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Article publié le 10 février 2019. oOo Et voici ce que nous lûmes, Signé Renaud Alixte :
*** Le poète est un homme nu ou nue est la femme si c’est un poète et ainsi je m’avance dans mon époque nu si je suis un homme
O grandeur de la mesure quand il faut la prendre !
Ce monde n’est cruel que d’appartenir aux hommes
S’il appartenait aux poètes hommes nus, femme nues, nous y serions heureux et même riches !
Mais Dieu ne le veut pas. Ou il ne le peut pas. Comment savoir ce qui se passe à cette altitude ?
Même nos gouvernements sont difficiles d’accès. Le Chef aussi n’est pas facile à rencontrer seul à seul, sauf pour se faire engueuler et tant pis pour les primes de fin d’année !
Marions-nous ! Toi et moi sommes nus. Homme ou femme, qui que tu sois, épouse-moi sans autre cérémonie que le contact de nos peaux !
Et écrivons ! Voilà le papier qui sent bon le papier. Et voilà la plume avec sa bille et son capuchon. Et voilà la fenêtre pour regarder dehors…
… ce monde qui ne veut pas de nous, de notre bonheur, de notre richesse, ce monde qui devient immatériel à l’intérieur du matériel… comme il est orgueilleux ! et comme nous sommes simples !
Profitons de notre retraite ! Partons avec l’argent du voyage ! Et arrêtons-nous au bord de la plage ! O comme cette rime est belle ! Nous qui n’en voulions plus de cette rime qui a tant dépoétisé notre monde de simplicité et de sentiments non moins faciles à comprendre par tout le monde.
Mais le monde, CE monde est-il encore le nôtre si une rime nous rappelle qu’il en faut de la peine pour arriver à écrire ce qu’on pense !
Il pleut ? Il neige ? Qu’à cela ne tienne ! Ô nouvelle rime ! Notre peau nue supportera ces atteintes cruelles ! Et ils entendront nos poèmes, car le vent est notre ami et il sait les porter comme nous portons nos bagages.
Voilà notre nouveau bonheur ! Franchissons la frontière pour devenir international et changeons aussi de religion pour ne plus ressembler à ceux qui nous ont chassés du mérite national et de l’honneur qui va avec.
Et s’il ne faut pas être nus pour cause d’exhibition sexuelle, alors revêtons le cilice ! Et souffrons ensemble de n’être pas compris !
* Un attentat ? Un drame national ? Vite ! Écrivons un poème ! Et comme il est interdit d’en écrire un pour soutenir ces pôvres terroristes, écrivons-en un pour pleurer avec les crocodiles.
Je suis ce que vous voudrez, ô maîtres de mon destin, pourvu que je sois publié !
Moi qui ne souffre pas d’être juif, ni pauvre, ni exclu de la parole, je m’élève contre tout ce qui fait des trous dans le drapeau.
Ô passoire nationale, que ta soupe me nourrisse et fasse de moi un citoyen au-dessus des autres par différence de traitement.
J’aime la police, la répression, les prisons, les pacifications et les monuments qui pèsent sur la mémoire au moment où le père et la mère n’ont plus leur mot à dire.
Intégrons tous ensemble ! et que le sang impur se change en vin ! Pour le pain on se le disputera encore longtemps, mais que voulez vous, c’est notre nature…
* Il était une fois un petit poète qui avait la bouche en cœur et un cul de poule.
Il avait bien des choses que les autres n’ont pas.
Alors il voulut à tout prix que cela se sût.
Il voulut même qu’on le publiât.
Mais on ne le publia pas alors qu’il avait couché avec la bibliothécaire de sa petite ville.
Que s’était-il passé qui l’empêchât d’être publié alors qu’il avait tout fait pour que ça n’arrivât pas aux autres ?
Il interrogea sa muse : « Muse, ô Muse ! Qu’arrive-t-il à ma poésie ? Personne ne veut la publier et pourtant j’ai couché avec Angèle comme c’est écrit dans la Constitution ?
— Petit poète municipal, lui répondit la muse en chaleur, il est vrai que tu as la bouche en cœur et un cul de poule, mais ce qu’Angèle apprécie plus que la bouche et le cul, c’est le talent. Or, tu n’en as pas.
— Ça alors ! s’écrie le petit poète municipal qui habitait pas loin du château de Pallas. Ce n’est pas écrit dans la Constitution, ça !
— Et c’est pourtant une question de constitution, dit la muse qui s’amuse. Je te conseille d’aller consulter un rabibocheur de constitution. J’en connais un de très bon. Il habite à Vienzy. Il s’appelle Le Grand Poète. Il possède la science dont tu as besoin. Paye-le bien et tu auras du talent. »
Qu’à cela ne tienne ! se dit le petit poète municipal. Si ce Grand Poète peut rabibocher ma constitution, je serai publié et alors j’emmerderai tout le monde.
Et voilà notre petit poète municipal en route pour Vienzy. Il sonne et Le Grand Poète ouvre.
« Bonjour monsieur, dit le petit poète municipal, je viens de la part de ma muse pour…
— Je vois ça, dit Le Grand Poète. J’ai l’habitude. Asseyez-vous là et attendez. »
Le petit poète municipal attend. Il attend toujours. Il se demande même si Le Grand Poète habite toujours là et à la fin, car il en faut une, il revient chez lui à côté du château de Pallas.
Comme on est en France, Le Grand Poète est en train de baiser avec la muse du petit poète municipal qui s’insurge :
« Ah ! Merde alors ! Vous couchez avec ma muse quand je ne suis pas là pour écrire des poèmes que personne ne veut publier ! Je comprends maintenant pourquoi ! »
Et le petit poète municipal tue Le Grand Poète qui d’ailleurs ne demande pas mieux que de quitter ce monde où il n’a plus rien à faire que de coucher avec les muses des autres rien que pour les emmerder.
« Tu n’es pas bien malin ! dit la muse. Tu as tué celui qui rabibochait. Qui rabibochera maintenant ?
— On ne rabibochera plus ! C’est fini de rabibocher ! Maintenant on me publie ou je recommence ! » lança le petit poète municipal.
Le Grand Poète eut tellement peur qu’il ressuscita et coucha avec Angèle pour lui faire un enfant digne de la Constitution. Ce qui fut du goût de tout le monde.
Morale : Ce n’est pas parce qu’on a la bouche en cœur et un cul de poule qu’on est taillé pour rabibocher les bibliothécaires. Pour ça, demandez à ces dames, il faut être bien constitué.
* Vous allez rire mais il était une fois un professeur qui professait faute de savoir faire autre chose des dix doigts que la nature lui avait donnés à sa naissance
Car le professeur Okon était né
Tout le monde naît Tout le monde sait ça mais tout le monde ne naît pas professeur
Il y en a même qui naissent nez ce qui est un bon début
Le professeur Okon alla à l’école toute sa vie mais il ne mourut pas à l’école car il prit sa retraite pour ne pas mourir bêtement
On parle de lui maintenant qu’il est mort car s’il était encore vivant c’est lui qui parlerait de lui
Le professeur Okon écrivait Mais attention il n’écrivait pas comme tout le monde écrit Il écrivait de la Poésie de la poésie avec un grand P et un petit e à la fin
Qu’est-ce que c’est la poésie une fois qu’on a lu la Poésie que le professeur Okon écrivit Pourquoi écrivit-il de la Poésie et pas autre chose on ne sait pas Et on ne sait pas non plus ce que c’est la Poésie ni la poésie d’ailleurs une fois qu’on a lu la Poésie qu’écrivit on ne sait pas pourquoi celui qui se faisait appeler Okon faute d’avoir pu naître autrement
Quand il prit sa retraite il écrivit encore plus de Poésie Il en écrivit tellement que plus personne ne se demanda ce que la Poésie pouvait bien être si ce n’était pas seulement de la poésie
Du coup, à l’âge de plus de soixante ans le professeur Okon s’énerva et envoya des lettres critiques au recteur de la mosquée qui avait lui aussi pris sa retraite pour écrire encore plus de poésie ou de Poésie on ne sait pas
Ils finirent par se rencontrer D’abord ils se regardèrent et quand ils virent qu’ils écrivaient la même chose mais de manière si différente qu’ils s’y trompaient eux-mêmes ils se saluèrent sans cesser d’échanger les livres qu’ils avaient publiés et les manuscrits qu’ils se promettaient de publier sans demander à personne si cela faisait plaisir à quelqu’un
Ils allaient à la mosquée et aussi dans le jardin du professeur Okon qui en avait un ce qui tombait bien car le recteur de la mosquée avait besoin d’un jardin
Mais le professeur Okon n’avait pas besoin d’une mosquée ce qui embêtait le recteur car il n’avait pas de jardin pour faire la même chose mais dans un autre sens
Ils en vinrent alors aux mains et s’entretuèrent joyeusement avant d’avoir pleinement goûté aux plaisirs de la retraite
On les enterra chacun de leur côté et on oublia qu’ils avaient écrit pour éclairer la lanterne de ceux qui voyagent dans le noir
Il ne fut alors plus jamais question de Poésie ni de Mosquée pas plus que de mosquée ni de poésie
Et d’autres se mirent à écrire sans même savoir que s’ils écrivaient c’était parce que c’est dans l’ordre des choses et que cela n’a rien à voir avec les professeurs ni les recteurs mais avec quelque chose de plus profond qui finira par se savoir quand les poules auront des dents
* Qu’il est doux, qu’il est agréable et combien c’est facile de ne penser qu’à soi !
Voilà ce qui m’est venu à l’esprit tandis que je profitais d’un soleil prometteur sous les arbres de mon jardin.
Je ne vous ai pas parlé de mon jardin.
Je l’ai acheté.
J’ai taillé ici et là, planté comme j’ai pu et j’ai même imaginé l’allée que vous foulez de vos petits pieds maintenant que j’ai un jardin.
Vous ne veniez pas quand je n’en avais point.
Il a fallu que j’en eusse un pour que vous vinssiez.
Et que faisons-nous maintenant que vous êtes venue ?
Nous nous baisons tendrement le bec sous le regard de la voisine qui justement hier me parlait d’amour.
Et comment ça arrive… Et comment on le fait… Et comment il s’achève… Et ce qu’on en souffre…
J’en suis resté à cette souffrance. Je ne vous aime pas. Je ne pense qu’à moi. Et je suis certain que vous ne pensez qu’à vous.
Mais nous unirons nos revenus. Nous planifierons notre avenir. Nous irons même en vacances quand ce sera les vacances.
Comme il est doux, agréable et facile de ne penser qu’à soi dans ce pays doucement usé sur le papier de verre de l’amour.
* Cette année, sous le dictat national socialo-droitiste, je ne prends pas de vacances. Je vais bosser tout le temps. Je vais tout faire pour ne rien faire.
En France, on se suicide bien, on déprime encore mieux et l’avenir ne promet rien d’universel.
C’est beaucoup. Tellement que je me couche. Je me couche là, comme un chien, à deux pas de la niche dont je possède la clé.
Un ancien ministre de la Culture veut enculer l’actuel premier ministre. Et l’actuel premier ministre encule on se demande qui. Des fantômes venus du passé républicain. Il est déconnecté, ne l’ayant sans doute jamais été.
Été. J’y pense. À poil sur le sable. J’ai connu ça. Mais cette année, je ne pars pas, je reste.
Et je me demande ce que je vais bien pouvoir faire de tant de liberté.
Je parlerai d’inégalités et de haines en ménageant l’expression, car si je suis libre de vacances, je ne le suis pas d’opinion.
Il va falloir que je m’invente une liberté. Et que je m’efforce d’y croire. Mais qui me croira si je mens ?
Où trouver le ton de la sincérité si je hais certains de mes frères en république ? Je ne serais jamais poète, dit le poète.
* Ah ! l’amour a des faillites que l’argent ne guérit pas. J’en veux pour preuve une récente affaire qui me coûta presque la vie.
Promis à un bel avenir par vocation familiale, je succombai au doux regard d’une créature tellement plus belle que je ne suis intelligent.
Nous partîmes. Fenêtres à grande vitesse des paysages de France. Nous mîmes à profit les tunnels pour nous laisser aller à exprimer tout ce que nous savions de l’amour en fuite.
Car nous fuyions. Comme il était question de parcourir 10000 kilomètres avant de revenir au foyer qui nous était assigné, nous tournâmes en rond, nous zigzaguâmes, nous croisâmes nos chemins de fer, nous revînmes sur nos pas tant de fois qu’à la fin nous fatiguâmes.
Nous en étions à 5000 et des poussières. Et je ne compte pas les tunnels qui m’épuisèrent. Je ne savais pas à quel point un tunnel ressemble à un tunnel. J’en conçus des rêves inavouables.
Bref, nous descendîmes du train. Nous empruntâmes le quai obligatoire et hélâmes un taxi qui nous mena aux eaux.
« Mais que veux-tu faire dans un zoo ? » me demanda-t-elle. « Je n’ai pas dit zoo, j’ai dit eaux ! — Je t’assure que tu as dit zoo ! — Mais je sais tout de même ce que je dis ! — Pas toujours, mon ami ! Pas toujours. »
Nous arrivâmes aux eaux. « Tu vois bien que ce n’est pas un zoo ! — En effet, ma mie. Si c’en eût été un, on t’aurait trouvé une cage. » Et je la noyais dans les eaux, car il y en avait plusieurs. Je n’en demandais pas tant.
* Fallait-il que je rencontrasse un fou bâti comme un Hercule sur le chemin du retour ?
D’où revenais-je ? Mais d’où voulez-vous que je revinsse ?
Je revenais donc quand cet importun m’interpela de sa voix haute. Et savez-vous pourquoi ? J’avais piétiné son pied droit. Croyez-vous que je le fis exprès ?
Je revenais l’esprit troublé. Par quoi mais peu importe ! Le nez en l’air j’ai piétiné ce qui ne ressemblait pas à un pied.
L’Hercule poussa un cri. Et je lui demandai pourquoi il se mêlait ainsi de mes affaires.
Sur le coup, il se calma. Il sembla même oublier la douleur. J’en profitai pour argumenter, car j’avais l’esprit encore troublé, revenant.
Puis il sembla souffrir de nouveau et ne me laissa plus parler. En venir aux mains avec un pareil colosse n’était pas une bonne idée. Fuir dans ce jardin aux allées enlacées n’en était pas une meilleure. J’étais condamné à m’expliquer. Or, j’avais l’esprit troublé car je revenais.
« Mais enfin, monsieur ! cria-t-il comme je l’écoutais. D’où revenez-vous donc ? » Si vous voulez le savoir, demandez-le-lui.
* Parler pour ne rien dire me repose. Sous la charmille je vous aime.
Vous offrir une fleur arrachée coupée condamnée me met les nerfs à bout.
Prenons plutôt ce chemin. Et tenons-nous par la main. Sans chemin, pas de main. Et sans main, je me sens perdu au milieu de rien.
Il va faire nuit. Il pleut. Je vous reconnais. C’était il y a longtemps. Nous nous aimions.
Parlons plutôt. Cela fera passer le temps. La maison n’est pas loin. La vôtre je ne sais pas.
Comme vos pieds sont boueux ! On ne les reconnaît plus. Déchaussez donc ce masque et revenez vous éblouir.
Parler c’est ne rien dire. Il n’y a pas d’autre façon de s’aimer. Les promeneurs bavards ne s’éloignent pas. On les retrouve toujours.
* Si la poésie n’était pas facile elle serait difficile. Et si elle était difficile je ne serais pas poète.
Il faut que j’existe à peine. Vous me voyez à la fenêtre poursuivant du regard des papillons coureurs d’autres courants d’air. Et vous vous dites c’est facile. Heureusement pour moi !
Une fois, mais seulement une fois, j’ai eu du mal. Comme c’était difficile ! Et vous n’étiez pas là. Je n’existais plus et les papillons étaient des chenilles. Vous êtes cette écorce qu’elles gravissent lentement pour atteindre les feuilles.
Et puis la mort. La chenille devient nymphe. Je ne vous vois plus à la fenêtre. Cela ne me fait ni mal ni bien. Et j’écris ce que je veux, pas ce que vous voulez.
Vivrons-nous bien vieux comme ça ? Si les choses recommençaient, mais elles n’aiment pas la poésie comme je vous aime.
Et c’est facile heureusement. Sinon j’écrirais autre chose. Qui sait ce qu’on écrit quand on n’écrit plus facilement ?
Un deux trois je suis un poète. Quatre cinq six je vous aime encore. Six sept huit qui vient après moi quand le papillon a fini de pondre ?
* Ah ! le nombre de fois qu’il était ! Et bien sûr je n’étais pas là. On me l’a raconté. Je suis en retard. Mais ne m’attendez pas. On verra bien. Ah ! ça oui on verra ! Et je ne serais pas là. Mais vous y serez. On vous écoutera. Vous serez bavarde. Et on saura tout, même ce que je n’ai pas été. J’avoue que ça m’ennuie d’être votre personnage de remplacement. Ne m’appelez plus Illico ! Je déteste ce sobriquet. Croyez-vous que je le mérite ? Nous avons tellement vécu ensemble ! Et vous ne savez plus quoi dire pour vous faire remarquer. Illico par-ci ! Illico par-là ! Et ils vous écoutent. Ils sont sous le charme. Comme ce temps qui a été le mien est long quand vous en parlez ! Vous m’avez même donné un enfant. Et vous l’avez appelé Poésie. Avec qui la marierez-vous ? Il y aura longtemps que je serais mort quand ça arrivera.
Et bien ça arrive. Puisque vous le dites. Il était une fois Illico. Il avait un enfant. Et l’enfant s’est marié au lieu d’être violé par les uns et les autres.
Ça ne donne rien le mariage. Regardez ce que nous sommes devenus. Je suis mort et enterré et vous racontez des histoires à ceux qui aiment la poésie et qui n’ont jamais violé personne.
* Hier, me promenant, je suis allé à la mairie pour faire pipi. Car les pissotières de la mairie sont sur mon chemin.
Et qui je rencontre ? Mais Sal O’Par ! Secouant sa petite main, il est radieux, non pas grâce au plaisir qu’il en tire mais parce qu’il vient de recevoir sa médaille.
Il ne l’a pas sur lui mais si je veux la voir il m’invite chez lui.
On entre chez lui. La médaille est dans son écrin et l’écrin est posé sur la table de la salle à manger qui sert de salon.
Pendant que Sal O’Par prépare le pastis, je me laisse envoûter par les doux reflets de la médaille que l’État, et peut-être même la Nation, accrochent sur le sein de ce vieux salopard.
Même son pastis est sous dosé… Dehors, le soleil brille comme il n’a jamais brillé. Je devrais être fier de connaître un héros du service rendu mais je suis fier d’autre chose. Je ne peux pas être fier de tout ce qui m’arrive et surtout de ce que je n’ai pas souhaité.
* Ce n’était qu’une petite méchanceté. Je n’ai jamais fait plus. Comme on tue une mouche sur la vitre, pas plus. Voulez-vous que je nettoie ce carreau que je n’ai pas brisé ?
On me regarde de travers. On entend même les mouches voler. J’aime tuer les mouches sur les carreaux de l’existence. Et je sors mon mouchoir si ça vous fait pleurer.
* La piétaille a besoin de s’élever. Elle ne s’enfonce jamais par plaisir. Quand on naît au rez-de-chaussée, l’escalier prend toute la place.
Moi je suis né dans un grenier. C’est le toit qui prend toute la place. Et tous les jours je pense à la différence entre l’escalier et le toit. On me prend pour un fou !
Je monte l’escalier qui ne m’a jamais obsédé et je le descends pour aller dans la rue que je connais comme ma poche.
Raison et moi on a grandi ensemble, lui au rez-de-chaussée et moi au grenier. On a partagé la même rue et salué ceux des étages sans jamais manquer à cette politesse.
Mais Raison veut monter alors qu’il ne peut pas. C’est plus fort que lui, il ne montera jamais. Moi je descends et je monte et les gens, tous les gens, pensent que je suis fou d’habiter dans un grenier avec seulement un toit au-dessus de moi-même.
Et pendant que Raison rêve de monter dans les étages, moi je pense à me promener sur le toit. C’est toute la différence entre lui et moi. Nous n’avons pas le même rêve.
Peut-être que Raison, avec un peu de chance, ou autre chose, parviendra-t-il à monter. Je le lui souhaite. Mais me souhaite-t-il d’arriver à monter sur le toit qui est si près de moi ? J’en doute.
Et je doute toute la journée. Je passe beaucoup de temps à douter. Car la question n’est pas (vous vous en doutez) de trouver le moyen de monter sur le toit, mais de savoir ce qui j’y ferai.
Raison sait ce qu’il fera au premier, au deuxième et qui sait au troisième, mais moi, pauvre fou, qui me dira ce qui se fait là-haut, si haut, tellement haut que j’y suis presque !
* Qu’est-ce qu’on a ri ! Mais qu’est-ce qu’on a ri ! On a tellement ri qu’on s’est pissé dessus ! Il faut dire qu’on avait bu ! Mais qu’est-ce qu’on avait bu ? De tout ce qui se trouvait dans les verres. Et qu’est-ce qu’il y avait comme verres ! On s’était mis dans la tête de les boire. Et qu’est-ce qu’on s’est mis ? Je viens de vous le dire… Ensuite on a vomi. Qu’est-ce qu’on a vomi ! Mais qu’est-ce qu’on a vomi ? Les tripes à la mode de Bayonne, les choux à la crème, les noyaux d’olives, le gras de la viande qui était grasse. Mais qu’est-ce qu’elle était grasse la viande ! Ne me demandez pas pourquoi. Elle était grasse et donnait tellement soif qu’on s’est mis dans la tête de boire et comme il y avait beaucoup de verres et que les verres étaient remplis, on s’est mis dans la tête de les vider. Et croyez-vous que cela calma notre soif ? Pas du tout ! La viande était toujours aussi grasse ! Et ça nous a fait rire ! Mais ça nous a fait tellement rire qu’on ne savait plus pourquoi les verres étaient vides. Alors on les a remplis. Et comme on avait beaucoup bu, ils se remplissaient mal. Il y en avait partout et avec le vomi, ça faisait beaucoup. Ça ne faisait pas rire tout le monde. Il y en a que ça dégoûtait. Mais qu’est-ce qu’ils étaient dégoûtés ! Ils étaient tellement dégoûtés que ça nous faisait rire ! Ce n’est pas marrant de rire de ceux qui sont dégoûtés par quelque chose de dégoûtant, mais que voulez-vous, nous, ça nous faisait rire.
À la fin, parce qu’il y a une fin, on est parti. On avait bu ! Mais qu’est-ce qu’on avait bu pour rire autant ? On était tellement gris qu’on n’arrivait même pas à se poser la question. Et il y en a qui se sont mis à pleurer. On a continué de boire mais on riait moins et finalement on n’a plus ri du tout et on est allé se coucher. Vous n’avez pas sommeil, vous ?
* À l’époque, je pratiquais des sports. Je fréquentais de gros cerveaux. Qu’est-ce que ça réfléchissait ! Mais j’étais toujours le dernier. Il m’est même arrivé d’arriver le lendemain.
Je n’ai pas pu empêcher que ça arrive. Mon cerveau ne réfléchissait pas assez avant de lancer tout mon corps à la poursuite de la performance.
J’avais une excuse : j’étais jeune. Mais enfin, tout jeune que j’étais, il y avait plus jeune que moi et certains de ces jeunes arrivaient les premiers.
Je me posais des questions. Mais sans les poser aux autres. On ne sait jamais ce qu’ils pensent.
Et j’avais beau me nourrir de viande rouge et de foie desséché à usage sportif, quand j’arrivais il faisait jour mais j’avais traversé la nuit.
Alors je me suis dit que mon cerveau avait des défauts.
C’est dur à cet âge de se dire de pareilles choses. Mais il fallait bien que j’arrête de me ridiculiser aux yeux de mes contemporains.
Je me suis mis à écrire. Du coup, je n’ai plus eu l’impérieux besoin de boire le sang des animaux que je n’avais pas tués. J’ai tué des animaux dont le sang ne laissait pas de traces.
Et bien je vais vous dire : ça m’a plu !
J’avais le cerveau toujours aussi petit mais comme je faisais un usage casanier des deux jambes que j’ai sous moi, j’ai appris à courir plus vite que mon ombre.
Et qui je rencontre tandis que je courais et que mon ombre peinait derrière moi ? L’homme que je voulais devenir !
Je le baise, je l’étreins, je le nomme et voilà qu’il se met à en faire autant. Comme il me ressemblait beaucoup, j’imaginais que son cerveau n’avait pas d’autre ambition que de conseiller à son propriétaire de ne rien faire qui eût heurté ce qu’on peut appeler de l’orgueil sans se tromper de beaucoup.
Nous arrivâmes en même temps. Et c’était bon d’arriver. Jamais je n’étais arrivé dans d’aussi bonnes conditions. Je l’invitais à ma table, ce que je n’avais jamais osé faire car je craignais un refus. Et il refusa en effet.
Je ne sais pas ce qu’il mangeait, ni où il le mangeait, mais enfin ! ne se nourrissait-il pas de la même nourriture que moi ? J’étais en droit de ne pas le penser. Je l’écrivis. Et il disparut comme il était venu.
Mon ombre me dépassa alors. Je courus derrière elle mais elle me distança. Elle disparut elle aussi et je sortis pour revoir mes vieux amis. Ils couraient. Ils se poursuivaient même ! Je m’assis dans les tribunes et me mis à applaudir. J’applaudissais tellement bien qu’on s’est mis à m’imiter. Alors j’ai ri et tout le monde a ri. J’ai pissé sur le gazon et bientôt le stade ne fut plus qu’un lac d’urine. Alors je me suis mis à chier et la merde des autres s’est lancée à la conquête de je ne savais quelle Amérique ! Et comme mon cerveau était petit, je me suis retrouvé seul dans ma yole d’acajou, sans voile, sans vent, sans bruit. Mais c’est surtout ce silence qui a fini par me détruire. Je ne faisais plus rien. Et je grandissais. Mon cerveau ne grandissait pas. Cet océan de merde grandissait. Mon désespoir grandissait. Tout grandissait sauf mon cerveau.
Il devint si petit par rapport à tout ce qui avait grandi que je n’en voyais plus la couleur. Et c’est cette couleur qui me manquait et elle a fini par me détruire.
Voilà. Je vous le dis comme je le pense. C’est terrible la vie. Elle me manque aussi. Mais quand je ne serai plus là, que deviendra mon cerveau ? Je n’ai pas résolu ce mystère et je me suis remis au sport pour oublier.
* Ne cueillez jamais une fleur si personne n’en veut. C’est le conseil que je vous donne. Et je sais de quoi je parle.
J’avais toujours cueilli des fleurs pour les donner à quelqu’un qui en voulait.
Tout allait comme sur des roulettes. Je cueillais, je donnais, on me disait quelque chose pour m’encourager et je recommençais.
J’ai fait ça pendant des années et jamais je n’ai eu à me plaindre ni des uns, ni des autres et surtout pas des fleurs.
Mais la vie est un enfer. Je le savais avant de me brûler mais je ne me brûlais pas. Il a fallu que je me brûle pour mesurer l’importance de ce que l’autre pense des fleurs. Et c’est arrivé : mon bouquet fut jeté sur le paillasson.
Pourquoi ? Je n’en sais rien. Et d’ailleurs si je le savais, je ne le dirais pas. Vous n’êtes pas mon confident, ou ma confidente, qui sait ce que vous êtes ? Personne sans doute tellement je me sens seul.
Je me suis baissé pour ramasser le bouquet décomposé. Je ne l’ai pas recomposé. À quoi bon ? Je l’ai serré contre moi et je suis parti ailleurs. Voilà comment je l’ai quitté. Je suis arrivé ailleurs et j’ai recommencé.
Je ne sais pas ce qui m’arrivera demain. Personne ne sait ce genre de chose. Mais je m’applique. Je coupe les fleurs pour les offrir. Et je ne suis plus naïf au point de croire qu’il ne m’arrivera jamais de les ramasser sur le paillasson.
* Nous ne sommes pas faits pour penser. Nous avons le pouvoir de réfléchir, ce n’est déjà pas si mal.
Je traverse les vitrines. Je caresse des objets. Je travaille à les posséder. Et je lègue mon infortune.
Quoi de plus triste qu’un homme ? Et quoi de plus semblable ? Je vis dans mon appartement. Je me nourris des autres.
« Bonjour monsieur Alixte ou monsieur Renaud ou qui que vous soyez ! Vous me devez de l’argent… »
Le bonhomme s’assoit. Il a bonne mine. Il examine mes meubles, ouvre un livre, s’étonne de retrouver sur le mur une image qu’il a déjà vue quelque part. « Mais où ? »
Comme si je le savais ! Il faut que je réfléchisse. J’ai des problèmes. Et personne ne m’attend dans la rue.
Vous connaissez quelqu’un dans la rue, vous ?
J’ai 24 heures pour y réfléchir. Et je descends pour me rendre compte de la difficulté.
On me connaît. Pas tout le monde. Et tous ceux qui me connaissent habitent quelque part. Pas dans la rue.
Je cherche longtemps. La nuit tombe. Je suis dehors. Je peux partir.
Mais avec qui ? Part-on tout seul ? Le bagage de ma pensée ne pèse pas lourd. Mon portefeuille non plus.
Suis-je arrivé ? Ma porte s’est-elle refermée ? Que pense-t-on de moi maintenant ?
Je réfléchis. Je n’arrête pas de réfléchir. Mais rien qui vaille une pensée. Je me demande pourquoi j’écris. Pour me plaindre… Trouver une solution… Revenir chez moi… Là où je vis encore comme la tête du serpent qu’on a coupée.
* Vous ne devinerez pas ce qui est arrivé à mon voisin ! Un coup de pioche dans un trésor. Et j’étais là. Jamais je n’avais vu tant d’éclat en un seul instant ! Nous étions sidérés. Et tandis que je m’approchais, il reboucha le trou. Mes mains saisirent le fer du grillage rouillé. Je me mordis la langue. Il me parla des racines qui envahissaient son jardin. Elles venaient de chez moi. Mes sapins l’empêchaient de dormir. Il y avait encore de l’or dans le coin de son œil droit.
Je fis venir une pelle mécanique qui creusa une profonde tranchée et coupa les racines de mes sapins qui franchissaient la limite imposée par le voisinage.
Mon voisin me félicita. Il avait construit un monument à l’endroit où j’avais vu l’or le transformer en gardien des lieux.
La même pelle mécanique amoncela cent lourdes pierres que l’ouvrier cimenta méticuleusement.
Ainsi l’or gisait sous trois tonnes de pierres. Je profitais de la tranchée pour creuser une galerie. Elle s’effondra sur moi à la limite du voisinage. Il avait tout prévu. Mais qui profitera de cet or ?
Qui ? Quel personnage venu de cet ailleurs que j’imaginais fort lointain ? J’installais une caméra. Je visionnais sans arrêt. Je ne travaillais plus. À quoi bon travailler si on possède un trésor ?
Mais j’étais loin de le posséder. Presque aussi loin que mon voisin qui n’était pas revenu sur les lieux. Cela signifiait-il que le trésor n’était plus enfoui et que le monument de pierres lourdes était destiné à me tromper ?
Quelle folie ! J’ai tout fait sauter. À la dynamite. Quel souffle ! Le monument a été emporté. Les pierres ont volé. Et l’or a fondu…
C’est con. En devenant liquide, il s’est introduit dans un trou. On ne l’a plus revu. On a encore dynamité, mais en vain. Le trou était énorme. Le bruit effrayait. Il y avait de la terre sur les toits et des cailloux sur les parasols. « Arrêtez de vous disputer ! » disaient les voisins.
Ils étaient désespérés. Ils n’avaient jamais vu ça. Ni surtout entendu. Ça en faisait du bruit ! Braoum ! Deux fois par jour. Et on n’avait pas envie d’arrêter de creuser, suivant la faille dans la terre, reniflant la chaleur de l’or qui fondait, fondait, fondait !
* Je ne vous raconte pas d’histoires. Si c’est vrai ce n’est pas une histoire, c’est la réalité.
Ouvrez votre fenêtre. Qu’est-ce qui est dehors ? Vous m’accorderez sans problème que ce qui est dehors c’est tout ce qui n’est pas dedans.
Et pourtant je me projette. Une bonne partie de ce qui est dedans sort. Vous vous plaignez de ne pas la voir ? C’est que vous avez besoin de ma fenêtre. Vous ne verrez rien sans ma fenêtre et même vous ne ferez rien, ce qui est pire que de ne rien voir.
Nous en étions là. Les uns chez les autres et les autres en un ailleurs qu’il fallait imaginer si on souhaitait y aller. Mais tout le monde n’était pas convaincu. Alors je sautai par la fenêtre. On me vit sauter et même m’écraser dans le dur gazon que je venais de tondre. On me vit saigner. On eu même l’impression de m’avoir entendu craquer. Le fait est que j’avais mal. Mais pas un mal ordinaire qui fait mal et qu’on calme avec une cuillère de sirop. Ça faisait tellement mal que je me suis demandé si je ne ferais pas mieux de crier. Mais à qui poser la question ? Et avec quoi ? Ma bouche était vingt centimètres en dessous du niveau que tout le monde foulait autour de moi.
Il y a des jours de grisaille où je ne sais plus ce que je veux ni ce que je fais. Et il a fallu que je souffre beaucoup en dehors de moi-même pour qu’on me rende visite et qu’on s’inquiète de mon avenir.
Mais peut-on tous les jours sauter par la fenêtre pour se retrouver dehors avec les autres ?
*
Walter Mambot est un ami. Je vous interdis de parler de lui devant moi. Je sais trop bien ce que vous avez envie d’en dire. Et je ne le supporterais pas. Je vous ficherais dehors sans ménager la vitesse d’exécution. Pour l’instant, nous prenons l’apéro et il n’est pas question de Walter Mambot. Vous avez de la chance. Je suis dans un bon jour. Le nom de Walter Mambot ne m’est pas venu à la bouche. Je sais trop bien ce que vous en feriez. Je vous connais depuis si longtemps. Vous souvenez-vous de Roger Gérot ? Nous n’en avons jamais dit du bien. Mais on est d’accord là-dessus. Et bien Roger Gérot n’est plus de ce monde. Et vous savez pourquoi ? — … ? — Il l’a quitté ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Je vois que ma petite plaisanterie est tombée dans l’eau de votre mélancolie. Que puis-je faire pour vous ? Un deuxième vers vous grisera. Il ne me fera pas de bien non plus. Parlons plutôt de Pierre Piérot. Un chic type. Il fumait la pipe. Et vous savez pourquoi il ne la fume plus ? Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Je vois que ma petite plaisanterie a soulevé un coin de votre paupière gauche. Ce qui me console un peu de vous avoir invitée sans ce cher Gonzalo. Mais comment aurais-je pu l’inviter ? Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Je ne sais pas ce qui m’arrive ce soir. Je me sens presque aussi triste que vous.
* On ne rit pas tous les jours. On ne rit pas plus que ça. Je me demande si je ris quand je ris. Ce n’est pas le bon cœur qui me manque. Et puis les gens ont quelquefois des têtes rigolotes. Ça n’arrive pas tous les jours. Et quand ça arrive, on rit. On ne rit pas souvent. Ça dépend des jours.
Rire peu coûter cher. Je ne riais pas et pourtant je me suis fait engueuler. « Pourquoi riez-vous ? Ça vous fait rire peut-être ? Qu’est-ce que vous penseriez de moi si je riais ? »
Je n’en menais pas large. J’avais ri, certes, mais de bon cœur. La mort me fait rire. Surtout quand le mort tire la langue. Je ne sais pas pourquoi il la tirait. Il doit y avoir une explication à cela. Mais maintenant que je ne peux plus rire je ne vais certes pas me renseigner sur ce phénomène risible mais pas pour tout le monde.
« Rit-on devant la douleur ? Se moque-t-on de ce qui est arrivé parce que c’est arrivé de cette façon ? Vous feriez mieux de vous en aller. On vous téléphonera. »
J’ai attendu devant le téléphone. Ne me prenez pas pour un imbécile. Je savais bien que personne ne m’appellerait. Je ne suis pas fou non plus. Mais je me trouvais amusant comme ça, le nez sur le téléphone qui ne sonnait pas. Il ne sonne jamais. Et je ne suis pas le premier à en rire.
* J’ai rêvé qu’on me tirait dessus. C’est à cause de la télé. En plus il faisait nuit Et comme je n’ai pas payé ma facture D’électricité, Il faisait nuit noire.
J’étais seul Et troué.
Heureusement que j’étais seul, Sinon les morts me serviraient De tapis de jeu, De bac de sable. De piscine cinq étoiles, De rêve de paradis Terrestre.
Le téléphone a sonné. Il était trop tard. « Bonjour monsieur, C’est la police. Si vous n’êtes pas mort, Raccrochez le téléphone. »
* « Mon voisin parle arabe Avec les filles Qui ne le parlent pas. Je le sais. Ce sont les miennes. À ce train-là, monsieur, Elles finiront par le parler. Et que m’arrivera-t-il alors ? Je ne vous demande pas Ce qui leur arrivera. Je vous parle de moi. De ma peur d’être moi. Je ne suis pas doué pour les langues. »
* Une flaque de sang. Et pas un nuage. La nuit est transparente Comme un verset du Coran.
Je m’en vais faire la fête Pour avoir l’air d’être plus cultivé Que les autres.
Et sur qui je tombe ?
* « Ici tout est garanti par le gouvernement, Nous dit le guide sous la Tour. Vous pouvez nous faire confiance. On est pas comme les Américains Qui élisent n’importe qui. Nous on sait ce qu’on fait. Et puis on est tous des frères. La preuve, maintenant on aime les pédés. Vive l’égalité dans la balance ! Sinon ya plus d’liberté ! Donc vous pouvez monter. Et même tout acheter, Mais sans rien emporter. Ce qui est à nous est à nous ! Emportez donc des souvenirs. Des jolies tours façon cucul. De la neige en boul’ de cristal. Tout est garanti par le Président ! Il nous l’a dit et on le croit. D’ailleurs on s’en va à la guerre Sans y aller. Faut le faire, hein ? Et ben on le fait. Et en avion et en bateau. On sait tuer s’il le faut. On ne sait pas pourquoi il le faut, Mais il le faut, un point c’est tout ! Maintenant descendez de la Tour. N’oubliez pas le guide. Merci ! Et laissez-vous guider par la police. Ce sont des gens très cultivés Quand ils ne font pas le poireau. N’oubliez pas nos petit’s femmes. Et nos poulbots qui sont si beaux Dans leurs superbes oripeaux. Et pensez à nos fonctionnaires, Si mal payés malgré l’turbin. Ah ! vous êtes tell’ment aimables Que je vous fais une p’tite conduite Jusqu’au palais de l’Élysée. C’est là qu’on vote et qu’on s’tripote. On est de bonn’ constitution. Suivez le guide et fermez-la ! Sinon on vous coupe internet ! »
* Le petit Papa Noël Etait descendu sur la Terre Pour apporter des joujoux socialistes Aux patrons du Front national.
Vous imaginez comme c’était un grand jour !
Il était tellement grand Qu’on n’en voyait plus la fin.
Alors on s’est tous enculé. Et celui qui ne voulait pas enculer Ni se faire enculer Etait traité comme on doit traiter Les indésirables.
On était tellement d’enculés Qu’on ne faisait plus la distinction Entre un pédé Et un homme normal.
On a le sens de l’égalité.
Le petit Papa Noël Est venu en traineau. Il traînait plein de cadeaux socialistes En rassurant tout ce monde qui s’enculait : « Ya plus de différence. On est tous des frères. Alors il normal Que les socialistes fassent des cadeaux Aux patrons du Front national. Et ceci sans exiger que ce Front Soit remplacé par un Cul. Le parti socialiste n’exige rien, Mais si jamais vous n’apportez pas la preuve Que vous êtes un enculé Qui sait enculer, Alors vous serez envoyé en Syrie Pour lutter à pied dans le désert Et sans rien à boire Si vous rouspétez Pendant le voyage. J’ai apporté le pinard Pour vous le prouver ! »
Ainsi parla papa Noël.
Personnellement, J’adore enculer ma femme, Mais l’idée de me la faire mettre N’arrive pas à entrer Dans ce trou.
Je suis donc allé place de la République Avant que les gens courageux ne la quittent A cause d’un claquement de doigt Qui ressemblera à un vrai coup de feu. (Je sais : là, je suis obscur, Mais l’état d’urgence M’interdit d’en dire plus Sous peine d’être enculé d’office Par le doigt de Manuel Valls Qui l’a trempé dans le vinaigre Comme on a fait à son petit Jésus…)
Petit papa Noël était là. Il m’attendait. Il avait même un sucre d’orge Et me l’a fait sucer. C’est toujours comme ça que ça commence.
Après avoir longuement sucé Le sucre d’orge de petit papa Noël, Je suis monté sur un renne Qui bandait comme un taureau A la place du président de la république Qui avait un autre rendez-vous.
« Quelle question veux-tu me poser, Renaud ? » Me dit le petit papa Noël En augmentant la taille du renne. Comme je n’étais pas venu pour ça, Je me suis mis à bégayer en silence. Le petit papa Noël augmentait La taille déjà énorme du renne. Il fallait que je trouve une question Compatible avec l’état d’urgence Sinon je n’irais pas en traîneau A la guerre.
« Tu ne sais pas quoi dire, Dit enfin petit papa Noël. Dans les grands moments, Les Français ne posent pas de questions. Ils viennent chercher leurs cadeaux sous le sapin, Chacun le sien et Dieu pour tous. Mais toi, petit garnement venu d’ailleurs, Une question te brûle la langue Et tu as peur de parler arabe. Je te comprends. Ce n’est pas le moment. »
Le renne était devenu tellement énorme Qu’il a éclaté. C’est comme ça qu’on m’a pris Pour un terroriste.
* La police ment La police ment Radio Paris est un roman
C’est en tout cas Ce que chantait Un Parisien Dans le métro
Mais tout doucement Mais tout doucement Car ce n’est pas le moment
Quel spectacle en effet Tous ces trous, ces gravats. Tout ça pour trois malfrats Qu’il suffisait d’arrêter Comme n’importe quels voyous.
Car décidément Car décidément La polic’ aim’ les poubelles.
Forcément… À force de fréquenter des Turcs… Et d’insulter les Arméniens.
Dans les poubelles de Paris Et de sa banlieue On trouve : Un téléphone, Une ceinture explosive Sans détonateur, Et bientôt des fusils Et des Irlandais de Vincennes.
Ce type qui chantait Amusait tout le monde, Mais attention aux délateurs. C’est la liberté d’expression Qui dit la vérité.
Et la polic’ ment. Alors forcément Elle a besoin de poubelles.
Soyons les poubelles De la Nation. Bien sages sur les trottoirs En attendant que la police Y trouve de quoi alimenter Le discours politique Et les caisses des marchands d’armes.
Car nous avons des marchands d’armes Nous aussi. Et plein de bons larbins Pour remplir les poubelles Que nous sommes D’informations mensongères Et de promesses de vengeance.
Hélas pour nous, Le terrorisme c’est pour nous. Nous les joyeux fêtards de la culture, Mais aussi les pauvres sans billets Offerts par le gouvernement. Engageons-nous dans la police Pour ne pas risquer notre peau Et mériter de la patrie.
Entre les mensonges de la religion Et les impostures parlementaires, Pas facile d’avoir une idée De ce qui se passe vraiment.
Le gouvernement Le gouvernement Nous aime passionnément.
On n’arrête pas de se le répéter. Mais a-t-on vraiment un avenir Dans la poubelle ? C’est la question Que se pose la philosophie En ce moment.
Puisse-t-elle Faire entendre sa voix, Même morte, même plus là Pour donner corps à nos principes.
La police ment. Tout le monde ment. Radio Paris est dans l’vent.
* Les slips de flics, C’est dur Parce qu’ils sont rarement lavés.
Les slips de poètes, C’est mou. Ça se lave en machine Ou à la main, Ça dépend de l’inspiration Et des compromis.
On trouve des slips Dans toutes les bonnes rues De la culture.
Je ne sais pas Quels sont les plus recherchés. Ceux que les flics égarent Dans le feu de l’action. Ou ceux que les poètes Ne quittent pas De peur d’être jugés.
Je ne les ramasse pas Quand j’en trouve. Je ne suis pas un amateur de slips.
Les slips de flics sont seuls. On les reconnaît d’abord A leur solitude Sur le trottoir.
Les slips de poètes, Il faut les arracher. Ça se déchire facilement.
Il paraît que ça fait mal. Il semble que le poète, À force de se chier dessus Dans les grandes circonstances, Crée en quelque sorte Un lien entre son cul Et le slip.
Je ne sais pas si c’est ça, La poésie, Mais je n’ai pas vraiment envie D’y mettre la main.
Que le poète garde son slip. Et que le flic le perde. C’est tout ce que je souhaite A cette société de mythomanes.
* Vous n’allez pas me croire, Mais j’ai rencontré Mahomet. Pas un Mahomet Qui coupe le cou Au mécréant Et au mauvais payeur. Un Mahomet Qui sait lire et écrire Sans se condamner A être poète pour les uns Et flic pour les autres.
On était bien ensemble, Mahomet et moi. Je lisais le Coran Et il m’expliquait.
J’en avais de la chance ! Tous les musulmans Ne peuvent pas en dire autant.
En plus, ce type Ne me demandait pas De grimper tout nu Au sommet de la Tour Eiffel Avec un drapeau tricolore Planté dans le cul.
C’était beaucoup plus simple Que ce patriotisme Chrétien et blanc.
Au fond, Il ressemblait à Jésus, Mais sans Église Pour chausser ses pieds nus.
On s’est baladé à Paris Pour voir du pays. On a vu les morts, Les blessés en morceaux, Les familles détruites à jamais.
« Si c’est ça la poésie, Me dit-il en sourdine Pour que les flics n’entendent pas, J’avais raison. Mais personne ne m’écoute. »
Ensuite on est allé voir les femmes. Il les a trouvées drôlement changées. Il y avait longtemps Qu’il ne s’était pas amusé A compter leurs poils.
Ça l’a rendu tout chose.
* Je ne comprends pas la haine. Je ne comprends pas l’amour. Ou alors il faut que ce soit Purement physique.
Seulement aux infos, Ça se complique. C’est là le défaut De la politique.
Mon voisin est partisan D’accrocher un drapeau Aux couleurs de la Nation, Tout orné des franges dorées De l’État et du CAC 40.
On en a parlé ce matin. On s’est disputé. Ma maison n’est pas une ambassade. Et mon voisin est trop vieux Pour faire la guerre A la place des jeunes.
Moi non plus Je n’irai pas à la guerre. Qu’ils envoient des avions. Ça nous épargne des vies Et de belles existences Garanties par la Constitution.
Et puis ça rapporte gros Au meilleur de la Nation, Ceux qui ont assez de fric Pour investir dans l’utile.
D’une pierre deux coups, Cette guerre des autres. En espérant ne pas être là Quand les autres y sont…
C’est ce que dit mon voisin. Je crois qu’on va finir Par couper la poire en deux. Et puis j’irai voter Aux prochaines élections. J’en ai marre d’être anarchiste !
* Moi ça me fait bizarre De ne pas connaître quelqu’un Qui a souffert de cette guerre. Je me sens seul du coup. Et même je n’ose plus rien dire De peur d’en dire trop aux flics Et pas assez aux poètes.
En plus il pleut et il fait froid. Le père Noël ne viendra pas.
Je suis si seul dans ma maison ! Paris est si loin de chez moi ! Mes amis sont tous vivants. Pas un cousin sur la liste Des morts pour rien Qui servent à quelque chose.
En plus il pleut et il fait froid. Le père Noël ne viendra pas.
On en voit plein à la télé, Des gens qui souffrent de la guerre. Des riches, des pauvres et des poètes, Avec des flics sur les trottoirs Et des élus dans les poubelles.
En plus il pleut et il fait froid. Le père Noël ne viendra pas.
Est-ce bien la réalité, ce bordel ? Suis-je né pour y croire sans le voir De mes yeux et le toucher Pour exercer mon esprit critique ?
En plus il pleut et il fait froid. Le père Noël ne viendra pas.
C’est fou ce que la nuit tombe vite Quand l’hiver approche Et qu’on n’a plus envie de faire la fête !
* Petit poète a peur de se faire taper sur les doigts ? Et de perdre la bonne planque dans l’administration ? De renoncer à tout espoir de reconnaissance ? Et bien que Petit poète cesse d’écrire des vers. Il en aura d’autres bien plus voraces Quand il sera crevé de sa belle mort. Les poètes meurent comme les généraux, Dans leur lit avec un drap dessus et un autre dessous. Il faut bien faire son lit quand on est poète, Sinon on s’en prend une en plein la gueule Et on ne s’en remet pas ! C’est mauvais Pour l’idée qu’on a de soi et qu’on veut Que les autres se mettent dans la tête ! Petit poète n’écrase pas que ses harpions. Il a les fesses molles à force de caresses Et le regard en coin à cause de la peur. Petit poète ne sortira pas de chez lui. Il écrira ce que personne ne lira. Il le regrettera toute sa vie, Petit poète, De n’avoir pas saisi la chance que la Nation Lui offrait avec les avantages et les leçons De l’Histoire en marche vers la fin de tout. Petit poète est un vrai flic, il tirera Dans le dos à la première occasion. Mais pour l’heure, il fait voler les papillons De l’inutile, de la prudence et du factice. Petit poète deviendra grand Quand les poules auront des dents, Mais il sera toujours vivant A l’heure de juger les morts.
* Nous allions par les bois et par les champs, Sautant par-dessus les clôtures, Cueillant au passage les fruits du printemps Et nous roulant dans l’herbe avec les fleurs. Jamais nous n’avions été aussi joyeux. La guerre était finie, l’ennemi était mort. Notre culture reprenait le dessus. J’ai acheté un robot pour écrire à ma place. Et lui et moi traversions la campagne Pour nous livrer à l’ivresse du printemps. J’étais nu, il était métallique, Informatique, politique, plastique. Ma foi me voilà tout excité ! Exultai-je en me jetant sur lui. Ton écran est antireflet, Donc je ne suis pas gêné par le soleil. La guerre est derrière nous, ami robot. Tant pis pour ceux qui sont morts. La guerre fait le bonheur des vivants Quand on n’en meurt plus. Nous étions de joyeux compagnons, Mon robot acheté en ligne et moi. Et j’étais vivant, sans une trace De sang, d’os, de chair, de tripailles. On aurait dit à me voir si joyeux Que je ne l’avais pas faite, la guerre. Et pourtant on ne pouvait pas dire le contraire. J’avais même la facture du robot pour le prouver. Alors nous sommes allés à la pêche, A la chasse et au petit bonheur. Le jour était sans fin mais la nuit approchait. On s’est couché l’un contre l’autre Sous les pommiers en fleurs, Dans l’herbe vert pomme. Le soleil ne voulait pas se coucher. Il savait des choses sur moi Depuis que la guerre m’avait emporté Dans un pays que je ne connaissais pas, Que je ne comprenais pas, Mais que j’étais capable d’aimer Si ses habitants me foutaient la paix. La nuit s’impatientait, Riant de toutes ses dents. Et le soleil devenait rouge, puis noir, Puis il est devenu lune blanche Et je me suis endormi. Le robot ne dormait pas. Il veillait sur moi. Mais il ne pouvait pas m’empêcher de rêver. D’ailleurs je ne rêvais plus. J’en avais follement envie, Mais l’armée m’avait confisqué Mes vieux rêves de paix et de bonheur. Et j’avais du sang sur les mains. On ne rêve plus dans ces conditions. On ferme les yeux, on s’endort, On ne voyage plus, on reste. Le ciel est descendu sur moi, Avec tous ses mystères sans solution. La terre n’a pas bougé sous mon corps. L’herbe me chatouillait les narines, Mais je n’avais pas envie de rire. Mon robot a éteint son écran Puisque je ne m’en servais pas la nuit, Du moins par nuit noire, Car les nuits blanches me guettaient. Je ne veux pas devenir fou A cause du gouvernement Qui est censé me rendre riche. Je ne veux pas devenir riche Si la mort m’a rendu fou. Et voilà que j’attends le matin, Couché dans la campagne si douce au printemps. Il peut pleuvoir, je ne me plains pas. Il peut arrêter de pleuvoir, Je ne pleurerai pas à la place de la pluie. Voilà ce que je suis devenu. Non pas à cause de la guerre Qui est ce qu’elle est, Je ne juge pas, Mais parce que nous l’avons gagnée Pour pouvoir acheter de sympathiques robots, Tellement vrais qu’on dirait des vrais. C’est ce qu’on appelle le bonheur. On n’en connaît pas d’autre. Ce n’est pas faute d’avoir cherché. Mais on ne cherche plus. On a trouvé et point final. Voilà à quel point nous en sommes, J’en suis, Vous êtes. Demain matin on peindra des maisons Sur l’envers de nos tapisseries nationales, Et des jardins avec des enfants Et des putes pour les grands. À moins que le sommeil me tue. Il me tuera un jour ou l’autre. Je veux dire une nuit. A moins que le prospectus dise vrai. « Nous avons gagné et nous gagnerons toujours ! Nous sommes la lumière de ce monde. L’ombre a tort et si elle recommence, Nous aussi on refait tout depuis le début. Citoyens, jouissez de votre robot. Ne vous privez pas de ce bonheur ! » C’est fou comme la publicité Et les promesses parlementaires Illuminent nos jours Mieux que la poésie ! Mais ils n’ont rien pour la nuit. Pas encore, mais ça viendra. Tout vient à temps A qui ne sait rien faire d’autre Qu’attendre. Je me demande quand même Pourquoi j’ai deux trous rouges A la place du cœur…
* En ces temps de terreur islamiste Que devient l’acte surréaliste par excellence ? J’ai posé la question à notre maire. « Il faut brûler André Breton ! Ou alors qu’il renie la poésie. Donnons raison à Camus ! Ah ! notre Camus national ! Ne dit-on pas d’un nez Qu’il est camus S’il est bien aplati ? Aplatissons la poésie ! Votons socialiste, gaulliste Et même pétainiste ! Mais que le nez d’André Breton soit maudit ! Je poserai personnellement La question au gouvernement ! Et je serai entendu. Car je ne doute pas Que l’aplatissement du nez Sur la face de la République Réduise tout signe de subversion A un pet à la face de la poésie. A-t-on vu poète qui se bouche le nez Ouvrir en même temps la bouche ? Que l’homme révolté soit aux cieux Et qu’il y reste pour montrer l’exemple ! Vive le nez camus ! Vive le vent ! Et vive la France ! »
Qu’on se le dise…
* Je suis blanc mais pas propre. Je ne salue pas le drapeau. Même en musique. Les monuments aux morts Me donnent des boutons. Qu’est-ce que je fous ici ? Pourtant je vous aime bien. On parle la même langue. On mange les mêmes choses. Et quand on ouvre le dictionnaire de rimes, On se rencontre au bout du vers.
Il était une fois un mauvais poète. Je ne veux pas dire par là Qu’il n’y avait qu’un seul mauvais poète. Il y en avait des tas. Mais celui-là me faisait chier.
Pensez-vous qu’il me vint à l’esprit Que j’étais en train de vivre Une nouvelle fable ? Pas du tout les amis !
Je vivais comme d’habitude, Ni plus ni moins. Et j’ignorais même Que ce type était un poète. Ça ne se voyait pas sur son visage.
Il me dit : « Il paraît que vous versifiez vous aussi ? — Je ne l’ai dit à personne ! Je m’étonne Qu’on vous en ait parlé ! Si quelqu’un m’a trahi, Qu’il soit maudit à jamais ! — Excuses ! Mais tout le monde en parle. Il ne fallait pas publier. Maintenant tout le monde le sait. Tenez, moi, par exemple… Je ne publie rien. Et donc personne ne sait Que je suis un mauvais poète. — Mais maintenant moi je le sais ! Vous vous êtes trahi ! C’est extraordinaire de se trahir Alors qu’on est un mauvais poète. Moi, qui suis meilleur que vous Et même peut-être bon, je suis trahi par les autres ! C’est là toute la différence. Monsieur veuillez redescendre de mon piédestal. Et ne revenez jamais m’importuner. Vous n’êtes bon qu’à vous trahir vous-même. Car vous ne savez pas ce que c’est la trahison. Moi je le sais. Et je me tais pour qu’on ne le sache pas à ma place. C’est très compliqué, vous savez, la poésie. Beaucoup plus compliqué que de se trahir soi-même. Il faut laisser les autres vous trahir Et quand cela arrive Il faut absolument trouver un mauvais poète Pour lui apprendre cette leçon. »
Cet homme, car c’en était un, Redescendit de mon piédestal En emportant mes rimes en souvenir. Il me laissa des noms. Car lui savait qui me trahissait. Et c’est avec ces noms Que j’ai écrit mes romans. Voilà comment on devient romancier. Que cela vous serve de leçon à vous aussi !
* L’autre jour — un jour comme celui-ci — Un juge me dit, m’assure, m’inculque Que les serviteurs de l’État, Ses frères en compromission Républicaine, Veulent maintenant se passer des juges Et mettre sur pied Une nouvelle société française Fondée sur la compétence Et l’efficacité policière. Un État d’urgence.
Je le crois. Mais pourquoi Ne démissionne-t-il pas ? Pourquoi continue-t-il De servir l’État Qui le paye ?
— Ah mais c’est parce que, Me dit-il à la télé, Parce que je défends La veuve et son enfant, Le poète et les morts, Le chômeur, la terre et le ciel. Etc. Je défends Tout ce qui ne va pas bien. Mais je vous préviens, Sans quitter ma place Chèrement acquise, Que les serviteurs de l’État Complotent contre ceux Qui ont besoin des juges Pour ne pas devenir les victimes Des policiers, des matons, des bourreaux Qui gagnent aussi leurs vies Mais sans défendre personne A part leurs pairs, Les politiques et les bandits.
— Mais enfin monsieur ! Démissionnez ! Allez vous battre aux côtés De ceux qui se défendent Hors des sentiers battus De la justice et de son ministère ! Je vous trouve, monsieur, Une bien mauvaise langue Et une conscience en porte-à-faux.
— Vous ne comprenez rien, Monsieur qui ne savez rien Des procédures et des usages ! Moi je sais et je vous dis Que l’État qui me paye Et me récompense souvent Est en train de devenir Insupportable ! In-su-ppor-ta-ble !
— Dans ce cas renoncez Aux avantages de votre fonction. Ne prenez plus de vacances à mes frais. Payez le taxi et le restaurant. Payez les rames de papier, Les CD, les stylos et les timbres. On vous écoutera ensuite, Monsieur le collaborateur…
Que n’avais-je pas dit ! Remettre sur le tapis Une aussi vieille histoire. A-t-on idée à notre époque Qui réclame des preuves De tout ce qu’on dit Et même ne dit pas ? Des preuves je n’en ai pas. Vous en avez tellement nourri l’Histoire Qu’il reste plus rien, Pas même les os Et les bouts de chair oubliés.
— Vous êtes tous pareils, Dit le juge en me quittant Cette fois définitivement. Nous autres juges Valons mieux que ces flics, Ces politicards, ces bandits. Mais nous avons des contraintes. Et elles sont constitutionnelles. Il faut les respecter. On n’obtiendra rien Si on ne les respecte pas. D’ailleurs ce serait illégal. Et ça, Monsieur l’anarchiste de gauche, Il n’en est pas question.
Je ne l’ai plus revu. Il a peut-être changé de métier. Que dis-je ? Il en a changé certainement. Nous n’avons plus de juges. Nous n’avons que des policiers, Des politiciens et des bandits. Et nous Nous ne sommes rien Sans cette Constitution de malheur.
* Vous n’allez pas me croire, Mais j’ai rencontré Le président de la République. Ah je ne m’y attendais pas ! J’étais dans mon bouiboui En train de me morfondre Et voilà ce sacré pantin articulé Qui entre sans frapper ! Je me redresse d’un coup, Je commence à pleurer, Je sors mon mouchoir… Il entre encore un peu Et allume une cigarette Sans m’en offrir une. Il a l’air content d’entrer chez moi. Il prend la parole : « Tu sais, Renaud. Je t’aime. Mais celui que j’aime le plus Est mon premier ministre. Ah j’en aurais rêvé Que j’y aurais pas cru ! Trouver un pareil… sans nom N’est pas donné à tout le monde. Il se bat, il bat, il grogne, Pète, chie, mange sa merde… Il fait tout ce que je veux Et en plus il travaille pour lui. C’est ce qu’on appelle servir la patrie. C’est chouette, hein ? de trouver Quelqu’un d’aussi serviable ? Mais voilà que maintenant Que je te connais, Cher Renaud, J’en veux plus de ce larbin à la con ! Si tu n’as rien à faire, Deviens mon premier ministre.
— Ah ça par exemple, Monsieur le Pré… le Président ! Si je m’attendais à trouver du boulot Sans même avoir cherché ! Les promesses c’est bien, Mais à force d’attendre, Je ne m’attendais plus !
— Et bien serre-moi la main, ami ! Et laisse-moi te montrer le chemin Du mérite national. Ça te plaît-il d’être premier ministre ?
— Et l’autre… on en fait quoi… ?
— C’est le côté obscur de la manœuvre…
— Me dites pas que je dois le tuer ! C’est beaucoup plus grave de tuer un immigré Que de ne pas le tuer ! Ah je sais pas si je vais accepter…
— Il est déjà mort, couillon ! Tu ne le tueras donc point. Mais tu diras que c’est toi…
— Ah mais c’est que non je ne peux pas M’accuser d’un crime commis Par le chef de l’État en personne !
— Mais je n’ai tué personne, gros bêta !
— Mais alors…
— Et oui ! Il s’est suicidé. Tu ne risques donc pas Qu’on te croit sur parole Quand tu avoueras Ce crime contre la personne Du premier ministre De notre chère patrie.
— Oui mais alors… Si on ne me croit pas, On va me prendre pour un fou…
— C’est comme ça Que ça a commencé Pour ton prédécesseur… »
Je ne savais plus quoi dire. Le président de la République En savait plus que moi Au sujet de la mort Des premiers ministres De notre chère patrie De chômeurs et de profiteurs. Je ne suis pas devenu premier ministre. Je suis mort avant D’un accident du travail au chômage. La vie continue Et je n’y suis pour rien. Alors continuons, ô Patrie bien aimée !
* Chaque fois que je sors, C’est dans la rue. Pas moyen de faire autrement. Alors bien sûr je pourrais sortir Par les trous de mes murs. Mais je n’appelle pas ça sortir. Au contraire, Chaque fois que je prends un trou, J’entre quelque part D’où j’ai envie de sortir. « Meurs ! me dit mon voisin. Comme ça, tu sortiras Sans avoir besoin de revenir Pour vérifier que tu es sorti Et pas autre chose. » Je comprends ce que veut me dire Ce voisin qui n’est pas le seul A souhaiter ma mort. Je peux d’ailleurs me tuer n’importe où, Dedans ou dehors, Dans la rue, dans un trou, A la sortie du métro Ou à l’entrée d’une prison Ou d’une librairie. Je m’en sortirai toujours De cette manière, Mais je ne suis pas un adepte De l’interruption définitive Du cycle des questions. Ainsi, je reste dedans Quand je ne sors pas. Et quand je suis dehors, Je suis destiné à rentrer. Et ce sera comme ça Tant que je vivrai. Pour changer de méthode, Inutile de changer de rue. J’ai déjà déménagé… pour rien. « Il faudrait, me dit ma voisine, Que vous rencontriez quelqu’un. Mais pas dans l’escalier Que nous partageons, Ni chez le boulanger Qui cuit notre pain. Peut-être qu’en sortant Plus souvent Ça finirait par vous arriver… — Vous connaissez quelqu’un À qui c’est arrivé ? Demandé-je à cette voisine Qui avait l’air d’un voisin. — Non, me répondit-elle. — Vous connaissez quelqu’un Qui connaît quelqu’un A qui c’est arrivé De rencontrer quelqu’un Afin de sortir autre part Que dans la rue ou dans les trous ? — Non, me répondit-elle. — Vous connaissez quelqu’un… » Et nous en avons parlé Toute la soirée, la nuit Et le jour suivant Sans trouver ce que je cherchais. Si je meurs maintenant Je ne saurais pas pourquoi.
* Un poète est venu habiter Dans la maison voisine De la mienne. Il n’y a pas de quoi Fouetter un chat. Pourtant, depuis que le poète Habite à côté de chez moi, Mon chat a l’air fouetté. Il ne saigne pas. Ne porte pas de traces, Mais il se plaint. Et chaque fois qu’il se plaint Il regarde du côté De la maison voisine Où le poète s’est mis à habiter. Depuis, je regarde souvent La même maison que mon chat Quand il se plaint comme si On l’avait fouetté Et que c’était le poète Qui tenait le fouet. Je ne me fais pas des idées, Mais un poète qui ne chante pas Comme chantent si bien Ceux qui font des chansons, Ce n’est peut-être pas un poète. D’ailleurs qui dit qu’il est poète ? Vous l’avez deviné. C’est mon chat. Il mérite donc d’être fouetté. Et depuis que le poète Ne le fouette plus, C’est moi qui tiens le fouet. Que le poète se le dise Avant d’aller trop loin Dans le sens du voisinage !
* L’autre jour, comme ça, l’air de rien (croyais-je) je dis bonjour à un auteur, il me répond qu’il va pleuvoir, je regarde le ciel bleu, le soleil, la lune, les étoiles… pas un nuage. J’ouvre mon parapluie, par politesse, et je fais de l’ombre aux livres que l’auteur expose dans le salon. Il aime moins mon ombre que mon parapluie. Ça le rend même nerveux, vindicatif, prêt à mordre. Il aboie, miaule, rugit, hennit, brait, siffle… Et tant et tant qu’il se met à pleuvoir. Il m’arrache mon parapluie, critique mon ignorance en matière de ciel et danse pour que le soleil se remette à briller dans ce que je dois désormais considérer comme son ciel. Et le soleil brille de nouveau. « Vous avez là, me dit-il, la preuve que je suis un auteur. » C’était une belle présentation du pouvoir que peut exercer celui qui sait écrire sur celui qui ne sait pas lire.
* Alors je lui dis, A l’auteur, Que s’il passe par chez moi, La table est mise. « Euh… répond-il, Je suis plutôt difficile, A table comme au livre… Mais bon je passerai Et je vous laisserai quelque chose… » Il vient les mains vides, Mais les poches pleines De pages arrachées A ceux qui écrivent Qu’il écrit. Ce fut mon repas.
* « Croyez-moi ! Je ne mens pas ! J’écris moi-même Que j’écris, Mais c’est avec le cœur Et deux ou trois choses Que je n’ai pas encore écrites. » Et elle me frotta le nez Avec son chapeau penché Sur la dédicace Que je n’avais pas demandée. Je voulais juste savoir A quoi servait la plume Sur le chapeau.
* L’auteur m’a demandé De souffler dans son cul. Il s’est gonflé. Moi je suis comme tout le monde. On a beau me souffler dans le cul, Je ne me gonfle pas. Mais ma foi s’il s’agit De dégonfler ce qui est gonflé, Je me gonfle. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. En fait, Si l’auteur s’est gonflé Parce que je lui soufflais dans le cul, Au moment de le dégonfler, Tandis que je commençais à me gonfler, Un oiseau a fait le travail à ma place. Tout a explosé. L’auteur, moi, le salon, Les visiteurs sachant écrire, Les pauvres venus pour lire… On était plusieurs A l’endroit même Où l’auteur s’était senti seul. On n’a pas retrouvé sa trace.
* J’évite de fréquenter les auteurs. Que voulez-vous… La moindre attention à leur égard, La moindre petite flatterie de rien du tout, Une seule politesse dans la nuit de leur solitude… Et ils vous montent dessus, Vous ferraillent les côtelettes A grands coups d’éperons, Vous tirent sur la langue Et s’accrochent à vos dépens. Votre crinière en prend un coup. Il faut les lire, je ne dis pas le contraire. Mais évitons de leur soumettre nos gentillesses, Notre patience et même notre compassion. Passons notre chemin sans les voir, Comme l’amoureux solitaire. Ménageons notre crinière !
* Oui, Dis-je au philosophe, Ça philosophe beaucoup Depuis que ça va mal. Chacun à son idée. Il y en a même Qui écrivent des poèmes. Il faut bien que ça rime, Sinon on a l’impression D’avoir des idées Et rien dessous. Il ne faut pas en rester là. D’ailleurs moi-même J’ai des idées. Ça ne rime pas encore, Je l’avoue. Ça se laisse écrire, Ça oui ! Je n’en dors plus. Et j’ai des crampes Qui ne me réveillent plus. Les crampes, C’est fait pour réveiller. Ça me donne des idées, Ce manque de sens. Des idées qui ne tarderont pas A rimer Si je m’y prends bien. Je vais commencer Par me réveiller Et si le sommeil ne vient pas J’irais voir le docteur Ou le curé, Ou les morts du cimetière. Je les entends parler La nuit. Ils me parlent peut-être. Ils expliquent mon insomnie Peut-être mieux Que mon envie de l’écrire.
* À la campagne, Je me sens bien. J’ouvre ma fenêtre, La nuit, le jour, Qu’il vente, Qu’il pleuve Ou autre chose. Et je me laisse aller A penser, A écrire A rêver, A t’aimer.
À la campagne, Je suis chez moi. J’ai oublié de travailler. Je ne connaîtrai pas l’hiver. Mais je t’aurais aimée Avec les arbres, Les fruits, Les mensonges, Les vérités, Au début Comme à la fin De l’été.
* Lit de lilas, Las de Lily, Lily là, là ! Là lit Lily. Lily lilas Et là au lit Le lilas lu. Si tu savais comme je t’aime !
* Mon adolescence est le seul moment authentique de mon existence. À la fin, j’aurais dû me suicider. Je ne l’ai pas fait, ni tenté de le faire. C’est que je n’étais pas désespéré ; j’étais seulement en colère. Je n’ai pas franchi ce pas, comme le terroriste islamiste ; j’ai eu tort.
* « Frère Jacques, dormez-vous ? Frère Jacques, dormez-vous ? Sonne la patine Du mensonge, Du mensonge… »
Mon voisin est athée. Je le suis moi aussi, Mais ça ne se voit pas. Je suis discret Comme une luciole En plein jour.
Mon voisin taille la haie. Le soleil est haut. J’ai sommeil, Sommeil de l’après-midi. Un curé est mort.
Mon voisin est content. Il n’a jamais tué de curé. Il n’a tué que des fellahs Du temps que c’était un devoir Avec option médaille, Reconnaissance de la nation Et gloire des petits-enfants… Parce que les enfants, n’est-ce pas ?
« Vous ne le saviez pas ? » Non, je ne le savais pas. L’été, je profite du soleil. Je n’écris plus, je ne parle plus, Je redeviens bête.
La tête d’une marguerite Saute sous le sécateur. « Frère Jacques, dormez-vous ? Frère Jacques, dormez-vous ? Sonnent mes mimines, Plus d’curé ! Dieu est mort ! »
Il voulait parler de celui qui, Faute d’exister, N’en finit pas de mourir.
* « Alors frère Jacques arrive au Paradis. Et bien sûr il tombe sur son assassin Qui attend lui aussi Que Pierre Ou qui on voudra Ouvre la porte du bonheur éternel.
— Mais je ne comprends pas ! s’étonne Jacques. Vous êtes un assassin. Et ce n’est pas que la République qui le dit. Tout le monde le dit, Sauf les assassins !
— Tu t’es trompé de paradis, Hé patate ! »
* « C’est quoi, ta couleur, mon fils ? »
Papa est dans la porte, Ombre terrible, larbin nature. Alors ce ne sera pas le rose, Pour la raison que vous savez Puisque vous me connaissez De longue date. Pas le rouge non plus, Couleur des révolutions Et du sang qui coule De ce côté de la patrie. Le jaune c’est pour les oiseaux Et les femelles qui vont dessus Comme les petits bateaux. Le marron, couleur de merde, Personne n’en veut, dit Papa. Le noir est la couleur De ceux qui ne croient pas En l’humanité ni en son Dieu. L’orange c’est pour les bonbons, Même si c’est la couleur du soleil, Du moins sur les cartes postales De nos vacances en Enfer. Le violet, trou du cul, Même les morts n’en veulent pas. Le vert est déjà pris. À la fin, Papa montre le bleu. J’en ai moi aussi sur la peau, Mais je les cache. J’ai de la pudeur A la place de la couleur. Je ne serai jamais flic.
* Imitez Adolf Hitler. Prenez un drapeau vide. Remplissez-le de rouge : C’est socialiste. Mettez-y du blanc, En rond, en carré, Ou autrement : Vive la Nation ! Mais le plus dur Reste à faire : Mettre quelque chose Dans le blanc : Un svastika, une rose, Le bleu des Droits de l’homme, Douze étoiles parfaites… C’est le moment de choisir. C’est le plus difficile. Changer le rouge Avec du blanc, C’est encore humain. Mais dès que le moment est venu D’achever le drapeau, C’est normal d’hésiter. Tout le monde hésite. Oui, je veux croire Que chacun est capable De se payer Ce cher moment d’hésitation.
*
À Paris où j’habite Pendant les vacances, On va à la plage Avec les flics, l’armée Et les bons vœux Du gouvernement. Hier, après la sieste Sous les fusils, Mon ami Alfredo M’a payé une bière En terrasse, Histoire de montrer Qu’il n’a pas peur Et que je me méfie Tellement Que j’ai peur de moi-même. On ne s’est pas saoulé.
* Remarquez bien que la poésie, Je m’en fous. Et c’est tant mieux pour elle.
Que les autres chantent à ma place, Fleur au fusil Et pas voilés.
Ah j’en ai vu Des fiers de l’être ! Ils en avaient De l’allure en trop !
Que les autres chantent à ma place, J’y vois point d’inconvénient. Je tiens trop à la vie. Les histoires de curés, De rabbins, de mollâs, De boudas, de pasteurs, Et le sang coule Dans les rigoles De nos trottoirs.
Que les autres chantent à ma place, Morts ou vivants Ou autre chose.
La poésie se passe de moi Parce que c’est pas le moment De s’émerveiller Ou de désespérer. Le moment serait mal choisi.
Que les autres chantent à ma place, En fanfare ou en solo, Et que la religion Fasse de l’esprit Ce qu’elle voudra. Elle en a fait déjà beaucoup Et on s’en fout. On recommence Comme si on n’était Jamais venu.
J’en ai marre de recommencer. Plusieurs fois que je l’ai fait, Recommencer et rien changer. Je me demande De quoi ils sont fiers… Ya pas de quoi Mais ils reviennent Gueuler sous le drapeau Avec des croix Plein la langue Et des poètes Pour faire beau Si on regarde pas Au détail.
Que les autres chantent à ma place. C’est pas que j’ai fait mon temps… Mais je fatigue. J’ai plus les moyens De me ressourcer. Je me répète. Je m’entends plus. Je deviens moche. J’ai mal au cul A force de m’asseoir dessus. Et vous ?
Ah j’en ai vu Des fiers de l’être ! Ils en avaient De l’allure en trop !
* Mon voisin A ramené un oursin. L’oursin est mort, Il pue. Mon voisin me demande Comment je fais Pour « enlever » L’odeur de la mort Des animaux Que j’empaille Pour faire joli Dans mon appartement. Je lui dis Par-dessus la haie Qui nous sépare :
« Mange ton oursin, voisin ! Mange la mort de tes vacances. Moi je ne pars pas, J’empaille mes amis. Voilà comment chez moi Ça ne sent pas la mort. »
* Maintenant la pluie Mouille les carreaux. Il y avait longtemps Que je t’avais oubliée.
Tu reviens en gouttes Derrière la transparence. Le jardin est opaque. Les arbres dégoulinent.
Je ne reviendrai pas Demain ni un autre jour. J’ai vendu la maison Comme j’ai vendu ta mort.
Si tu m’avais donné Autre chose qu’un enfant, Je serais revenu Avec un soleil d’Enfer.
* Si le p’tit Jésus n’est pas né du con de sa mère, C’est donc qu’il est sorti de son cul. On voit mal en effet Comment la bouche l’eût conçu. Profitons-en pour mettre fin A la probabilité des trous de nez, Des cavités auriculaires Et des blessures par clou. La Vierge ne l’était point. Mais par un défaut purement Physiologique, Le canal de l’existence S’est trouvé communiquant Avec celui de sa merde. C’est d’ailleurs en chiant Comme tout le monde, Sans souffrance Et même avec plaisir, Qu’elle a mis un enfant au monde. Ce qui ne s’explique pourtant pas Aussi facilement, C’est comment ce fils de cul A mis le feu aux poudres De l’imagination et de l’esprit. Ceci restera pour moi Un mystère de boule de gomme : Je l’ai tellement mâchouillé Que je n’en tire plus Aucune bulle ni pape. Je ne suis plus un enfant.
* Un flic, vu de loin, ça rassure… Mais dès qu’on opère un traveling avant Son mauvais caractère crève l’écran. Le traveling arrière s’impose alors. Certes, s’il avance, contrecarrant Vos espoirs de le remettre à la place Qui lui convient le mieux De votre point de vue, Il faut avoir à sa disposition Un zoom de la meilleure qualité. Ah ! mes chers frères en poésie, Il en faut de la technique Et de la bonne, Pour échapper à ce spectacle De l’innocence garantie Par le gouvernement ! Au montage, pour faire vrai Et ne manquer aucun rendez-vous Avec l’Art, Doublez la voix du flic Vous-même. Le risque de contrarier Le respect dû aux corps Institués S’en trouvera grandement diminué. Et remerciez le ciel De n’avoir pas placé La voix de la Poésie Dans ces bouches d’égout. Les trottoirs de nos villes Ont mieux à faire Que d’être mal fréquentés.
* « Il y a anarchiste et anarchiste : Le type petit bougeoirs Qui fait des vers avec des rimes Pour ne pas passer à l’acte Côtoie le petit con au chômage Parce qu’il ne sait rien faire. Ça fait deux, En tout cas sur mes doigts. Reste huit. Il m’en manque deux. Et on me demande de faire avec Sinon je ne suis pas un véritable Anarchiste. Huit doigts A cause de deux cons Qui se la jouent en marge De l’action. Je crois que je vais prendre Encore un peu de temps Avant de m’y mettre moi aussi. Rencontre du troisième type. Le troisième homme. Le sain d’esprit. Ça promet ! » Dit le petit homme. Ensuite il retourna dans son livre Et disparut.
* Je ne vous souhaite pas d’en rêver ! Tout le monde était employé Par le gouvernement, Sauf moi ! Et je n’étais pas au chômage ! Je travaillais. On me regardait travailler, Car quand on est employé Par le gouvernement On a le temps de regarder Par la fenêtre et par les trous. D’ailleurs je n’avais plus le temps. J’étais sur le point de mourir. Encore un peu et je n’étais plus ! Et pourtant je dormais Et mon existence était un rêve. J’allais me réveiller, Moi le seul homme libre. Mais je ne me réveillais pas. Le sommeil me retenait. Je n’avais pas achevé ma tâche. Et c’était une tâche De la longueur exacte De ce qui me restait à vivre. Je criais à l’injustice. On ne m’entendait pas. Ils avaient beau me regarder, Ils ne s’intéressaient pas A ce que je disais. Je ne disais rien, je criais. Je n’avais plus le temps D’expliquer les raisons de mon cri. Comment ça s’est terminé ? Ça ne s’est pas terminé. Je suis réveillé maintenant Et ça continue, Malheur de malheur !
* A l’église, Les gorges étaient chaudes. Alors je suis monté au ciel, Tout seul, sans l’aide de la mort. J’ai traversé des nuages, Des orages, Des parages Déconseillés Par les ambassades occidentales. Ce fut un long voyage, Tout seul, Sans l’aide de la NASA. J’étais nu Comme un oiseau Qui vient de naître. Mais l’air s’est raréfié Et je suis redescendu Pour retrouver mon souffle. Je ne m’y prends jamais autrement Pour écrire le poème Qui va suivre. Et les gorges se réchauffent En attendant d’être tranchées Rituellement.
* Un jour, Vous irez en vacances Et alors vous comprendrez Ce que c’est De travailler.
Un jour, Qui n’est pas si lointain, Vous prendrez la voiture, Le train, l’avion, Vous prendrez le chemin Qui y mène tout droit.
Un jour, Nous nous rencontrerons. Nous nous aimerons peut-être. Qui sait ce que nous sommes L’un pour l’autre ?
* Un curé en moins, Ce n’est pas grand-chose De perdu. Mais des dizaines d’enfants Broyés, Pliés, Coupés, Hurlant, C’est beaucoup. Moi, Je donnerais Tous les curés du monde A l’Islam immodéré Pour épargner La douleur, La peur, La mort A un seul enfant. D’ailleurs je crois Que le pape Est de mon avis. Sauvons les enfants ! Donnons les curés ! Et pourquoi pas Tout ce qui n’en a plus pour longtemps !
* « Charlatans et jobards, La vie est un panard. On en prend plein la gueule Jusqu’à c’qu’on soit plus seul. »
Ce type chantait sous le porche. Un chien le côtoyait. J’étais à la fenêtre, Des fois qu’un attentat Me chang’ de la télé.
Il me donnait le rythme, Cet éternel rhapsode… Et dans mon dos, La télé vantait sans nuances Les mérites de la nation.
J’étais seul moi aussi. Seul et muet devant le spectacle Donné non pas par des fous, Mais par les larbins de l’épargne Et du bonheur trouvé dans une bouteille.
Ce n’était pas l’envie Qui me manquait De fomenter l’assassinat Pour ressembler à autre chose Qu’un citoyen.
Je croyais connaître Les secrets de la bombe Et du couteau.
Je me voyais à l’assaut Des serviteurs récompensés A défaut de pouvoir Viser plus haut.
Charlatans et jobards, Je vous hais Mais je ne vous tue point. Et chaque jour j’imite Parfaitement Le citoyen presque Exemplaire.
Voilà comment je crée Mes personnages. Et d’autres fois, Ils ne tuent personne. Ça dépend tellement de vous !
*
Petit poète deviendra grand. Il n’écrivait pas. Il disait. Hier bavard. Aujourd’hui écouté. D’ailleurs sans la musique, Il n’est plus rien. Et sans lui la musique N’a pas de sens. Petit poète deviendra grand, Avait prédit Papa En agitant à la fenêtre Le drapeau de la Nation. Du sang dans les sillons Et des enfants au premier rang. Hier, Il comptait les oiseaux Dans les branches de l’arbre. Aujourd’hui, L’arbre compte sur lui. On entend les feuilles Dans le vent Et les oiseaux Battent de l’aile. La poésie de Papa N’a pas fermé l’œil De la nuit Et voilà le résultat : Petit poète est devenu grand. L’arbre ne pousse plus, Les oiseaux écoutent Et le vent sort D’un instrument. Grand-papa ne se retourne plus Dans sa tombe. Tout le monde est content… Sauf moi.
* Sur la plage, Vous apparaissez Masqués Aux endroits Sexuels. Le reste, Peau blanche Et croix, Nage, Plonge, Eclabousse.
Sur la même plage, Un habit Prend le soleil, Prend l’eau, Prend le pouvoir, Dites-vous.
Dans l’habit, Une femme Est piégée.
On ne voit pas Le piège Qui vous encourage A recommencer.
Ici, Le bonheur Est un style de vie. Le corps est Un jeu d’échec. Mais là, Le corps est un enjeu Et l’échec n’est pas permis.
Faut-il que je choisisse ? Moi qui n’ai pas choisi D’être l’homme ou la femme ? Ou ni l’un ni l’autre… Ou les deux à la fois… Ou tout le monde et chacun Selon les caprices De mon inspiration ?
* Croisez croisés, Vous ne rencontrez rien. Le monde ne vous appartient pas.
Chassez croisés, La proie renaît toujours De ses cendres.
* Chez moi, Je suis seul. Chez les autres, J’aime la solitude. Nulle part, Je m’emmerde.
Je me le dis, Mais je ne le dis pas.
Forcément, le ciel…
Mais je ne lève pas les yeux. La nuit m’ensommeille. Le jour m’occupe. Je ne connais pas De crépuscule.
Forcément, le temps…
J’y pense tout le temps. Et quand je ne pense pas, Il en profite Pour compliquer mes réveils.
Imaginez-moi Au saut du lit. Nu et avide, Pas même amoureux, Allant chez les autres Ou ailleurs Pour ne pas rester Chez moi.
Imaginez mon roman. Je suis ce personnage Et je ne suis pas vous Comme vous n’êtes pas moi.
Forcément, l’autobiographie…
Ce que j’écris, Le vent l’emporte. Là-bas, Un cimetière des éléphants Conserve ma trace. Mais souvent j’oublie Que l’homme futur Qui observe mes vestiges N’est pas un exégète, Mais un anthropologue. Je ne signe pas, je suis… Forcément.
* Certes je n’obéis pas, Mais je me laisse aller. Le vent est doux, La mer tranquille, Les femmes vertes.
Encore un peu, Monsieur le bourreau, Et le temps n’existe plus. Telle est mon intuition. À force de temps, Ce n’est plus le temps Qui met fin au voyage.
J’obéis à la paresse, A l’étude, au plaisir. J’obéis au plus fort, A l’exigence commune, A la peur, à la douleur. J’obéis à tout ce qui bouge.
Mes nuits sont terrifiantes, Mais je dors comme un enfant. Le soleil m’éclaire et me dit tout, Et je me laisse aller à croire Que je ne suis pas l’auteur Du massacre et de la soumission.
Vous allez me trouver bien léger, Vous qui pesez de tout votre poids Sur mon existence de poète… Mais… Le vent est doux, La mer tranquille, Les femmes vertes.
* L’un croit. L’autre ne veut rien savoir. Raminagrobis, Au service De la justice, Préfère le provisoire, L’état momentané, Les vacances Après le travail.
À travers les sapinettes, J’observe mon avenir. Je me tenais caché, Car ces trois citoyens Veulent tout savoir De moi.
Je n’étais qu’un enfant.
Je ne croyais pas. Mais je voulais vivre. Pas question de servir A quelque chose !
Mais que devient-on Si on ne croit pas ? Si on veut vivre ? Et si on n’a pas l’esprit A servir à quelque chose ?
On ne devient rien Dans ces conditions.
Il va falloir négocier.
Un peu de conviction (pas trop !), Un chouya de doute (raisonné) Et cette sagesse Qui n’est pas de l’amour.
Voilà comment on devient un homme. Je pense, donc je suis. Je flatte, donc je deviens. Je mens, donc je possède.
Vous allez penser du mal de moi…
* Un homme (comme moi) Allait sur le chemin (moi aussi)
Nous nous croisons. Il me salue. Je le salue. Pas un mot.
Plus loin (lui aussi) Je tombe sur un arbre Qui porte des fruits. Lui… Est-il un voleur (comme moi) ? Peut-être. On se ressemble tous. Un arbre, des fruits, Personne… Dos à dos. L’Humanité…
* Il y a celui Qu’on croise plusieurs fois. Et celui Qu’on ne croise qu’une fois. C’est le futur, Comme on dit « Cest la vie ! »
* Un vieillard Aux cheveux blancs, Agé, Poussait un bateau Dans l’eau Du bassin. J’étais assis Sur une chaise, Moi-même entre les mains, Car je suis un livre. Je le refermai, Ecrasant le vieillard Qui ne cria pas. La chaise se plia. Je ne criai pas non plus.
* L’un veut être juste Et disparaît Sans laisser de traces. L’autre prétend profiter Du temps qui passe Sans se soucier De l’effet produit Par ses jeux Solitaires Même à deux. Mais entre l’un et l’autre, Ma main ne trouve rien. La question que je me pose alors Est de savoir Quel est le contraire De ce geste d’enfant. Qu’est-ce qu’on ne trouve pas ? …même en cherchant bien…
* « Tu seras ce que tu n’es pas ! » Parole tombée, En même temps que la voix, De la bouche du père, Ou de son cul, Car l’homme chie beaucoup.
Hélas, On ne tue jamais tout le monde. Et la vie Devient une réalité Pour les autres aussi.
Je n’aime pas les fenêtres De ma chambre. Mais la merde Paternelle Est transparente. Je vois bien Ce que je verrai Un jour ou l’autre.
Il n’y a rien à faire D’autre.
* Philosophe ou sophiste, Salaud ou pédant, Bon ou mauvais, Noir ou blanc Ou autre chose. Chaque fois Que je plante mon bâton Entre l’un et l’autre, Je me vois. Je chie. Je mange. Je rêve. J’exulte. Heureusement Que j’ai un bâton ! Mais où l’ai-je trouvé ? Je suis né nu ! Ma mémoire N’a pas le pouvoir De retrouver Cet instant Peut-être magique. Ou peut-être rien… Après tout.
* Tout le monde veut travailler, Sauf moi. Personne ne veut me nourrir, Même mon amour. Car j’aime. Je n’y peux rien. J’aime Et je suis aimé. Ce qui ne durera pas. Je ne veux pas travailler. Je ne veux pas me suicider. Je ne veux rien savoir. Je n’aime pas tout le monde. On voit de ces choses ! Ensuite on ne les voit plus. On est seul. Affamé. On ne s’en sort pas. Des mains se tendent. Des mains donnent. Elles donnent du travail. N’importe quel travail. Si on pouvait choisir ! Mais on ne choisit pas. Et on n’arrête pas le temps. Il s’arrête tout seul. Il n’a besoin de personne. Il travaille. Tout le monde travaille, Sauf moi. Je finirai dans un livre Avec d’autres feuilles D’automne.
* Un vieillard méditait Sur un banc. Ou il mourait. Allez savoir ! Il ne m’appartenait pas. Je ne possède rien Qui ressemble De près ou de loin A un vieillard. Je possède peu, D’ailleurs. Je joue un peu. Je travaille aussi. Je donne, je prends, Je regarde la télé. Je me promène Quand j’ai le temps. Un vieillard meurt Ou s’emmerde. Allez savoir ! Moi je passe, Comme le vent. Je souffle sur les choses. Les fruits mûrissent. Les feuilles tombent. Je compte mes pas. Je m’assois Si la place est libre. J’attends moi aussi.
* La France fait ses records Toute seule. La France se branle Dans son petit coin. Heureusement, Je ne suis papa Risien. Couchée sur le paillasson De l’Europe, La France prend le temps Comme il vient. Heureusement, Je ne suis papa Risien. Cons et moineaux Font la fête A la porte de l’Europe, L’anus dans les poils durs De la carpette nationale. Heureusement, Merci Papa ! Merci Maman ! Je ne suis papa Risien. En montant chez moi, Au dernier étage, j’ai chanté la Marseillaise. Pauvres Marseillais ! Mais heureusement, Je ne suis pas non plus De Marseille. Merci Papa ! Merci Maman ! Si j’étais philosophe, Je ne douterais plus. Mais je suis Ce que je suis. Ainsi fait. Devant ma porte, Le paillasson est conchié Par les oiseaux de Paris. Ya des trous dans le toit, Mais je ne suis pas chez moi. Je ne me plains pas. Je frotte moi aussi. Et ça vient. On a au moins ça En commun, La France et moi.
* Hier, Dans ma rue, Un type s’égosillait, Drapé au drapeau National. On n’avait pas gagné, Mais on n’avait pas perdu Non plus. Par-dessus ma haie, Je l’ai salué, Les doigts sur la tempe. Comprit-il L’ironie de mon geste ? J’en doute. Je l’ai retrouvé Chez le boulanger. Il croquait un croissant Et le commentait En bavant. Pour lui montrer, Une fois de plus, Que je l’avais compris, Je pressai une chocolatine Qui chia doucement Sur la pulpe De mon index droit. Cette fois, Il s’interrogea. J’exhibai le petit cucul A deux doigts de son nez. « Si ça sent la merde, Lui dis-je, Ce n’est pas de ma faute. » La boulangère Aux seins de marbre Et de guimauve S’est gratté la hanche Sans rien dire. En sortant De la boulangerie, J’ai fait coucou au curé Qui aime bien Quand je pisse Contre le mur de l’église. Il a aussi salué Le porte-drapeau Et tout le monde Est rentré chez soi. On ne perd pas Tous les jours Ce qu’on gagne A ne pas jouer.
* Mon voisin est mort De mort naturelle. C’est bien, La mort naturelle. Et c’est mal, La mort qui manque De naturel. On en a parlé. On a bien bu. On est revenu. On a attendu. La mort nous guette. Elle est voisine Ou de passage. On ne sait jamais. On a beau boire, Rien n’y fait. On se ressemble. Juste ou injuste, On est en vie. Comme disait mon voisin Qui est mort Comme je l’ai dit, « Pour ne pas subir Le sort des humains, Ya pas d’autr’ solution Que de pas être en vie. Mais ça, On sait pas comment faire ! Alors on fait des gosses ! » On fait ce qu’on a été Et on est ce qu’on ne fait pas.
* Je voudrais vous y voir, Mais vous n’y êtes pas ! Ah ! Quand je suis seul, Je ne suis pas au lit ! Hier, Entre ceci et cela, A l’heure des plaisirs Solitaires et joyeux, Je croise dans le couloir La femme de ma vie. Elle revenait ! Moi pas. Elle frotte ses pieds Sur mon paillasson, Ouvre ma porte, Entre chez moi, Ouvre le robinet, Boit dans mon verre, Dit : « Ah ! ce qu’il fait chaud aujourd’hui ! » Je dis : « Il tombe du feu ! J’ai soif moi aussi. — Fais le lit ! » Et ça recommence. Une vie d’enfer. Quand il ne fait pas chaud, On se caille. Et quand l’été revient, Il fait encore plus chaud. Alors on boit, On se baigne, On rigole, Et elle lave les draps. À l’automne, Elle repart d’où elle revient toujours. Et les années passent. Et hier, La voilà qui se ramène Dans une belle auto. Elle n’est pas seule. Elle n’entre pas. Elle me fait signe. Je réponds à ses questions. Rien sur moi. Tout sur elle. Et elle repart au volant De la belle auto. « Trouve-toi une autre femme ! » M’a-t-elle dit. Ça devait arriver. Je voudrais vous y voir, Mais vous n’y êtes pas ! Ah ! Quand je suis seul, Je ne suis pas au lit !
* Un autre me disait Que le malheur S’assoit Sur son paillasson Chaque fois Qu’une femme croise Sa route. Nous buvions. Je me souviens. La mort A fini Par voler Le paillasson. En face de chez moi. Le même paillasson. Les pieds d’une femme De temps en temps. On ne se croise pas. Elle me tombe dessus. Elle entre. Elle ouvre la fenêtre : « Ah ! C’est ça que tu vois D’ici… » Sinon la nuit se couche Sur les toits. Le matin, Un poème me réveille, Ecaille de rêve. Ou bien c’est elle Qui me brise le cœur. Entre-temps, Un autre arrive, Ou revient. On boit. Nous ne serons jamais rien Sans la poésie.
* On me traite de paresseux Parce qu’en effet Je dors le jour Au lieu de travailler. Mais la nuit ? La nuit, Vous n’êtes pas là Pour m’aimer. Je travaille, la nuit. Je travaille la nuit. Et la nuit me travaille. Au matin, Le rêve s’interpose. Vous comprenez ?
* Le vent poussait des étoiles. Tu ne voyais pas Ce que je voyais. Tes yeux scrutent Le futur, Connaissant mon passé. Tu n’as pas de présent. Tu es la nuit. Peut-être la mienne. Je ne t’ai pas rencontrée. Tu es venue. Tu es entrée. Tu t’es assise. Tu as bu dans mon verre. Tu as ouvert ma fenêtre. Tu as dit ce que tu as dit. Et je me suis endormi Pour ne plus rêver avec toi.
* Soyons heureux. Bonne santé et argent ! De belles vacances. Un travail tranquille. Des gens autour, Sans effusion. Laissons le passé Faire son œuvre D’Histoire. Créons le futur Immédiat. Poème. Il n’y a pas d’autre présent. Et nous sommes deux Pour le partager. Chacun son rêve. Chacun sa nuit. Ce matin, J’ai rêvé de toi. J’ai eu tort, Car tu n’as pas aimé La fin.
* Ce que je suis ? Moi. Ce que je possède ? Rien. Ce que je représente ? Toi, Peut-être…
* Nous écrivons Pour ne rien dire. Et nous jacassons Pour le dire. Inutiles poètes. Soi-disant orfèvres. Pure apparence. Il n’y a que les miroirs Qui ne renvoient pas Notre image. Les autres Réclament des timbres. Le poème va et revient. Dans l’eau, L’épée se brise. Sinon elle blesse. Ou rature le ciel S’il n’y a personne. Personne, c’est mieux, Au fond. Personne, Puis plus rien, Pas même soi. Disparition totale De l’énergumène. Il a parlé Pour ne rien dire. Il a écrit Pour le chanter.
* L’autre jour, Je descends. Et sur qui Je tombe ? Lui ! Ma haine. Sans lui, Ma rue Aurait un charme D’oiseau. Il rayonne, Le soleil.
* « Tu n’aimeras jamais personne ! Tiens ! Puisque c’est ça, Je te quitte ! Et en musique ! » Enfin seul ! Mais non ! On frappe sur le bois De ma porte d’entrée. Je n’en reviens pas. C’en est une autre ! La même, mais en vrai !
* Bavardez, humanistes ! Bandez vos cordes à piano. Le philosophe c’est Socrate.
V’là un curé qui lutte Contre ses instincts Naturels. V’là le maire Et ses ouailles Qui vident les verres. Et des raclures de poètes Espèrent tourner le vers Dans le sens De la reconnaissance.
Bavardez, humanistes ! Bandez vos cordes à piano. Le philosophe c’est Socrate.
Et pis voilà le président, Et son premier valet, Et les valets eux-mêmes, Et pis des fonctionnaires En veux-tu en voilà ! Ya pus qu’à faire la fête Entre deux attentats Lâches et bien horribles. Dehors j’ai froid au nez Et dedans je me chauffe. Formez vos bataillons !
Bavardez, humanistes ! Bandez vos cordes à piano. Le philosophe c’est Socrate.
Ah ! des fois je me tiens ! Si je sais c’est peut-être Et si je suis pas sûr C’est pas moi. V’là des élus et des choisis ! Ça pullule dans les rues Et dans les monuments aux morts. On se croirait retourné Chez Fifi le papa Des fayots et des dingues. Moi je me tiens chez moi, Pas poète ni vieux, Médaille en chocolat De l’honneur dans le cul.
Bavardez, humanistes ! Bandez vos cordes à piano. Le philosophe c’est Socrate.
Hier je rentre au bercail Où Bobonne m’attend Car le repas est prêt Depuis de longues heures. Elle est seule et sent bon. Cinq minutes de sexe Et puis la Marseillaise Me rappelle au devoir. Le nez à la fenêtre, Je salue le drapeau, Je montre ma médaille, Je reconnais mes torts Mais aussi mes excuses.
Bavardez, humanistes ! Bandez vos cordes à piano. Le philosophe c’est Socrate.
Croissez dans le verre, Bulles d’intelligence Avec l’ennemi ! On connaît la recette. Ni une di deux Que je m’y mets ! Aussitôt c’est la fièvre Qui monte dans le ciel. Sur l’trottoir j’ai crevé Mon abcès national. J’en ai pas d’autre’ À vous offrir, Passants des rues et des feux rouges. Ah ! pour crever Je suis crevé ! Et je vous en veux pas. Un jour ou l’autre On n’est plus rien. Dite’ à Bobonne Que je l’aimais.
Bavardez, humanistes ! Bandez vos cordes à piano. C’est Socrate qui le dit.
* Et pis après ya plus rien. On a tout eu et pis voilà. Adieu Pierrette et pis son pot. On a vécu mais sans les roses.
V’là l’histoire de ma vie : Pierrette et pis ses roses. Et après ya plus rien. Avant non plus, c’est vrai…
Elle était fonctionnaire, Moi ouvrier d’usine. On a eu des enfants Et même un anarchiste.
On a tout acheté, Le silence y compris. Pis quand c’était la guerre, On a eu des pensées.
Des fleurs sur le balcon, Des fruits sous le plafond A la place du jambon Et pis d’autres couleurs.
Mais rien n’est plus comme avant. Autant dire qu’ya plus rien. Ni temps qui passe, Ni autre chose.
On croise plus personne. Je vous dis qu’on est mort. Mais si vous m’entendez, Dites-lui que je l’aime.
Ah ! c’que c’est chouette la vie, La vie et l’existence. L’une ne va pas sans l’autre, Mais je n’y pense plus.
Du côté de mon chien, A part les os usés Et les grilles d’égout, Vous ne trouverez rien.
Comme ici, en Enfer, Mais alors rien de rien ! J’sens que j’vais m’ennuyer. Plus d’travail ! Plus d’loisir !
Et rien à boire.
* Mon voisin n’est pas mort. Il l’a vue de près, La mort, Mais il est revenu Sans elle.
Forcément on en discute Par-dessus la haie. Il décrit le phénomène En habitué Du rapport circonstancié.
Je me doutais un peu, Tout de même, Que cette vision Inspire le doute. Mais mon voisin Ne sait plus que penser.
La mort n’est pas le paradis. Pas l’enfer non plus d’ailleurs. (C’est mon voisin qui m’explique) On voit que c’est la mort, Mais ça ressemble à rien !
Je couche avec sa femme Depuis des années. Elle ne sera pas veuve. C’est ça, l’expérience, Sophistes de malheur !
* « On est heureux ou on l’est pas. Ya pas d’juste milieu. Sinon faut croire Qu’on est vernis D’une façon ou d’une autre ! »
Depuis qu’il a vu la mort De près, Mon voisin philosophe. Il relit Platon. Il piétine Aristote, Les latins, Les pères de l’Église, Les humanistes, Revient au doute Anachronique. Quelle histoire !
« On est quelqu’un ou pas grand-chose. Mais à qui de le dire ? Les salauds sont médaillés. Les charlatans bien torchés. Les morts renouvelés. Les enfants reconstruits. Non mais qu’est-ce qu’ils m’ont fait ? »
Il relit les journaux. Un par un les journaux. À droite, à gauche et au milieu. Des journaux plein la tête. Des photos, des discours. Des promesses de sang Et d’autres de loisir. C’est par-dessus la haie Qui nous sépare Qu’on échange Nos impressions En attendant De disparaître Sans laisser de traces.
« Voilà comment, voilà comment On devient poète et humaniste ! L’un ne va pas sans l’autre. Et on perd la santé Le jour où ça rime plus ! »
Il y a longtemps Que ça ne rime plus. Les lions sont couchés. On ne les chasse plus. On redit le bonheur, La grandeur des uns Et du mal des autres Qui ne méritent pas mieux De notre dignité.
« Écrivons pour répandre l’amour ! Il faut sauver le monde ! Nous sommes des Jésus. Courons plus vite que la croix ! Et ne mélangeons pas Les olives avec les pommes ! »
* Mi-figue mi-raisin, Les marchands vendent du bonheur Coupé d’autres promesses Moins naturelles.
Hier je me ravitaille Comme tous les mardis Au marché près l’église. Mon voisin y rumine.
Il complote, il médit. On l’écoute sans rire. Je passe sans les voir. Salade à un euro.
Je couche avec sa femme. Je vais le regretter Un jour que Dieu défait Pour refaire le monde.
C’est là tout mon malheur. Des jours pareils aux nuits. Des nuits sans aventure. Du plaisir dans le doute.
« Ciel ! Mon crétin de mari ! » Il faut que je me calte ! Je survole la haie. Matin en est témoin.
Mi-figue mi-raisin, Je vends ce que je vends. Pas d’ quoi alimenter Le corps philosophique.
On se ressemble tous. Pas meilleurs que les autres. Effet de la mémoire Perdue pour tout le monde.
Ah ! s’il était possible De retrouver le philosophe ! Maudits poètes ! Salauds d’élus ! Chiens d’électeurs ! Pauvre de moi !
* Mon Dieu (ou autre chose) Qu’est-ce que ceci ? Un caillou poli par le temps Ou plutôt Par ce qui le compose. Le soleil était haut. Sous les arbres je suais. Et voilà qu’un galet, Tout rempli de secondes, M’arrête et me prend l’âme Comme le ferait une fille De mon désir. Je m’assois au bord D’une murette chaude. Je suis seul en ce lieu. L’herbe sent bon La coupe fraîche. La brise flatte ma nuque. Je me sens poète Jusqu’à la soif. Mais le galet n’en est pas un. C’est un morceau de ciment. Pourtant, j’y vois encore Deux yeux qui me contemplent, Moi, Création et créateur. Ce morceau de moi-même, De tous et de moi-même, Par la rime et le rythme, Fait de moi son auteur Unique. Je ne le jetterai plus Dans l’eau de la rivière Comme je le faisais Lorsque je n’étais Qu’un enfant. À moi la Poésie !
* « Je veux m’ach’ter D’la Poésie ! D’la Poésie Pas chère et même Pas difficile A s’faire dessus ! Je suis Poète ! J’aim’ les voitures ! Ah ! J’aime tout Ce qui s’achète ! C’est vrai que j’en Ai les moyens. J’suis fonctionnaire Jusqu’à la mort. P’t’êt’ que si j’ai L’Inspiration, Marianne et pis La République Reconnaîtront Finalement Qu’ j’ai du talent Et du bol ! Je suis Poète En Poésie ! J’achète tout Et je pay’ bien ! En plus j’ai pas peur D’la télé Ni des médaill’ en chocolat. Je suis le futur De la France ! Qu’est-c’ que je dis ? Du monde entier Que je suis votre lendemain. Allez zenfants ! Jetez l’papier ! Plus c’est d’la merde Et plus je m’sens En état de boucher un coin A ceux qui compliquent les choses Au point qu’on n’y comprend plus rien. Place au Poète ! Au vrai, à moi ! J’en ai des choses Que si j’ les dis Vous n’en croirez Pas vos oreilles ! Viv’ la Musique Qui s’ laisse entendre ! »
* Mon voisin Ecrit de la Poésie. Il a acheté le papier Pour que ça ressemble déjà A un livre. « Vous qui êtes poète (il le dit avec un petit pet) Vous savez bien De qui je parle. Alors lisez ! C’est dans un livre. Payez ce que J’n’ai pas payé ! » Ça l’fait marrer D’être payé A ne rien faire, A tout avoir Avec en prime Non seulement Des vacance’ Et des soins dentaires, Mais avec en plus De ces vers Que si c’était Par les trous d’nez Qu’ça lui sortait, La vérité S’rait connue d’tous ! Mais c’est pas l’cas, Mon bon monsieur Qui me lisez Avec l’œil gauche Pendant que l’droit Lorgne un emploi D’gouvernement. Ah ! je déprime, Je me suicide. J’existe plus ! J’suis déjà mort ! Pourquoi que je Suis un poète Parmi les poète’ Et les autres ? Si je m’étais Fait fonctionnaire Je le saurais Et j’en dirais RIEN !
* Caca d’oiseau Quand il fait beau. Pipi de chat Quand ça va pas !
J’ai le chat et l’oiseau, La cage et la litière. J’ai de quoi ne pas vivre seul. Je me regarde à la fenêtre.
Il fait soleil ou il fait beau. Horace cligne de son œil. Pline recueille dans un seau Les larmes de Catulle en deuil.
J’ai les livres, vers et prose. Et j’aime la lecture. Je suis fait pour vivre Chaque instant comme il vient.
Caca, pipi, soleil et pluie. Chat, oiseau, livre, fenêtre, moi. Je buvais seul dans mon seul verre. Et vous avez tout oublié.
* Je suis d’accord avec vous, Fascistes de tous poils ! Je suis presque blanc Et pas du tout catholique. Donc, je ne suis pas français Comme vous l’êtes Et c’est tant pis pour vous. Je suis ce que je suis. Dieu n’en sait rien. Et c’est tant mieux pour lui, Parce qu’à force De ne pas exister Il n’a plus droit à la parole Sur la terre des hommes. Sur celle des fascistes, A poil dur, à poil mou, Dieu sait tout ce qu’il sait, Blanc de peau, bras en croix. Je ne suis pas français Et je suis fier de ne pas l’être.
Mais c’est ici que je vis. C’est ici que j’existe Et que je me reproduis. Par la queue et par le texte, Je donne des enfants à la patrie. Attention, c’est du sang ! N’en mettez pas partout, O fasciste’ à quatre pattes, Catholique’ encore vierges, Sans couleur et sans raison D’exister et de puer. C’est ici que je respire Et c’est mon air qui vous anime.
Goutez plutôt à ma cuisine. Mais ne me tournez pas le dos. Quand j’encule je déchire.
* Les bourgeois volent haut, Mais c’est pour échapper A la justice des hommes. Les autres ne volent pas, Ou juste un petit peu Pour ne pas mourir de faim, De guerre, de honte, de dépit. Ici-bas, point de rencontre Entre le savoir et la sagesse. Il te reste le geste Et tu l’associes à la parole. Tu mourras comme tout le monde, La tête pleine des rêves De bonheur et de vengeance. Je te connais, va ! J’ai tellement appris… De moi-même, surtout des autres. Les carreaux de ma fenêtre Essuient mes larmes d’enfant.
* Nous sommes tout, Soyons rien. Mieux vaut un pessimiste Qu’un optimiste déçu. Le chagrin ne tue pas. Le désespoir détruit. Faut-il tuer le mal dans l’œuf ? Détruire le gai partant ? Qui lèvera la main Sur ce joyeux mais court Voyageur provisoire ? Le Ténébreux ne tue personne. Il observe de sa fenêtre Les spectacles de la joie Sur la ligne de départ. L’horizon est bouché. La route bordée de lampions Et de tous les signes De l’attente qui ne sait pas Qu’il n’y a rien à attendre. Il n’y a pas de poésie. Il n’y a que des poètes. Et personne pour les tuer Avant la fin du spectacle. Le Ténébreux y pense, Mais les jours se ressemblent. Même que dans son cas, Ils ressemblent à la nuit.
* Mon voisin A trouvé un trésor Dans son jardin. Pas un cri. Pas un bruit. En un saut, Il était chez lui, Serrant contre son sein L’or rutilant et beau.
Je n’ai jamais trouvé de trésor. Ce n’est pas faute D’avoir cherché. Dans mon jardin Et ailleurs. Voilà comment Je justifie Mes voyages.
Le temps Marche devant moi. Pas un signe De bonheur. Il ne pousse rien. Je le suis. Sous mes pas, Point de trésor. Des idées En veux-tu en voilà ! Je n’en manque pas. Elles valent mieux Que mes secondes, Mais est-ce là Le trésor que je cherche ? Je n’ai plus l’âge d’y penser, hélas.
* Vous n’allez pas me croire, Mais cet or n’en était pas. Je suis rentré chez moi. Heureusement qu’il n’y a pas De métro dans ma ville. À Paris, j’ai croisé d’autres gens, Mais ici, chez moi, je reviens seul.
À part une fenêtre et un lit Qui sert de table et de chien, Je ne possède rien d’aussi doré Que l’or que j’avais cru trouver, Ce jour-là, loin de Paris Et des gens qu’il faut croiser Pour ne pas les connaître.
Mon voisin est plus riche que moi. Il n’a jamais pris le métro. Il ne connaît pas Paris, la Tour, La Présidence, les hélicoptères Ni la valse à quatre temps. On se regarde en chien de faïence A travers le carreau qui limite Nos existences à la question De savoir qui est riche et qui Ne l’est pas, ne le sera jamais.
Mais nous avons un bien commun : Cette haie qui scinde la terre Sous nos pieds pas pressés D’arriver le premier chez Persil. À son doigt l’or scintille. Mes pieds sont douloureux. Je m’en vais trop souvent A Paris pour voyager moi aussi En métropolitain sans bijoux.
* Au diable la science ! Je peux mourir jeune. Au diable la morale Et vive le printemps ! Ya pas à dire Il faut agir ! Et tant pis Si c’est pas beau !
Beau comme un dieu Ou une déesse si le sexe (et non pas le mariage) S’associe aux croyances Et à la mort soucieuse De bien faire et de faire Pour que nous existions Ensemble et à jamais.
J’y pensais Quand mon voisin (que vous connaissez Bien Maintenant que vous me connaissez Mieux) M’a montré l’or Que sa terre enfanta Un jour de fin d’été. Creusez vous aussi, Me dit-il sans ironie. Moi je creuse encore, Redit-il en jouant Avec les reflets d’or Dans mon œil Façon allumette Qu’on craque Dans le noir Des rues Et des chambres obscures.
Je ne creuse pas. Je marche dessus, peut-être. Je marche partout Où l’or peut se trouver, S’inventer comme disent Les chasseurs Du voisinage.
Avant, j’avais une dent En or. Je l’ai vendue Pour m’acheter Une part de silence.
Point de science Ni de leçons. Les limites de mon jardin Sont les vôtres Et vous ne le savez pas.
* C’est beau, Je ne le nie pas. Mais ça ne me rend pas Heureux. Je n’y peux rien. Vous non plus. Ce qui ne nous empêche pas D’être voisins. Si on compare nos jardins, Ils se ressemblent, Même si le vôtre Est plus et mieux Cultivé. On y trouve même De l’or, Dites-vous. Et vous me montrez l’or Refondu. Je rentre chez moi Avec ce reflet Au fond de l’œil. C’est aussi beau Que n’importe quoi. Je le reconnais volontiers ! Mais je n’y vois pas Une trace de bonheur. Même mon propre reflet Ne m’inspire rien Qui y ressemble De près ou de loin. Quittons-nous Sur cette approche De l’attente Qui n’attend rien.
* On a tué mon voisin. On l’a tué dans l’œuf. Il n’y croit pas lui-même. Pourtant il est tué. Et depuis si longtemps Qu’il faut croire Qu’il n’est plus que la momie De ce qu’il a été Avant de se mettre à rêver Comme les autres.
Mais à quoi bon en parler ? Là, à l’ombre et à l’abri, Buvons plutôt ce qui se boit D’un commun accord. Les insectes de tous poils S’accrochent aux trapèzes De nos pensées fugaces. Une fleur d’hortensia Se froisse comme du papier. Le buisson de lierre s’agite. On y vit son existence Comme tout le monde. Personne ne m’a tué. Je n’ai pas eu cette chance.
* La femme de mon voisin Est une femme Comme les autres. Elle est mariée Selon les principes De la République Et les valeurs De l’Église. Que fait-elle De ses morts ? À vrai dire Je n’en sais rien. Nous n’en parlons pas. On se contente, Elle et moi, De tromper le temps Et tout ce qui peut Se tromper. Nous n’avons pas De projet Autre que le lendemain Et la nouveauté Encore possible A l’angle du plaisir. Chaque jour, Je passe du temps A effacer nos traces. Temps qu’elle gagne Sur moi Et sur ce qu’elle change.
Ma voisine change aussi Les vers de ma poésie En mouches qui m’asticotent.
* Jésus Christ s’est branlé jusqu’à l’âge de 33 ans. Passé cet âge, il s’est crucifié entre les jambes de sa mère. Voilà le résultat !
Ah ! C’qu’on n’vit pas ! Ce qu’on s’emmerde ! Et pour des riens, Mon bon monsieur !
Mahomet s’est branlé jusqu’à la mort. A la fin, y avait plus personne pour en rire. Voilà le résultat !
Ah ! C’qu’on n’vit pas ! Ce qu’on s’emmerde ! Et pour des riens, Mon bon monsieur !
Bouddha n’avait pas de quoi se branler. Il a fait autre chose. Voilà le résultat !
Ah ! C’qu’on n’vit pas ! Ce qu’on s’emmerde ! Et pour des riens, Mon bon monsieur !
Et puis des Marx, des Duce et des Guides ! Tous des branleurs en vase clos ! Voilà le résultat !
Ah ! C’qu’on n’vit pas ! Ce qu’on s’emmerde ! Et pour des riens, Mon bon monsieur !
Et puis ya moi que je caresse. Dans l’sens du poil parce que je m’aime. Sans résultat !
* Une haie de jasmin au printemps Et en fleur, C’est tout ce qui nous sépare. Je saute, tu sautes, Et le printemps se finit. L’été n’aime pas les fleurs. On se nourrit de feuilles. Des fois je me demande Si je t’aime vraiment.
* Expansion, contraction. Je ressemble de près A l’univers, à l’infini. — Mais si j’en suis l’image, La métaphore, le reflet, Je n’ai rien à voir avec les autres. Je ne veux pas leur ressembler. — Mais est-ce possible D’imposer ma volonté A cette nuée qui ne sait pas Que j’existe ? Il y a toi, peut-être. — Mais 1 plus 1 Ne fera jamais un. Je suis fait Pour le plaisir solitaire.
* On est allé en vacances Au pays des vacances Et des retours moroses. On n’en revient jamais. Fallait pas y aller.
* Qui qu’je vois Si c’est pas Yorick En personne ? Il y a une femme Dans sa poche. Elle connaîtra la pluie Et les jardins anglais. Elle aura des enfants Et un mari charmant. Un’ place au Paradis, Un avenir sans nom. Du coup Yorick et moi, On se sépare au bord De la route en lacets. Moi aussi je connais Un pays plein de femmes, De promesses, de désirs. Mais ça fait loin d’chez moi. Et puis je suis pas sûr Que Bobonn’ soit d’accord Pour que je chang’ sa vie !
* Faites des vers. Mais c’est pas eux Qui vous feront. On a ça dans la peau. On peut pas naître sans. Bon, Ya du meilleur Et du pire Dans les réseaux. On n’se reconnaît plus. On sait plus qui est qui.
La Poésie C’est l’aventure Au pied du lit.
* Mon voisin aime les boutons. Les boutons de sa femme, Ceux de son pantalon, Boutons de la cuisine Et de l’ordinateur. Mais celui qui pousse Dans son dos Menace son existence. Il l’aime aussi, Même si la question De savoir Si Dieu existe Se pose maintenant Sans lui.
*
Tous les pets se ressemblent. Ils supportent la comparaison. L’existence est remplie De choses qui se ressemblent, A commencer par les gouttes d’eau, Comme tout le monde le sait.
Inutile de chercher A ne pas faire Comme les autres. On a le souci du détail, Mais pas à ce point.
* Compte les vers, compte les pieds ! Et compte là-dessus. N’est pas poète qui veut. Mais tout le monde veut, Ce qui complique l’existence Du lecteur qui passe par là.
Compte les sous, compte les prix ! Et compte sur toi-même. N’est pas riche qui peut. Le lecteur qui passe par là En sait plus que toi-même Sur ce sujet délicat.
Compte les morts, compte les dieux ! Et compte sur la chance. N’est pas vivant qui vit. En passant par là le lecteur Se demande pourquoi il lit. Personnage qui se fait rare.
* Nous n’avons pas d’enfants. Nous nous reproduisons, Mais tout s’achève avec nous.
J’aimerais être cette eau Qui coule dans le lit De ton ruisseau.
Sur le coussin tes cheveux Se laissent emporter par le vent Qui nourrit le rivage.
Voici tes mains, Ce qu’elles contiennent. Nous n’avons jamais été plus seuls.
Nous ne rêvons pas non plus. Les fleurs ne sont pas des fleurs. Promenons-nous dans les bois.
* Qui lit ! Qui lit ! Ça me chatouille ! Les doigts du monde Entre mes côtes Trouvent de quoi Me faire rire.
Qui lit ! Qui lit ! Je reviendrai Avec des livres. Rire me fait Du bien et même Bien d’autres choses.
Qui lit ! Qui lit ! Je fais des vers Et je les vends A qui sait lire Comme les doigts De l’existence.
Qui lit ! Qui lit ! Mais rien ne dure Aussi longtemps Qu l’ désespoir. Chatouillez-moi Ô doigts des reins !
* J’ai beau faire, Ni pédé, ni fayot, Pas même gigolo, Je suis complice De Papa. Chacun dans son lopin Et Papa dans le ciel. Chaque fois qu’un fana, Un mordu, un déçu Se met fin ou met fin, Alors là j’ai conscience D’être fils à Papa. Dieu, État, Religion, Papa sème la terreur Comme je chie quand je pense A le refaire dans mon slip. Ya des limites, oui, mais où ? A part chez Papa et Maman. Papa l’État, Maman la France.
Ya plus d’soleil Là où j’habite Et pourtant je suis seul. N’y voyez pas contradiction. Les mots ne seront jamais rien Tant que je n’aurai pas agi. Tuer soi-même ou son prochain, Sans raison et sans guerre… Faut s’lever tôt pour y croire. Mais nous sommes ainsi faits : Coincés entre deux limites Qui se rejoignent Dans l’infini : La mort et cette autre putain, La société : je me demande Si c’est pas moi que j’vais tuer.
* Ah ! c’que j’aimerai Etre anarchiste. Un vrai de vrai Avec des dents Et puis des bombes. Mais j’suis fayot Dans le service, Triste complice Dans la fonction. J’ai des vacances Et du galon. J’ai un’ famille Et des enfants. J’ai la maison Et la bagnole. J’ai tout c’qui faut Pour être heureux.
Mais c’était pas heureux que j’voulais être. C’était poète comme mon vieux. Il est trop tard et c’est tant mieux Parce que je suis pas tout seul. Vive l’anarchie en bouteille !
* Mon voisin est mort tout seul. Je change de voisin. Peut-être de jardin, Car le mien est en friches. C’est le cœur qui a lâché. Il n’y était pas. On a beau être mauvais, Ça ne dure pas. Et puis ça fatigue. La preuve il en est mort. Ses mimosas tournent de l’œil. Ses figues se donnent aux oiseaux. J’irai à l’enterrement Avec un bouquet de fleurs des champs.
Ma voisine s’en va, Mais pas au même endroit. Elle a encore envie de vivre. Mais c’est sans moi qu’elle vivra. Ah ! ce que j’vais me sentir seul !
* Ce n’est pas que je peux Me passer des autres, Mais si je peux, je les évite. Mon jardin est une exception Que je montre en exemple. Je mesure mes impressions Et j’en fais des poèmes. Au diable doute et conviction ! Je ne suis pas philosophe. Je suis poète à mes heures.
Je vous salue de mon portail, Vous qui passez dans ma rue. Je connais même des histoires Pour meubler la conversation. Ce n’est pas que vous soyez cons, Mais je ne le suis pas. Vous ne saurez jamais exactement Ce qui se passe dans mes murs. Et si je ne deviens pas célèbre, Vous ne chercherez pas plus loin. Je me passe de vous, De vos enfants, de vos maisons. Et la nature me le rend bien. Allez au diable et à Vauvert ! Et passez dans ma rue Si ça vous chante. Je vous salue en personnage.
* C’est pas demain Que je suis mort. C’était hier. Vous m’aimiez pourtant. Mais l’aujourd’hui a un sens Que vous ne connaissez pas, O amoureuse de moi.
* Rien n’est plus comme avant, Dites-vous alors Que je n’entends plus rien. Je suis devenu sourd. Je n’aime plus la langue. Plus les couleurs, Plus la musique. J’aime l’infini. Je suis devenu fou En devenant sourd. Et pourtant vous me parlez. Vous parlez du lendemain. De la recherche du bonheur Et même du temps perdu, Forcément retrouvé A la fin. Sinon à quoi bon ? Mais tout a changé Autour de vous. Même moi j’ai changé A vos yeux. Dans ces conditions, Vous êtes bien la seule A ressembler encore A ce que vous étiez.
* Cet enfant est à nous ? La preuve s’il vous plaît ! Certes nous parlons la même langue. Mais un enfant, allons voyons ! Certes nous avons couché ensemble. Mais pas dans le même lit. Je ne suis pas celui que vous croyez Etre vôtre et tout ouïe !
* Les gens criaient. Les gens saignaient. Ils couraient Ou gisaient. Mais je n’ai rien entendu. J’étais là et pourtant Je ne suis pas témoin. Le plaisir, peut-être. La distance Qui me sépare d’eux. De leurs disputes, De leurs combats. De leurs enfants. De leurs chansons. J’ai de l’humour. Ah ! je n’en manque pas ! Mais déconner au point De verser une larme Sur leur cadavre, Leurs blessures… Ce n’est pas un poème. Alors je m’en passe. Et je referme ma fenêtre. Le spectacle est terminé. D’ailleurs vous recommencerez. Mais je ne serais plus là Pour observer votre douleur Et apprécier vos cris A l’aulne de la vengeance. On ne joue plus ! Je suis de retour chez moi ! Ah ! Foi de poète, Ce n’est pas trop tôt ! Je commençais A me manquer !
* Mon voisin n’est pas mort. Ma voisine ne partira pas Après l’enterrement. Le chien s’est couché Sur le paillasson gris. Et l’ambulance est repartie. On est rentré, Le chien et moi. Il ne se passera rien Tant que mon voisin Ne sera pas mort. Il faut qu’elle parte !
* C’est ma voisine qui est morte. Il ne l’a pas tuée. Elle n’est pas morte assassinée. On sera deux maintenant. Et on n’aura Rien d’autre à faire.
Si une femme Doit exister, C’est peut-être chez moi Qu’elle habitera. On aura inversé Le cours du temps Et des bonnes manières. Et je l’assassinerai peut-être. Qui sait ce qui peut se passer Entre voisins…
* C’est la fête chez mon voisin. Réunion de domestiques. La monarchie républicaine Trinque sur le dos des autres. Comme je suis visible A travers la haie, Car c’est l’été Et la sécheresse s’active Du matin au soir Et dans mes rêves, On m’invite à partager La bonne humeur Qui est de rigueur En ces temps de vénalités En tous genres. Je franchis la limite, Langue dehors Car je suis poète Si l’heure le veut. Et nous en arrivons au fait : Est-ce que je participe A l’effort national En écrivant des poèmes Que personne n’a lus, Sauf mon voisin Qui en sait quelque chose ? Il s’interpose, couperosé. Il répond à ma place. Il en connaît un rayon Sur ce que je suis, Ce que je possède Et ce que je pourrais, Avec un peu de chance Et de bonne volonté, Paraître aux yeux de tous. Tous, c’est nous ou c’est eux Selon le point de vue Qui affecte mes transitions Quand je sors de chez moi. Je reviens saoul, heureux De n’avoir pas été compris. J’aime ma solitude Et je lui fais des enfants. Je suis un bon père de famille. Ne me lisez pas, Passez votre chemin Et si jamais vous m’invitez A partager votre sort De fayots, de mouchards, Invitez aussi mon voisin. Il a tout compris, je crois…
* Bien sûr que je m’émerveille Devant le spectacle D’une fleur Ou d’un fruit ! Vous me verriez même, Si vous m’aimiez Comme je vous aime, A genoux devant L’églantier Ou le figuier. Dans le soleil Ou sous la pluie. Par temps de neige, D’orage, De vent. Et je trouve les mots. Je les invente. Je n’imite personne. Je ne suis même pas Le reflet de moi-même. Mais si vous m’aimiez Un peu, Je saurais vous ressembler. Et vous et moi, Nus et joyeux, Nous mettrions genoux en terre Pour saluer notre commune nature.
* Poètes… poètes… C’est vite dit ! Certes vous rimez. Ou si la paresse Vous a gagnés, Vous vous adonnez Aux facilités Du vers-librisme. Si je suis poète, Vous ne l’êtes pas. Et si vous l’êtes, Je ne suis plus rien. Vous comprenez maintenant Que c’est votre mort Que je demande A mes poèmes…
* Même la guerre, Atroce et dense, N’a rien changé Aux habitudes. Nous nous donnons Et nous prions Pour que l’argent Demeure seul Décisionnaire. Comment renaître, O vain poète, De ce bas-fond ? La langue est morte Et nous avec. Divin spectacle Qui recommence Chaque fois que Cet enfant naît.
* Mon voisin, que vous connaissez, A attendu d’avoir cent ans Avant de se rendre compte Que son seul fils était poète. Mais le père a vécu Plus longtemps que le fils. Ainsi s’est perdue cette poésie.
Comme je suis poète moi aussi Et que mon père est mort avant moi, Je n’ai pas rencontré le fils de mon voisin. Je n’ai pas même su qu’il existait En même temps que moi.
Vous allez trouver cette histoire Sans intérêt pour la science De notre temps et de nos mœurs. Je vous accorde que moi-même N’y trouve pas de quoi conter. Et je ne chante pas non plus. Je ne sais pas ce que je fais.
Mon voisin est mort à l’âge De cent un ans et des poussières. Je suis encore vivant et poète Quand l’heure sonne au campanile.
Je veux vivre aussi longtemps Que l’homme sur la terre Sera doué de la parole. Je ne veux pas mourir En fils indigne de son père.
Cette histoire au fond n’a pas de sens. Je la rumine depuis des décennies. Je m’en nourris, je l’alimente. Mais rien n’avance et je m’enfonce Dans la terreur, la nuit, le noir.
* « La peau d’un homme Vaut la peau de l’ours. Et que l’homme impeccable Meure pour la patrie ! Reste que je suis né Dans un monde de cloportes. Pas facile l’existence Dans ces conditions définitives. Le fer a tout écrit Dans ma pauvre chair d’enfant. Je me lis tous les jours. Et j’additionne les retours. Je n’en vis pas trop mal. Je conserve juste assez de conscience Pour ne pas perdre le nord. Sinon « je m’arsouille de vers » Dit le poète en sa jeunesse. Vers-vin, vers-femme, Vers-sommeil, vers-dieu, Vers-ok, vers domestique Au plafond d’église, De mosquée, d’autres temples. En plus je suis fidèle. On peut compter sur moi, A moins que l’ennemi (il y a toujours un ennemi) Me vende avant de m’avoir tué. »
* Ensuite le poète en peau d’ours M’abandonne à mes recherches de creuseur De tunnels, d’autres trous, de pensées. J’aime bien retrouver ma solitude Après de pareilles rencontres Avec le nerf social, superstition Du droit et soumissions aveugles.
Un spectacle est un spectacle, Comme l’art c’est l’art et l’amour rien. Je ne suis que l’occupant de ma fenêtre. Je suis constant dans mes pratiques. A vrai dire je n’ai pas changé. Mon enfance est mon seul âge. Vous ne m’oublierez car je n’existe pas.
* En poésie comme ailleurs d’ailleurs La couleur de la peau ne change rien. Mais si vous faites la différence Par exemple entre un ours et une couille, Vous avez alors l’occasion de mesurer La peau que le poète a revêtue Comme Hercule au temps de la lyre.
La peau du poète c’est son existence Ou non de poète ou d’imposteur.
La peau n’a rien à voir avec la couleur. Surtout s’il s’agit de reconnaître le poète. La peau se caresse avant toute chose, Dans le sens du poil ou pour faire mal. Si le poète ne se réveille pas, il dort D’un autre sommeil que l’anesthésie.
Peau-drapeau, peau-tapis, paillassons Et cadavres, voyagez si vous voulez Faire des trous comme tout le monde. Mais si la poésie vous tend les bras, Muez comme le serpent dans les branches De l’arbre sans pommes, sans femme Et sans vérité donnée d’avance Par les faux-culs, les grimaciers, les demi-dieux.
* Quel sens donner A ce qui n’en a Peut-être pas ? Et pourquoi le donner ? Est-ce ainsi Qu’on écrit De la poésie ? On invente Des idées Alors que ma nature Me pousse A créer des médiums. Personnage qui entrez, N’ouvrez pas la porte ! Merci !
* Vous en parlez savamment Quand vous aurez tué quelqu’un. Et pas en rêve s’il vous plaît ! Tuez quelqu’un de vrai, de vivant. Pas un mort de votre imagination. Il n’y a que la vérité qui compte. Tuez-moi si le cœur vous en dit. Une fois mort, on me lira peut-être…
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