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J'étais au lit avec un gros tas qui me retenait...
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 Article publié le 28 octobre 2018.

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J’étais au lit avec un gros tas qui me retenait par le bras que j’avais coincé sous sa tête. Elle dormait la gueule ouverte perdue au milieu de sa tignasse en fil de fer. Comme elle avait l’habitude de pas se lever avant midi, j’ai calculé que j’en avais pour des heures à me coltiner ce bras mangé des fourmis. Encore heureux que j’en fusse à supporter ce prurit et sans gueuler comme j’en avais envie ! Je savais que je finirais par ne plus rien sentir du tout et qu’à ce moment-là mon bras serait vidé de son sang. Si elle se réveillait pas avant midi, j’étais bon pour la gangrène avec des visions de léopard et de vol au-dessus de la montagne. Fallait que je trouve une solution. Et fissa ! J’ai bien pensé à un truc genre cyber que j’aurais acquis ce bras en Russie ou en Chine sous forme de prothèse programmée pour durer longtemps. Il me suffisait alors de le déconnecter. Je veux dire physiquement. Je le laissais agir en réseau au cas où j’étais repéré, voire mis sous surveillance active avec possibilité de destruction totale ou partielle comme cela se passe quand on n’y pense plus. C’est facile avec une prothèse. Il suffit de dévisser ou de tirer dessus. Des fois même la connexion est du genre Campagnolo. J’ai pratiqué la bécane dans ma jeunesse. Je serais pas surpris par le dispositif toujours un peu obscur qui retient la roue à la fourche de façon a priori inexplicable. J’en avais résolu des problèmes depuis ! C’est comme ça qu’on vieillit. On tombe dans l’a posteriori

La solution n’était pas malfaisante. Cette dondon baveuse et écrasante pouvait continuer de rêver dans son monde parallèle et moi je filais dans la nuit avec un seul bras. Balaise si c’était le bras armé… je pouvais l’espérer. Sauf que j’étais à poil et que mes fringues étaient éparpillées dans cette vaste demeure dont j’ignorais l’architecture. J’avais pas eu le temps de l’étudier. Elle m’avait sauté dessus et dépiauté en route vers le lit sans me demander mon avis sur la question des préliminaires ni rien. En plus, tout était noir, à croire que tout était peint en noir, même la lumière. J’en bandais à plus pouvoir me retenir d’éjaculer pour oublier, exactement comme on boit. Ou plus exactement comme on finit par boire après les péripéties de l’ennui et de la douleur.

Voilà où j’en étais. Et comme mon horloge interne était externalisée dans le bras que j’avais l’intention d’abandonner à son sort, j’ignorais tout de l’heure. Si ça se faisait, on était à deux doigts de midi. Mais j’avais pas les moyens d’en savoir plus. Et j’avais une sacrée envie de me sortir de ce pétrin. Même manchot. J’avais toute la vie devant moi. Je retournerais en Mongolie pour chiner. Personne pourrait m’empêcher d’y aller avec autant de fric que nécessaire. J’oublierais pas d’acheter une yourte miniature à Molly qui raffolait de tout ce qui tourne en rond. Il paraît qu’ils en font avec du crottin qu’une fois métallisé on dirait de la porcelaine de Havilland. J’aime faire plaisir à cette pute. Elle se contente d’un rien. Pas comme ce gros sac que je sais même pas ce qu’elle contient. Si ça se fait : du cybernétique. Que c’est une science. Une science des processus de commande. Elle est assez volumineuse pour la contenir toute cette science. J’en avais de moins en moins des fourmis. Je sentais la possibilité d’un œdème. Ça me rendrait fou de perdre un bras dans ces conditions absurdes. Voilà à quoi je le résumais l’absurde de papa. Et si c’était un bras en chair et en os que j’avais, je pouvais me résoudre à le ronger à la base comme une bête prise au collet. Cette perspective ne m’enchantait pas. J’aime pas le goût du sang. Alors le mien !

Bref je savais pas quelle heure on était ni si j’avais la possibilité, d’une manière ou d’une autre, de me déconnecter. Je pouvais toujours rêver. Ya rien comme la fiction pour vous emporter hors de l’enfer où on a l’habitude de croupir comme l’eau stagnante des marais. Elle avait cette odeur, ma compagne du moment. Comment qu’elle m’avait arraché au buisson ! Et sans se soucier des épines. Ni pour elle ni surtout pour moi. J’en ai hurlé tellement qu’elle m’a enfoncé un de ses tétons dans la bouche et que je me suis mis aussitôt à pomper comme si je venais de naître. Ça se déchirait partout autour de moi. J’en avais perdu mes fringues. Je me souviens maintenant que deux minutes plus tard c’était pas mes fringues qu’elle m’arrachait avec gourmandise : c’était ma peau. Elle avait fait de moi un écorché vif et je gisais sous elle sans espoir de cavale dans le monde. D’ailleurs qu’est-ce que je connaissais du monde… ? À part Chico Chica je veux dire ? Rien. Rien de rien. Et ça expliquait la complexité de la situation.

J’en avais plein des solutions. Mais rien dans le genre mystère de la chambre jaune. De temps en temps, je sais pas à dans quel intervalle de souffrance mentale, j’enfonçais un doigt bien raide dans sa chair assoupie. Elle poussait alors un soupir que je pouvais pas confondre avec un dernier râle. Cette baleine en jouissait de mon doigt ! Et mon bras se réduisait encore dans le champ des fourmis. J’étais pas doué.

La chambre, si c’était une chambre, où j’étais séquestré par le bras, n’avait pas de fenêtres. Ou si elle en avait, elles étaient bien cachées. Aussi, le soleil pouvait bien se la toucher sans déranger le sommeil de la dormeuse pléthorique. J’y verrais jamais rien dans ces conditions. Je tâtais ce qui me restait de bras sous les plis de graisse et d’eau. Ça sonnait russe ou chinois, mais j’avais des doutes. J’arrivais pas à les refouler dans les tréfonds de ma conscience. C’est le genre de malaise qui vous empêche d’écrire : vous ne savez plus. Et sans ce savoir, vous manquez le coche et le récit se brise comme un miroir trop fidèle. J’en étais là. Au bout de deux éjaculations forcées, j’étais sur le point d’abandonner. Et voilà que cette excessive inspiratrice se met à tirer une langue que si j’en avais une de cet acabit je te vide les poches du lectorat en moins de deux. Elle bave dans mes poils, cette langue toute nouvelle pour moi. Du coup, le sperme recueilli dans le but de lubrifier mon bras endormi me paraît franchement insuffisant. La bave est en train de noyer mon poisson. Mon bras retrouve quelques fourmis pas très conscientes c’est vrai mais fourmis jusqu’à l’os. J’en conçois de l’espoir. Et le bras pivote dans les plis. J’ai même l’impression qu’il est en train de s’en libérer. Je m’active ! Je travaille ! J’y arrive peut-être… Qui sait ?

Ah c’est quand même mieux la bave que le sperme pour entreprendre de retrouver la liberté perdue après l’amour ! J’y étais presque. J’en murmurais, moi qui m’en tiens toujours au silence quand ça arrive malgré tout. J’en aurais prié à genoux si j’avais pu m’y mettre. Han ! Han ! Ça coulissait et ça tournait ! Pas grand-chose au regard de l’ampleur de la tâche, mais ça me donnait du courage et j’en profitais pour prévoir. Pas d’action inconsidérée, me disais-je. Faut prévoir. Où que j’en suis ? Merde ! Où j’ai mis les pieds sans le vouloir ? Et voilà-t-y pas qu’elle ouvre un œil ! Un œil de Polyphème. L’autre n’a plus d’importance à ce stade de la progression dramatique sans laquelle il n’y a pas de solution crédible et surtout partagée.

« Qu’est-ce que tu fous ? qu’elle me dit sans cesser de baver gras.

— Il est midi… ? »

C’est tout ce que j’ai trouvé à dire. J’aurais plus en dire plus, mais j’avais la gorge nouée du pendu qui s’élève lentement vers le ciel de son pays. Malheur ! J’en avais trop dit !

« Si t’arrêtais de te branler en ma présence… fit-elle en bâillant.

— J’ai des fourmis ! m’écriai-je. J’en espérais pas tant !

— Il est midi, » grogna-t-elle comme si c’était de ma faute.

Vous pouvez pas savoir ce que ça fait du bien de plier un bras qui menaçait mon existence d’amputation. Ce gros tas s’éloignait dans le noir. J’entendis un bruit de rouille et la lumière m’inonda comme le pipi au réveil. Elle apparut dans toute sa splendeur. J’avais jamais rien vu d’aussi parfait. Et je me suis caché les yeux pour m’en vouloir. J’ai tout de suite senti sa main qui trifouillait mon appareil.

« Tu t’es tellement vidé, mec, qu’il en reste plus rien pour moi. T’aurais pas dû. C’est le matin que j’en profite le mieux…

— Je suis un impossible narrateur ! »

Qu’est-ce que j’avais crié ! C’était pas dans la bave que je gesticulais, mais dans ma sueur. Elle avait raison : j’étais malade. Et c’était moi le gros tas plein de sécrétions inavouables. Le récit venait de basculer dans son sens. L’initiative lui appartenait maintenant.

 

 

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