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Une troisième jeunesse
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 Article publié le 29 novembre 2020.

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J’ai goûté des propos décousus,

Des confitures d’orange amère

Et de figues. Espiègle jésus,

J’étais toujours autour de ma mère.

 

Vous prenez toutes votre credo

Dans les charitables magazines

Qui vous flattent le bide et le dos 

Et vous détachent à la benzine.

 

Vous, vous êtes des épouvantails

À chenevière dans mes ballades ;

Le vent fait avec vos éventails

Nous tourne tout à la rigolade.

 

Que de coups de bélier au teston,

J’ai toujours ma coloquinte en bringue,

Je crache et vêts du mauvais coton ;

Des soiffards se jettent sur mes fringues.

 

 

 

Malgré tout, ceux-là sont des héros,

Peigneurs, peinturlureurs de girafes,

Corps en vrille, piliers de bistrot

Imbus, imbuvables soulographes…

 

Ceux de la dernière pluie m’ont cru,

Comme tant d’autres, bon pour l’hospice.

Mes Rubicons ne sont que des rus,

Blancs-becs, et mes douleurs s’assoupissent !

 

Chargée d’encre, ma Sergent-Major

S’en ai vu de mûres et de vertes,

Des gonzesses, des donzelles j’or-

donne, des vertus à peine ouvertes…

 

Neuf gosiers salés, neuf troufignons,

Nous étions une triste neuvaine,

Neuf inséparables compagnons

Toujours en verve, toujours en veine.

 

Pour je ne sais la énième fois,

Voilà de la troupe qui rapplique,

Pieds et têtes nus, armes, lois, foi,

Chants ni drapeaux de la République.

 

 

 

Je ne me mis jamais en avant,

Au milieu, de côté, en arrière,

Crachant ni pissant contre le vent,

Je sautais à pieds joints les barrières.

 

Mon avant-hier, je l’aurai vanté ;

Je crains de n’avoir plus rien à frire.

J’abuse encore de la bonté

D’une ange qui me pousse à écrire.

 

Assujettis à l’œil et au doigt,

Ceux-là sont des troupes stipendiaires

A tous les ordres, comme il se doit,

Aux invectives incendiaires.

 

De mon pays, de mon patelin,

De vignerons toujours au supplice,

De ma rivière, de mon moulin,

Je crains d’en n’être plus le délice.

 

Je laisse rouler ma bille Bic 

- J’en ai pour au moins trois kilomètres.

À passer ma prose à l’alambic,

J’ai tout juste le temps de m’y mettre !

 

 

 

Je crève dans ma peau de chagrin,

Je ne recueille que de l’ivraie.

Faux ! J’ai eu quelquefois du bon grain 

À moudre, ô ma vie, ma vie, la vraie.

 

Je creuse pas à pas mon sillon,

Mes deux bœufs sont devant ma charrue ;

Je sème à la venvole en haillons

Des notes et des paroles crues.

 

Je suis un soixante et dix-huit tours

Sur un gramophone à manivelle ;

J’entends des voix en moi et autour

De moi des datées et des nouvelles.

 

Les flonflons du guinche sont payés,

Les soufflets à bretelles de même,

Je ne suis pas près d’être rayé,

Pas vrai ? Je m’adresse à ceux qui m’aiment.

 

Je suis un vieux rouleau compresseur

Qui roule encore des mécaniques.

Je vous fais, en tant que redresseur

De torts, dames, du plat et la nique.

 

 

 

Dans les almanachs des ans passés,

Je me traîne comme Saint-Sylvestre,

Parmi les plats et les pots cassés.

Sauniers, tirez-moi par le chevestre.

 

Encore un peu, ce n’était pas lui…

On a failli en fêter un autre.

Tous les bouts d’an, il se heurte à l’huis.

Qui sait s’il sera toujours des nôtres ?

 

Qui sait s’ils se souviendront de nous

Ces chiards, cette progéniture

Qui gigue et pisse sur nos genoux,

Quand nous pourrirons dans la nature ?

 

J’entre dans les carnets de Degas

À vélo ; j’y pédale en danseuse

Dans la peau d’un jeune et tendre gars.

J’en pince pour des filles osseuses.

 

J’entre dans les carnets de Vinci ;

J’y vois des engins et des machines,

J’y gambade et blague comme si

Plus rien ne pesait sur mon échine.

 

 

 

Je scie un crémone à bout de nerf,

En ire de bastringle en bastringle,

En délicatesse avec un air,

Je n’ai plus qu’à me mettre la tringle.

 

J’ai réglé mes écots de chansons

Grivoises, d’odes, de villanelles…

Pivois, miche, beurre, saucisson…

À l’auberge, aux champs, sous les tonnelles…

 

Je racole des simples soldats

Qui s’en reviennent parfois de guerre

Sans l’espingole ni le barda,

Leur régiment ne chante plus guère.

 

Je manœuvre un ferraillant tacot,

Une guimbarde décapotable.

J’y sabre et déveuve des Clicquot,

J’y sable aussi des crus lamentables.

 

Je ne suis plus qu’un lâche ressort

Se tortillant comme un ver de vase

Qui doit se contenter de son sort

Avant d’être cendres dans un vase.

 

 

 

Je suis une machine à vapeur

Qui souffle dans un roman de gare,

J’enfume les fantômes frappeurs,

Ceux qui sont de toutes les bagarres.

 

Je suis une patraque Singer

Qui ne pense plus qu’à en découdre

Sur les grands prés fauchés de Saint-Ger-

main avec tous ces dandys à moudre.

 

Je suis un increvable mortier

Qui tire encore à la billebaude

Sur les coqueluches du quartier.

Contre elles, mon Cerbère clabaude.

 

Je suis un rifloquin de Cherbourg,

Je tiens à ma robuste carcasse,

Je résonne comme un vieux tambour

Sous les poings faits des grêles cocasses.

 

Il pleut à verse dans mon récit,

L’histoire ne vaut pas une broque.

Si le temps, me dis-je, s’abeausit,

J’aurai l’air fin avec mon pébroque.

 

 

 

Et ces cavales sous le capot

De ma fanfaronne automobile

Qui bouffent de l’asphalte plein pot,

Pleins feux, sans se faire de la bile.

 

Barbouillé de latin de narquois,

De provençal, gars presque trilingue,

Mais jusqu’à quand aurai-je de quoi

Faire hennir ma safre brelingue.

 

Je fus un opiniâtre rebec,

Sûr de ses cordes, fier de son manche,

J’en pinçais pour une flûte à bec.

Nous en eûmes de tendres dimanches.

 

Je fus le téméraire du bourg,

Sur les champs carminés de bellone,

Sous les intrépides calembours

Qui ont brisé ma crâne colonne.

 

Je suis un drôle de gabarit,

Je ne sers certes pas de modèle.

Quand j’envie le milord d’Orrery,

Ma muse est de plus en plus hors d’elle.

 

 

 

Je suis, que vous le chantiez ou non

Sur les toits, un fou de Polyclète.

Pendant que je brique son canon,

Un mioche enfourche ma bicyclette.

 

Bigarré, je jeûne en carnaval,

Je porte le masque d’Ombredanne.

Dans Venise, Alfred, pas un cheval

Ne bouge. Je me damne à dos d’âne.

 

Cette toux sèche sent le sapin.

Je laisse un eustache, un cimeterre,

Une barcasse, une encre, un grappin,

Deux machinules d’Anticythère,

 

 

Ma plume or longue de quinze empans,

Mon satou empampré, mes cothurnes,

Mes dés, mon patraque harmonipan,

Sans nul doute, du temps de Saturne

 

Et de Rhée, un patient sablier

Et une impitoyable clepsydre,

Une flèche de Parthe, un collier

De reine et, dans mon étang, des hydres.

 

 

 

Que suis-je de plus en plus têtu ?

Je m’en irai dans ma carapace.

Me suis-un jour, une heurette tu ?

Il faut bien que vieillesse se passe.

 

Je vous le devrais après ma mort,

Me fleurirez-vous, gueux que vous êtes ?

Sans me hocher la bride et le mors,

Me ferez-vous toujours la causette ?

 

J’ai, puisque à présent tout m’est compté,

La roue, la roulette pascaline…

Garçonne, le journal et un thé !

Quelques biscuits secs et des pralines !

 

J’ai, potes, pour ne rien vous cacher,

Le cadran solaire de Bérose

Et d’Achaz, de quoi vous en boucher

Un coin. C’est ma fête ! Au zinc ! J’arrose ! 

 

Si vous croyez me mettre au repos,

À la retraite, sous la remise,

Me faire tourner autour du pot,

Vendre à l’encan jusqu’à ma chemise…

 

 

 

Qui peindra mes portements de croix,

Mes enseignes, mes natures mortes,

Mon lit, mon couronnement de roi

De la fève, les clous de ma porte,

 

Ma chaise, ma pipe, mes ribouis,

Mes nus, mes cortèges funéraires,

Mes ports, mes marines, mes boui-bouis…

Byron, sus-je en mes vers me portraire ?

 

C’est l’affaire de mes héritiers.

Tous redoutent que je testamente,

Que je ne parte pas tout entier,

Que mes aphorismes les tourmentent.

 

Vous ne saviez pas à qui parler ?

Je suis là. Parlez, je vous écoute.

Que faites-vous ? Vous vous en allez ?

Je sais, le plus souvent parler coûte.

 

J’agis encore un peu jeunement.

Mon cœur s’efforce d’être volage,

L’âge de mes artères me ment…

Ne vous fiez pas à l’emballage.

 

 

 

Le dehors lentement s’avachit.

Le dedans, de moins en moins vorace

Pressent un véritable gâchis.

Que vienne en son temps le coup de grâce.

 

Je vous parle en terrible écolier,

Je suis toujours de la même trempe, 

Je monte en braillant les escaliers

Quatre à quatre et descends sur la rampe.

 

À prendre part à tous les refrains,

Nous finissons par être en famille.

Ensemble sonne et tonne l’airain,

Le bien se crispe et le mal fourmille.

 

Chemins détournés, chemins battus

Qui menez à la ville éternelle,

Laissez aller en paix, long vêtu,

Un renouveleur de ritournelles.

 

Vous êtes sous les sales drapeaux

De vos fanfares belligérantes,

Ceux qui ne rapportent pas leur peau,

S’en foutent comme de l’an quarante.

 

 

 

Comme l’ensuaireuse à la faux,

Vous ne pensez qu’à me mettre en boîte.

Au bout de l’aune, un drap d’Elbeuf faut.

Est-ce mon linceul, diable qui boite ?

 

Me voyez-vous tirer à ma fin

Pour ainsi me traiter en ermite

Qui boit sans soif et mange sans faim,

Qui se renferme dans des limites ?

 

Par jeu, je me prends pour le Nestor

De la mégnie, le président d’âge,

L’ultime survivant, le mentor

Plein de dits, de dictons et d’adages.

 

J’ai toujours des pourquoi, des comment,

Des plus-jamais-ça, des vas, des qu’est-ce,

Des goûts, des dégoûts, des engouements…

J’ai été trompette et grosse caisse.

 

Profite à mort ! J’en ai profité,

Je n’ai pas regret à ma jouvence.

Il me reste à finir en beauté,

Enfin, ne plus répondre aux avances.

 

 

 

J’ai quelquefois été le nombril,

Souvent, le trou de balle du monde.

J’ai connu le piédestal, le gril,

L’échafaud et les fagots d’émondes…

 

Rien de vieux, de neuf, rien de nouveau,

On dresse, on renverse des statues,

Si les uns se lichent le morveau,

S’adulent, les autres s’entre-tuent.

 

Incorrigible soixante-huitard,

J’en suis tout ensoleillé de l’être.

Né tantôt trop tôt, tantôt trop tard,

Au pied du mur, au pied de la lettre.

 

Ceux-là voudraient buriner mon nom

Et l’inscrire au temple de Mémoire,

Ceux-là me promettre à l’alganon,

M’étendre sur la couche des Moires.

 

Je suis fier, vaniteux Artaban,

De mes niches de peautre et de table.

Au fauteuil, je préfère le banc.

A l’habit vert, mes hardes notables.

 

 

 

J’arrive dans un pays connu,

Des géraniums, du linge aux fenêtres…

Un paquetage de détenu

A l’épaule, j’y viens pour renaître.

 

La vie, des jours maigres, des jours gras,

Des jours gris, des jours pleins d’amertume,

De huées, de Hip hip hip hourra,

De soie… Une fois n’est pas coutume.

 

Mais qui suis-je heureux ni malheureux ?

Un bonhomme au bout de ses finesses ?

Un suppôt de l’empire amoureux ?

Un pitre en sa troisième jeunesse ?

 

Catulle, qu’attends-tu pour mourir ?

Comme nous, il attend le déluge.

Ses vers ont su nos neuilles nourrir.

Dites, mon heure de gloire, l’eus-je ?

 

Je règle les violons du bal,

Toute la verraille que je casse,

Chalumeaux et harpes de Jubal,

Les fraîches frasques de ma barcasse…

 

 

 

Je suis comme un gothique Kodak

Oublié dans un salon de pose

Qui ne répond plus du tac au tac.

Sans objectif, mon œil se repose.

 

Que faire de tous ces souvenirs

Qui se bousculent dans ma boussole ?

Je ne tiens plus à les retenir

Ce ne sont pas eux qui me consolent.

 

Ce ne sont pas les fils d’Apollon,

Ni les Grâces, qui tiennent ma plume

Quand je prends mon pesant pas de plomb,

Qu’on dirait que je porte une enclume.

 

Pour prêter main forte à la Java,

Jadis nous serions venus en nombre.

Je ne brode plus le canevas,

J’ai la flemme de traîner mon ombre.

 

Mourrai-je dans mille ans, ce tantôt ?

Quand ? Comment ? Au bercail ? À Paname ?

Quand s’ébranle ma porte à marteau,

Je cheville mon corps à mon âme.

 

 

 

 

Je baye. On m’apporte du tabac,

À boire et à manger. La fille ôte

Ses vêtements, mais garde ses bas.

Mon miteux bonnet phrygien grillotte.

 

Tandis que j’exerçais mon métier, 

Vous, vous fournissiez votre carrière.

Que savez-vous des chants, des chantiers,

Des sueurs de la classe ouvrière ?

 

À gagner du temps et du terrain,

Nous perdons surtout la joie de vivre,

L’insouciance, le goût, l’entrain…

J’aurai dit tout cela dans mes livres.

 

J’astique un vénérable trumeau,

Le revers d’une fruste médaille.

Je traîne, compte et mâche mes mots,

Me rends à reculons aux godailles.

 

Je pars, Paris, tu perds un marin

D’eau douce et sa goulée de benace,

Sur ta butte rouge, un pèlerin,

Un écornifleur à Montparnasse…

 

 

 

Mais qu’est-ce, mais qu’est-ce qu’être vieux ?

Est-ce avoir de moins en moins de rêves ?

Avoir de moins en moins d’envieux ?

Trouver le temps long, les heures brèves ?

 

Cause, cause toujours, roquentin,

Tu retrouves le goût du panache,

Les jarretières de tes putains.

Fouille encore, chargé de ganache !

 

Parfois, je joue le soupe-tout-seul

Qui se couche comme ses gélines

Et attend, songeur, dans un linceul

Que son réveil Bayard coqueline.

 

Mes chemins scabreux, je les ferai

Les referai toutes fois et quantes

Et me voilà, me revoilà frais

Au vent fou de mes années piquantes.

 

Je décanille sous des cailloux

Précieux : saphirs, rubis, émeraudes,

Calcédoines, diamants bruts… Voyou !

Voyeur ! Je suis toujours en maraude.

 

 

 

Brigand ! Pendard ! Flèches, plombs, jalets,

Agates, péridots, améthystes…

Papefigue ! Brocaillons, galets…

Fils de gouapeur ! Moins que rien ! Artiste !

 

 

Robert VITTON, 2019

 

 

Machine d’Orrery : machine inventée par Charles Boyle, comte d’Orrery pour représenter le système moderne d’astronomie avec la mobilité de la terre.

Le masque d’Ombredanne : appareil d’anesthésie créé par le chirurgien Louis ombredanne.

Satou : bâton, ancien terme populaire.

Harmonipan : sorte d’orgue de Barbarie.

Le temps de Saturne et de Rhée : l’âge d’or.

Pascaline ou Roue ou roulette pascaline : machine pour faire toutes les opérations arithmétiques , imaginée par Pascal.

 

 

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