Je n’attends plus rien du coin des rues
Pas même un des rares autobus
Qui me débarquaient dans des rébus
Dans des histoires fort peu courues
Pleines de merde et de trous d’obus
Je n’attends plus rien de mon impasse
Sur le froid sur le dur du carreau
Ma muse couche dans son fourreau
Avant de vaguer dans les espaces
Je saigne à blanc tous ses maquereaux
Je n’attends plus rien des grandes orgues
Des grandes orgues d’Albert Raisner
De ces grandes orgues de plein air
Des taroles voilées de mes sorgues
Des violes qui me scient les nerfs
Je n’attends plus rien des danses rondes
Malgré que mon faix chemin faisant
Devienne de plus en plus pesant
Je chante le retour des arondes
La bagatelle la fleur des ans
Je n’attends plus rien de cette gare
Mes convois ne s’y arrêtent plus
Et tous ses romans je les ai lus
Mes gestes et mes regards s’égarent
Aurai-je encor des moments voulus
Je n’attends plus rien de mon rivage
Je fais les cent coups dans un boisseau
Les fées ne brodent plus leur trousseau
Je n’avais soif que de doux breuvages
Je n’avais faim que de fins morceaux
Je n’attends plus rien de votre prose
Sans épines plus rien de vos vers
Qui se tortillent comme des vers
De vase vieux beaux à l’eau de rose
Faux jetons vêtus de vétiver
Je n’attends plus rien de mes deux jantes
Je ne reconnais plus ses rayons
Et je me mélange les crayons
Nous en avons tracé des tangentes
Les passages nous nous les frayions
Je n’attends plus rien de mes griffardes
D’ange d’oie de cygne de corbeau
Plus rien de mes écrits en lambeaux
Plus rien du clair-obscur des blafardes
Plus rien de ma retraite aux flambeaux
Je n’attends plus rien de la marée
Des rafiots au bout de ses rouleaux
Des chants éraillés de delà l’eau
Du vieux papier peint de ma carrée
Plus rien des lointains de mes tableaux
Je n’attends plus rien de mes attentes
Des pas et des propos suspendus
Des fugues sur des chemins perdus
Mais sont-ce là des raisons bastantes
Pour m’estimer à demi rendu
Je n’attends plus rien de mes galères
Les soifs les faims les carcans les fers
Quand je divaguais dans mes enfers
On me reprochait de m’y complaire
Et de n’y avoir jamais souffert
Je n’attends plus rien des belles pages
Où je rapporte par le menu
Les pourparlers les pactes cornus
Les extravagances les tapages
Les toquades de mon pays nu
Je n’attends plus rien de mes idées
Des noires des folles Et pourtant
Elles n’ont tout à fait fait leur temps
Elles sont loin d’être démodées
Des vôtres je n’en dis pas autant
Je n’attends plus rien de mes envies
De rire de pleurer de souffrir
De naitre de vivre de mourir
De tourner de tous les sens ma vie
De fleurir des fées sans m’en férir
Je n’attends plus rien de mes guide-âne
De mes pointilleux couteaux pendants
De mes anges de mes répondants
Pour qui voulez-vous que je me damne
Je suis de plus en plus en dedans
Je n’attends plus rien des carmagnoles
Des mégaphones des calicots
Du crémone qui paie mes écots
Des vieilles branches qui rossignolent
Des champs de blé des coquelicots
Je n’attends plus rien de mon manège
De chevaux de bois estrapassés
Qui tourne dans des souffles glacés
Dans des trombes de pluie et de neige
Je ne suis plus qu’un passant pressé
Je n’attends plus rien de nos boutanches
De marc d’hypocras de guignolet
Aminches compagnons de boulet
La male soif jamais ne s’étanche
Nous aurons tout vu par des goulets
Je n’attends plus rien de mon enfance
Elle m’en a déjà tant appris
Sur le désespoir sur le mépris
Sur la solitude sur l’offense
Que j’en ai gardé le cœur meurtri
Robert VITTON, 2014