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Choix de poèmes (Patrick Cintas)
Ode à Doña Flores Mejillas Galvez

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 Article publié le 12 juillet 2015.

oOo

Extrait de la [Chanson d’Ochoa]

 

Doña Flores Mejillas Galvez ne dort pas la nuit. Les autres

Ne couchent pas dans son lit. Elle n’éteint pas la lampe

Tempête électrique. Elle ne ferme pas le livre non plus.

 

Les fenêtres de sa chambre sont ouvertes, l’une sur la place,

L’autre sur un jardin qui ne lui appartient pas. Elle partage

Le privilège de la Petite Perse avec sa voisine, pure amitié.

 

À l’école, les enfants aiment ses réponses claires comme son regard

D’étrangère. Les jours de pluie, on attend une éclaircie

Pour la suivre dans les allées du jardin tropical.

 

Elle aime les fleurs mouillées et le terreau des chaussures.

Les enfants la suivent comme si elle avait le pouvoir

De les discipliner sans effort. Chez eux, les enfants sont

 

Capricieux et quelquefois obscènes. Elle coupe la parole

À des mères exaspérées et amoureuses. Des livres apparaissent

Dans ses mains, surgis de nulle part, pure invention.

 

On ne s’approche guère de cette femme, ce qui entretient

Le secret de sa pureté. Elle boit de l’orgeat aux terrasses

Avec des femmes silencieuses venues d’un autre pays, autres mœurs.

 

Pluie et vent sur ces fenêtres qui conservent leur apparence

D’ouverture. Le balcon s’est enrichi d’une floraison broussailleuse.

Le vernis des pots rutile sous les coups de soleil.

 

La porte donne directement sur un escalier sombre et rapide.

Elle vous abandonne sur le trottoir à l’ombre d’une façade

Trouée d’une seule fenêtre et d’un œil-de-bœuf habité

 

Par un couple de tourterelles. On entend un accompagnement

De guitare et sa voix, belle analogie avec l’oiseau générique

Qu’on imagine dans les moments de détresse lent et précis

 

Comme la transparence du verre. Mejillas est mort sous les balles.

On a recrépi ces murs depuis longtemps mais quelle obsession,

Ces déchirures de chemise ! Quelle fantasmagorie maintenant

 

Que la paix et la liberté sont nécessaires ! Flores écrit

Des chansons entre les lignes de son héritage familial.

Il n’y a guère que ce guitariste qui entre et sort

 

De sa vie. Son témoignage lasse un peu, à force de répétition

Mais ce n’est pas la seule raison de l’ennui et de la hâte.

Il explique comment Flores visite les marges de la tonalité

 

Et on se sent mal à l’aise. La même voix enchante les enfants

Au moment où ils ne s’attendent plus à la tranquillité.

Le piano de doña Pilar répond quelquefois à ces accords majeurs.

 

Il y a une croix dans la vie de Flores, personne ne doute

De l’existence de ce reflet et le miroir n’apparaît pas

Malgré l’effort, malgré la profondeur de la réflexion.

 

On imagine la langueur de ce corps réduit à l’application

Quotidienne. Au printemps, elle inaugure des robes blanches.

De ces promenades interminables, elle ramène de quoi complémenter

 

Indéfiniment un herbier. Dans ses mains, à part les fleurs

Et les récoltes, il y a souvent une partition annotée, griffures

Noires et pointues de son écriture au contact d’une autre précision.

 

Priez pour doña Flores ! Priez pour l’homme qui l’a détruite !

Priez pour les enfants qui ne sont pas nés de cette union !

Priez jusqu’à ce que les larmes vous sortent des yeux !

 

Elle est triste au lieu d’être mélancolique ou furieuse.

Elle travaille méticuleusement, donnant le spectacle d’une lutte

De tous les instants avec la paresse. Ochoa la rencontre

 

Par erreur. Elle revient des moulins et remonte la rue,

Un pain sous le bras. Il demande pour le pain, sans prononcer

Un seul mot. On devine la berge et le sentier. Elle ne s’étonne

 

Pas de rencontrer un inconnu. Elle ne voit peut-être pas

La nudité, le walkman, le chapeau de paille rempli d’un soleil

Impitoyable. Elle se retourne pour montrer les ailes des moulins.

 

À quelle heure se lève une femme qui ne dort pas ? Ochoa s’incline

Et trottine vers les moulins. Il ne rencontrera personne. Elle

Revient, monte l’escalier, nourrit les oiseaux des cages, cueille

 

Un fruit dans un compotier. Des lys larmoient sur la nappe,

Étourdissant d’obscénité. Elle évite le vis-à-vis de deux miroirs

En abîme, ne pénètre dans aucune possibilité de disparaître

 

Avec les transparences et la clarté s’accroît. Elle provoque

Les premiers chants d’oiseaux et la Petite Perse est traversée

De matérialités confuses. Cette femme est une miniature

 

D’ivoire et de pigments à regarder en contre-jour. Elle éteint enfin

La lampe. Elle range le livre et fait le lit. Une gorgée d’eau vive,

Vite et profondément, comme ne boivent pas les hommes que la même

 

Tristesse désespère un peu plus chaque jour, tristesse des immobiles,

Des inexplicables, des importuns. Le pain trempé dans l’eau vive

Est sa seule nourriture si l’on ne compte pas le fruit cueilli

 

Pour épuiser sa source. Expliquez autrement les rougeoiements

Du visage et les répliques obscures ! Expliquez la complexité

Des pas si vous désirez aller au bout de la recherche.

 

À sept heures et demi, doña Pilar lui téléphone. Viens ! Je suis

Au Limonero. Ochoa. Christ. Flores change ses habits. Ce matin,

Elle a chaussé ses bottes de cavalière. Quel jour sommes-nous ?

 

Oui. Oui. Ce matin. Un pain. Je revenais. Le dimanche, les

Vagabonds se donnent rendez-vous. Nous sommes si charitables

Le dimanche. Beaux bras nus de doña Flores à la fenêtre.

 

Au Limonero, il n’y a plus d’hommes excepté don Felix qui a chassé

Ses démons. Les femmes sont assises ou prêtes à s’enfuir.

Ochoa sourit. On lui donne du vin qui mouille ses yeux.

 

Un renard ? Flores grimace. Elle a noué le foulard autour du bras.

Petit chapeau aussi, paille bleue et ruban rose, un oiseau de plumes

Se détache, œil de verre. Il y avait de la buée dans le sac

 

De plastique. Une femme caresse la joue d’Ochoa comme on caresse

La joue de bébé avant de lui donner le sein. Sa chevelure

Éclabousse le visage du vagabond. Qui es-tu, chevalier d’ombres ?

 

Don Felix hausse les épaules. Do you speak english ? Parlez-vous

Français ? Deutsch ? Ich... eskualduna... Siècles des siècles !

Je suis Manuel, le propriétaire des lieux. Mon vin, le pain de

 

Don Matías. — La femme caressait la joue et approchait son visage.

Il y avait de la douceur dans ces regards, une douceur de dimanche matin

À huit heures moins cinq. Encore cinq minutes et nous nous en irons.

 

Pour aller où ? dit doña Pilar. — Oui, où irez-vous ? ajoute Flores,

La belle aux bras nus avec son petit chapeau bleu et son oiseau

De pacotille qui bat des ailes en attendant le moment favorable.

 

Don Felix consulte toutes les langues. Babel, ici, à ras de terre.

Il consulte aussi la langue des sourds-muets. Échec ! Échec ! Nous

Ne saurons jamais qui il est ! — Impossible ! décrète le magistrat-poète.

 

Priez aussi pour ces hommes qui prétendent en savoir assez

Pour guider les autres hommes sur le chemin de la droiture.

Priez pour leurs enfants et pour la durée de leur mandat.

 

Huit heures ! Flores agite sa montre-bracelet. Allons couper les fleurs !

Et le renard ? Don Felix se charge du renard. Manuel offre

Un morceau de ficelle pour faciliter le transport. Encore un peu

 

De vin ? Ochoa s’enivre. On ne boit pas sans faim. Encore du pain

Et du jambon. Flores abandonne des fruits et doña Pilar

Ne peut pas s’empêcher de penser à ce compotier de verre.

 

Es-tu si étranger que nous ne sachions te parler ? Tu es si beau !

Non. Il est tragique. La rousseur de ses cheveux. Les Juifs

De Palestine sont rouquins. Les vignes de Palestine. Le Jourdain.

 

Une femme commence à pleurer. — Je suis doña Pilar, la maîtresse

Des lieux. Tout m’appartient. Je possède la terre et l’air, c’est-à-dire

L’eau. Je ne sais rien du feu mais j’observe les hommes.

 

— Je suis ce qu’on veut que je sois. Priez pour nous, pauvres

Anarchistes. Priez pour les os de nos fusillés. Priez si prier

Vous inspire l’amour des autres. Je suis de chair et je le dis !

 

Manuel ne franchissait pas le seuil, une grosse pierre taillée

Sur place. Le rideau de perles se peuplait de mouches.

— Je ne sais pas ce qu’il faut en penser, dit doña Pilar

 

Au risque de décevoir les autres femmes venues pour savoir.

Il n’y a aucun rapport entre Ochoa et le renard. — C’est ce qu’on

Va voir ! dit don Felix en nouant la ficelle avec une application

 

D’insecte au travail de sa proie. Ochoa répond aux sourires

Par d’autres sourires. Rien d’écrit sur lui. Don Felix niera même

L’existence du walkman. Quelle importance, cette musique que personne

 

N’a entendue ! — Si les abeilles avaient huit pattes, ce seraient

Des araignées ! — Les abeilles butinaient dans la vigne, innombrables.

Des araignées ? Les abeilles ? Je ne sais pas. Quelle différence

 

Entre l’homme et cet homme ? Don Francisco arrive sur sa bicyclette.

Il vient chercher les fleurs pour l’office. Flores se mord les lèvres.

Si les fleurs avaient plus d’un an d’existence, quel âge aurions-nous ?

 

Don Frasco n’est jamais tombé de sa bicyclette. Ceux qui s’imaginent

Que c’est déjà arrivé sont victimes du sommeil. C’est un renard

Trouvé par don Guillén. Doña Pilar se mord les lèvres. Scotchez-le

 

Encore ! dit don Francisco. Manuel lui apporte le vin, un verre

Transparent pour que chacun puisse témoigner de la quantité.

— Ce renard n’est pas un renard comme les autres. Priez pour

 

Ceux qui ne ressemblent pas aux autres, anarchistes revisités

Par les fantômes des morts des échafauds. — Nous ne les pendions pas.

Ils mouraient comme des mouches au bout de nos fusils d’assaut.

 

— Qui es-tu ? Tu ne le sais pas ? Tu ne veux pas le dire ? Tu ne sais

Pas comment on le dit dans notre langue ? Il n’a pas l’air d’avoir peur.

Ne lui donnez plus de vin. Couvrez ce corps. Quelle heure est-il ?

 

Ou quel jour sommes-nous ? C’est la question du temps qui nous retient

Ici, parmi les autres. Nous préférons les enfants aux autres. Priez

Pour ceux qui ne font pas la différence entre un homme et son prochain.

 

Christ. Douleur du fils et de la mère. Père parallèle et muet.

Frères et sœurs du recommencement et pas de recommencement

Sans attente. Peupler l’attente de rites. Les jours et l’heure.

 

Quelqu’un emporta le renard. — Voici une chemise, une culotte et

Un peigne. Ochoa, la docilité, pas un signe de révolte qui couve

Sous le feu d’une submissivité mise à l’épreuve des mains.

 

Que sait-il du renard ? Il est passé par le même chemin. Le renard

Était encore chaud quand moi-même, le suivant... Quel est ton nom ?

Ochoa ? Tu aimes le vin ? Tu avais faim ? C’est dimanche aujourd’hui.

 

Le savais-tu ? Que sais-tu de ce renard ? — Et si nous allions

Couper les fleurs de l’Office ? Voici nos corbeilles et nos couteaux.

Elles descendent dans le pré fleuri. Les talus étincellent.

 

Ochoa les suivit, comme amusé par la perspective de l’agitation.

Don Francisco verticalisa la bicyclette et l’enfourcha.

On le vit mettre pied à terre au bas du chemin montant vers

 

L’église. Quelle belle différence entre l’histoire de l’homme

Ordinaire et les prophètes de malheur ! Elles arrachaient les mauvaises

Herbes et coupaient les tiges au ras de la terre, tangentes

 

Obliques des couteaux. Ochoa accepta une brassée d’asphodèles.

Voici les aubépines de nos murs et les roses de nos jardins.

Elles récitaient la flore et des animaux les pourchassaient.

 

Ochoa paraissait apprécier la compagnie des femmes. Don Francisco

Cadenassa le cadre de sa bicyclette à la verticale d’un figuier.

Juché sur les fortifications, il s’indignait doucement.

 

Les corbeilles se remplissaient. On les aligna sur le talus

Au-dessus du chemin. Un fardier passa, chargé de marbre,

Une commande de dernière heure. Impossible de ne pas travailler.

 

Ochoa ne s’approchait pas des couteaux, comme s’il les redoutait.

Les gerbes de fleurs s’interposaient entre les femmes et lui.

Christ. Tu es le Christ et nous sommes capables de recommencer !

 

Il admirait la sueur des épaules, proposant la sienne une fois

Que les couteaux s’étaient éloignés. Elles lièrent le premier

Bouquet et le dressèrent entre Ochoa et une femme qui riait.

 

Les couteaux s’activaient. Il retenait le poignet de la femme

Et riait avec elle. N’était-il pas heureux de rompre le silence ?

Don Francisco, là-haut, ne comprenait pas le bonheur des femmes.

 

Doña Pilar travaillait comme les autres. Priez pour cette femme

Qui inspire les autres. Elle épongeait son front dans un mouchoir

Brodé d’autres fleurs et le petit chapeau de Flores rendait un écho

 

Subtil. Oiseau retenu par les pattes. Don Francisco donna le signal,

Claquements de main, autre écho qui traversa la tranquillité d’Ochoa

Comme un signe d’inquiétude. On le chargea de deux corbeilles.

 

Comme il étrennait une nouvelle chemise et que la culotte baillait,

Il avait l’air gauche dans la montée. Des enfants mal réveillés

Le poussèrent comme si d’un âne il se fût agi. Priez pour les enfants

 

Qui obéissent pour ne pas avoir à se réveiller tout à fait. Ceux-là

Semblaient appartenir à un rêve. Pourquoi ne pas utiliser le vélo,

Don Francisco ? — Les pneus. Ils sont fragiles. Chers les pneus.

 

Au passage, Ochoa se laissa intriguer par la mécanique et par la chaîne.

La selle luisait comme un vieux meuble. N’as-tu jamais possédé

Quelque chose ? Don Francisco le surveillait du coin de l’œil.

 

Laissez passer doña Pilar et la première corbeille, celles des

Aubépines et des fougères. La maîtresse entrait cérémonieusement

Par la petite porte et l’hôte lui offrait un bras dépourvu

 

De surface. La netteté des lieux sidéra Ochoa. Il gémit son

Admiration, presque sans pudeur. Christ. La cloche tinta

Dans un coup d’essai. L’oreille de don Francisco frémit.

 

Des femmes tiraient l’eau du puits, l’une d’elle à cheval

Sur la margelle et une autre retenant la porte. Ochoa éprouva

Un vertige à la vue de cette profondeur obscure. L’eau se répandait

 

Dans l’allée de pierres, envahissant les interstices, croisant

Les parallèles de l’agencement et finalement disparaissant sous

Les bordures de briques. Les pots voyageaient du puits à l’entrée

 

Secondaire de l’église. Il entra dans un plan saturé de perspectives.

La nappe disparaissait derrière les bouquets que l’eau nourrissait

De déploiements triangulaires. Doña Pilar tira Ochoa par la manche

 

Pour lui montrer le prie-Dieu qu’elle lui offrait avec plaisir.

Il contempla la plaque de cuivre gravée. Je m’appelle Pilar.

Elle n’osait pas lui demander s’il avait appris à prier. Christ.

 

Les femmes s’agenouillèrent. Que sais-tu exactement de mes pensées ?

Sans les hommes, de quelle fille naîtrais-tu ? Pourquoi cette complexité

Biologique si la vie est une œuvre d’imagination et de génie ?

 

Ochoa ouvrit la bouche mais il n’en sortit rien que le son de la cloche.

 

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