Extrait du Cancionero español.
L’enfant croissait dans les eucalyptus et les pins, découvrait du haut
Des murs, éprouvait sa vitesse au contact des chemins, l’enfant s’étourdissait
Au lieu d’apprendre plus que ce qu’on exigeait de ses mains, enfant
Donné faute de pouvoir lui enseigner la richesse. Rien que cet enseignement
M’aurait sauvé de l’épuisement et des mauvaises postures. Je ne pense plus,
Disait l’adolescent à l’aïeul enfoui dans le fauteuil pissé de son attente.
- Tu seras soldat ! prédisait le Mathusalem qui avait connu ce désir de partir
Pour être riche ou intelligent. Il évoquait des visages obstinés, soldats
Et commerçants, un poète qui écrivait des chansons, un marin qui entretenait
Des femmes, et des bergers, beaucoup de bergers et de cueilleurs de fruits,
Des hommes qui avaient changé de décor et qui n’avaient pas trouvé la force
De revenir dans ces conditions d’une humiliation bien compréhensible,
Bien compréhensible. L’enfant croissait dans ces existences lancées
Comme des pierres de l’autre côté du canyon, n’atteignant pas l’autre côté
Mais prometteuses malgré tout de cet écho parfait. Il y avait d’autres
Enfants. On trimait. C’était il n’y a pas si longtemps, Francisco Franco
Bahamonde flattait l’épaule du roi futur après l’avoir fait sauter
Sur ses genoux. Le portrait retouché du Caudillo figurait en bonne place
À l’église, avec son accompagnement de petites fleurs et d’ex-voto
Punaisés dans le bois dur et opiniâtre des lambris. D’où venait cette
Humidité ? De quelle profondeur, de quelle cavité parallèle ? Les enfants
Se poursuivaient sous l’influence des regards. Tu seras soldat, voulant
Dire qu’il n’était pas doué pour le commerce et que l’aventure réservait
Le combat et les reconstructions à l’homme en butte avec ses origines.
Intelligent, ils t’auraient proposé l’apprentissage de la menuiserie
Ou de la maçonnerie. Tu guidais les ânes sur l’aire de battage, les pieds
Dans les fèves dures, salué par des filles rugueuses, mordu des chiens.