vers marins de Valéry
Choquons les pots les pots-pourris
Je vous le dis La coupe est pleine
Choquons les chopes de Chopin
Les flûtes les bocks les chopines
Que nous servent des Proserpines
Avec des vers de Richepin
Choquons choquons les vers de Dante
Choquons nos boulets et nos fers
Retroussons les filles d’enfer
Mais n’étanchons nos soifs ardentes
Choquons nos canons nom de nom
Et que ça sue et que ça saigne
Jusqu’à ce que la Mort nous ceigne
La Mort ne sait pas dire non
Avant que la Mer ne me nargue
Ne me laisse sur les galets
Je bois je bois comme il me plaît
A Rabelais à Vauvenargues
Choquons les rouges de Van Dick
Et les verres de Véronèse
Verre épinard verre punaise
A la santé de nos loustics
Choquons choquons nos vidrecomes
Choquons nos dés et nos godets
Dans le vieux moulin de Daudet
Quand nous rimons il faut ouïr comme
Où courez -vous verres à pied
Las des longs dîners aux chandelles
Sur les tables putain d’Adèle
Les tables grasses des troupiers
Je trime J’en oublie le boire
Je repousse tous les goulots
Croyez-m’en et buvez de l’eau
Dans vos calices vos ciboires
Connaissez-vous la règle d’or
Pour surmonter tous les veuvages
Souvenez-vous du vert breuvage
Rincez-vous en le corridor
Les belles passaient dans les glaces
De ce café gare de l’Est
Mes convictions lâchaient du lest
Et le Spleen reprenait un glass
C’est de la soupe de maçon
La Vie de l’étouffe-chrétienne
Grand Dabe à la tienne A la tienne
Je suis épris pris de boisson
Verse tes vers macaroniques
Verse tes vers de mirliton
Tes vermicelles marmiton
Dans le potage électronique
Choquons choquons tous les vaisseaux
Gardiens du bon jus de la treille
Qui pourpre front joues nez oreilles
Dieux faites qu’il en pleuve à seaux
Choquons les vers des villanelles
Des sonnets Tirelintintin
Les vers luisants les vers éteints
De nos tournantes ritournelles
Je lève aminches mon guindal
Trinquons trinquons qu’on se ragoûte
Un doigt une larme une goutte
Un rouge un noir avec Stendhal
Choquons les verts du Primevère
Choquons les vers à deux envers
Choquons les verves de Prévert
Choquons les verres des trouvères
Choquons choquons nos gobelets
Nos brocs nos pichets et nos cruches
Et puis fuyons à dos d’autruche
D’homme de chameau de mulets
Tirons les vers du nez des bardes
Des aèdes des ménestrels
Adam de la Halle Botrel
Comme nous encore bibardent
Je choque tonneaux foudres fûts
Futailles barriques et tonnes
Dans les vignobles de l’Automne
Je suis un soiffeur s’il en fut
On s’en étrangle des négresses
Des rouilles Un coup de rouquin
De rouquemoute Un marasquin
Pour une poétique ivresse
Qui a bu boira Père Ubu
Tu vois je prends de la bouteille
Le croque-mort mord mes orteils
Et met mes plumes au rebut
Dans nos bonnes vieilles bonbonnes
Versons nos vifs versiculets
Quand je buvais du petit lait
Certes j’étais un bon trombone
Plus de cadavres entre nous
Fêtons fêtons Rousseau les cop’s
Diderot Voltaire au Procope
Nous qui ne ployons le genou
2004