Retour à la RALM RALM no 102 - Catalogue du sériographe de Pascal Leray [Ecrire à Pascal Leray]
Chantier n°06 - Poème incendie ou incendie poème
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 Article publié le 19 septembre 2017.

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Années 1994-1995


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INDEX

Ecriture et lecture de Pan de bois – Premiers cahiers d’étude sérielle et formule « arbre fois falaise » - Umberto Eco et la sérialité – Deleuze et le critère sériel – Mise en oeuvre du projet Avec l’arc noir – poèmes séquentialisés et ready-made – Rêve sur le rythme et la série – Multiplication des notations – Articles manifestes et « sérialité de la notion de série » - Avec l’arc noir : jazz et antijazz – Systématisation de la recherche de définitions du mot « série »


DICTIONNAIRE CRITIQUE

Elément *** Etudes sérielles *** Matrice *** Rythme


UNE SECONDE INTRODUCTION AU SERIALISME

Le hasard est toujours une question de forme et l’inverse, réciproquement. Il n’était pas question de formuler un ouvrage dogmatique en suivant cette membrane de la rétrospection qu’était le gros sillon textuel de l’année 1994, qui pour beaucoup préparait l’expérience ou épreuve d’Avec l’arc noir . Les cahiers du Liminaire au jardin apparaissaient comme le moment pivot d’un enchaînement d’exercices issus du cataclysme précédent, la traversée de Rien et du mot "rien".

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La centralité du "moment liminaire" avait peut-être quelque chose de trompeur. Il y avait un avant et un après, certes. Un avant marqué par le tâtonnement et l’incertitude, le souvenir perturbé des lignes de rien rien non rien rien rien etc. qui avaient fait l’objet des traitements les plus déréglés, la difficulté de l’après, en somme. L’ironie était d’écrire, en variant autant que faire se peut la formule : "On ne voit rien". Puis, le moment où l’on voit quelque chose vient : un arbre, une fontaine, une allée, un sol de terre et d’herbes sauvages, du matériel de construction et des outils accumulés çà et là... La lecture de Lao-Tseu, dans la traduction qu’en avait donnée Pierre Leyris, m’accompagnait quotidiennement.

Troisième volet de cette représentation toute symétrique, les productions de l’automne avait surtout l’allure d’un désordre effroyable. Je m’engageais, cette fois, dans laprojection d’un gros poème composé de structures essentiellement sérielles, dont le titre, emprunté à Kandinsky, me hantait depuis deux ans, Avec l’arc noir. Ce devait être une revanche sur le chaos, voyez-vous ?

Je n’avais que faiblement conscience en prétendant établir un petit volume composé de textes autonomes qui devaient se suivre quasi chronologiquement de devoir rouvrir cet épouvantable chantier. Or, chacune des pièces qui le composent souligne la pente quasi fatale qui conduit, sous une même pression de sérialisme à la fois strict et défectif ou "débinaire", de Rien à Avec l’arc noir d’une part mais également à la multiplication d’études sérielles qui, progressivement, sous l’influence sensible de la théorie du rythme de Henri Meschonnic également, évoluent d’une recherche technique à l’interrogation d’un mot, le mot "série" accompagné de tous ses dérivés.

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Il en ressort un gros volume qui forme un objet pareil à une éponge. Il respire pareillement. Il résulte d’un processus long et non productif, la rétrospection dont l’objet est scriptographique et dont l’espace est tridimensionnel ou trisériel si l’on compte la série des textes manuscrits ou tapuscrits qui forment une réalité quasi finie, d’une matérialité de volume et de poids proportionnelle à la volumétrie textuelle d’un côté ; une série conceptuelle, purement mentale, de l’autre, qui correspond grosso modo à la représentation, à la classification que l’on se fabrique de ce volume insondable en cycles, en périodes, en chantiers... qui conditionne généralement le classement réel des documents ; une troisième série, enfin, composée de la masse textuelle électronique qui observe des propriétés toutes différentes d’un lot de manuscrits : soumise à la reduplication indéfinie et ouverte à la transformation continue, cette masse ne permet pas de penser le temps de l’écriture dans les mêmes termes qu’on ne le faisait, plus ou moins, quand on était rivés à la génération mécanique du texte.

Il eût été conforme à la classification établie dans le catalogue du sériographe d’écarter de ce volume la série Rien / RIen - Un train pour ne conserver que les séquelles de cette charge particulière. La téléologie intime du sériographe l’aurait assez mal pris, en fait. Il est étonnant de voir à quel point les désordres de l’automne - et des Cahiers d’études sérielles, en particulier, semblent répondre presque terme à terme au chaos de ce Rien évanoui et qui me laissait, quelques mois auparavant encore, presque sans mots.


LA NUIT DEFIGUREE

Rétrospectivement, on peut se dire que c’était une bonne blague, cette histoire de nuit défigurée. On avait pu imaginer toutes sortes d’exactions à l’encontre de la nuit mais au final, il s’agissait peut-être d’une nuit abstraite, tout simplement.

Voire.

A l’été 1994, j’essayais de réaliser un inventaire des procédures sérielles identifiées. Quand est venu l’automne, il y a eu de petites séries spéculatives, dont certaines ont pu être perdues. Puis la spéculation s’est poursuivie sous la forme de notations parfois ponctuées de dessins et de schémas. Les premiers cahiers d’Avec l’arc noir ont été rédigés à la fin du printemps, peut-être en juin à cause de l’insistance du jardin. Le cahier "Jazz 2" ou plutôt "Jazz" (puisque "Jazz 1" est redevenu "Archevêché", ce qu’il n’avait peut-être jamais cessé d’être) date plutôt du mois d’août. Le journal de l’arc s’est enclenché en juillet, je pense. En septembre, octobre 1995, j’en étais déjà ramasser des bris, des débris.

Et tout ce temps, j’ai pris des photographies sans vraiment y prêter attention.

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Avec l’arc noir trouve son point d’origine dans Le récit ruisselant. Je n’ai pas retrouvé la note qui, contemporaine du poème liquéfié, engage la perspective d’un poème adossé au tableau de Kandinsky. Je m’interroge même sur son existence. Mais l’automatisation extrême du dire qui avait gagné une emprise exorbitante, comme en témoigne le cahier Des ligaments d’été, mettait en danger la possibilité d’une écriture même. Le raz-de-marée issu d’une série d’excitations des forces inconscientes portait en lui sa propre extinction, son propre épuisement.

Dans mon esprit troublé d’alors, ce livre qui n’existait pas et qui était comme l’échelle de corde qu’on tend, du haut d’un hélicoptère, à un homme perdu en haute mer et sur le point de se noyer, était synonyme de structuration. Et la structuration serait obligatoirement sérielle dans son principe.

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Il a fallu du temps pourtant pour rassembler les composantes de ce qui n’était pas exactement un projet. Dans l’intervalle, il y a eu "Rien". Puis, une logique procédurière qui s’est attachée à explorer divers plans. Du sérialisme au minimalisme, se posait alors la question de la répétition et de la non-répétition.

Certaines séquences relèvent d’une poésie itérative, à divers titres car le carcan de la répétition est très étagé, on peut en nuancer l’emprise de mille et une façons. Il y a des plateaux. Dans beaucoup de cas, on séquence le syntagme, ce qui donne le sentiment immédiat d’une logique répétitive. Mais on peut également séquencer la fonction narrative elle-même comme quand on décrit pendant plusieurs dizaines de pages l’ouverture d’une poignée de porte. C’est très "nouveau roman", bien sûr mais ici, il s’agit d’une procédure parmi d’autres. La voix également est sujette à sérialisation et pour ce faire, la seule technique qui m’ait paru valable, c’est le ready made aidé, l’objet trouvé, une expérience qui relie des univers très différents dans les développements récents de la littérature. Un texte de loi, un rituel, un témoignage sont des objets complets que le poème est fort bien susceptible de s’approprier.

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Le recueil intitulé "Avec l’arc noir" n’est né qu’avec une série de poèmes qui forment un cycle complet, aux accents épiques, "Archevêché" qui à l’origine s’est appelé "Jazz 1" car il y avait un "Jazz 2" et surtout un "Antijazz" que je n’ai pas conservé. Il y a eu un autre cahier en revanche, "Archure - archerie", qui n’a pas été intégré au livre d’emblée. Les cahiers qui forment l’épicentre d’Avec l’arc noir sont écrits sous le régime de l’improvisation - et l’essai effectif de structuration qui a eu lieu n’existe plus ! On peut le regretter mais ce n’est pas très grave.

La composition - inverse symétrique de l’improvisation - était défectueuse. La fixation de blocs de texte en un point donné d’un recueil composé, si elle repose principalement sur des velléités démonstratives, n’a aucune chance d’entraîner la lecture dans le flux attendu. Au mieux, on doit espérer qu’elle soit quasi insensible tant on se sera perdu dans l’aveugle spéculation relative à l’éclairage réciproque que portent des poèmes ou fragments les uns sur les autres.

La force de l’improvisation est toute autre puisqu’elle pose les éléments dans un segment de temps qui est lui-même une loi, la plus imprescriptible peut-être. Ici il ne revient plus à l’auteur de justifier du choix effectué dans la sélection et la combinaison des textes et bribes de texte. L’expérience est d’une certaine façon un principe suffisant et, de l’expérience principalement, le temps.

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Sans doute fallait-il encore faire intervenir une autre dimension. Ou, du moins, un autre plan de procédure. Avec l’arc noir est une archive. C’est ainsi qu’a pu être composé le volume qui porte ce titre dans le catalogue du Chasseur abstrait. Désormais, on documente l’arc noir. C’était suggéré, d’ailleurs, dans quelques-unes des pages de l’arc et des séquelles qui ont suivi. Dès lors qu’on propose un poème destiné à faire 800, puis 8 000 pages, ce n’est pas "l’architecture du livre" qui importe - mais son archive.


PAN DE BOIS

La porte ne claque pas
Elle se referme

La porte se referme
Elle ne claque
Pas avec violence

On n’entend
Pas le claquement
La porte se referme

Restée entrebâillée
La porte se referme

Car la fenêtre est demeurée
Ouverte
Provoquant un courant d’air léger

Car quelqu’un
Est
Sorti, poussant la porte sans brutalité
Elle s’est refermée
Très lentement, très doucement
A peine

Elle s’est refermée
Sans même un claquement
Sans bruit

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La porte res-
Tera fermée
Rien (le vent) rien
N’y changera
(le vent) (la por-
te) dans (le si-
lence de) cet
Après-midi

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Presque close
La porte sera bientôt
Entrouverte peut-être N’est-elle
Pas
Déjà entrouverte,

Entrebâillée peut-être ? Non. La porte
Ne se laisse pas ainsi ouvrir
A peine un filet de lumière. A peine
Un filet de lumière. Au sol
Un filet de lumière qui s’éteint

S’éteint. La porte
N’a pas encore été poussée et reste
Presque fermée, comme si elle n’avait
Jamais été ouverte, presque fermée et
Qu’elle n’était rien encore

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La porte reste ouverte
La porte reste ouverte toute la journée
La porte tremble à ce qu’il semble
La porte ne se ferme pas

Lorsque personne n’entre
Et l’on sait que personne n’entrera
On suppute que personne ne fera le pas
Lorsque personne

Ne sera entré
Lorsque personne n’aura élargi l’ouverture et peut-être
Refermé la porte ensuite
Il semblera qu’elle a bougé

La porte n’est jamais fermée
Pas un claquement n’a été entendu ici depuis longtemps
(On ne sait pas depuis quand)
Depuis quand. Pas exactement

Fermée
La porte n’est jamais fermée
Jamais vraiment Pas avant
Que l’on ne se décide enfin à

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Jamais entièrement
Et il y aura toujours un espace, un interstice par lequel
A travers lequel on devrait
On devrait
Pouvoir
Voir

Quelque chose
Vraiment quelque chose, quelque chose dont l’existence
Ne peut être niée
Dont l’importance ne saurait être réduite à peu de chose

Peu de chose
Et l’on ne saurait s’efforcer
De voir quoi que ce soit si c’était peu de chose
Quelque chose dont il n’y aurait rien ou presque rien à dire

Presque rien
On ne voit presque
Rien sinon l’obscurité et un peu de lumière malgré tout
Visible avec l’habitude de la pénombre

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On ne voit presque rien

La porte
Pas un tremblement

La porte reste ouverte
Jamais vraiment refermée

Poussée un jour mais sans bruit
Par le vent

Le vent sans force
Ici presque statique

A peine perceptible
Et à peine une porte, en fait

Un pan de bois, une poignée, de l’air
Dans l’ombre, ni ouverte ni fermée

Presque
Rien, on ne voit

Rien sinon la porte
Pan de bois

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On entend
A peine le vent


WEBOGRAPHIE

Liminaire au jardin
Avec l’arc noir, livre 1, 2009
Avec l’arc noir, espace d’auteur - Revue d’art et de littérature, musique, 2005


BIBLIOGRAPHIE

« Liminaire au jardin » (poème) - Lascaux rasé, n° 0, 1995
« Sous un arc d’eau ». (poème) - Lascaux rasé, n° 1, 1995
« Avec l’arc » (poème) - Digraphe, n° 79, 1996
*Avec l’arc noir, livre 1 (poésie) - Le chasseur abstrait éditeur, coll. « Djinns », 2009


GALERIE

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2004/2022 Revue d'art et de littérature, musique

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