Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
  
Les pas devant
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 9 mai 2021.

oOo

Je mène une fanfare, un corps de baladins

- Souffleurs de feu, jongleurs, arlequins, scaramouches,

Fil-de-féristes, clowns, fakirs, voix de gourdin…

Des bêtes et des gens, tous sensibles aux mouches.

 

Des morts… Des morts… Je suis devenu le Nestor

D’une compagnie bien mangeante et bien buvante,

Libre comme le vent, redresseuse de torts,

À l’aise dans le bien-être et dans l’épouvante.

 

Ma douze cordes n’en a plus que cinq ou six.

Dans les jardins et dans les cours, j’y braie, j’y braille,

Les coups de pied au cul m’ont meurtri le coccyx,

Bleui l’arrière train, secoué les entrailles.

 

Mes vers, le plus souvent sur huit ou douze pieds,

S’en vont, tristes ou gais, traînant une musique

Qui se fait un plaisir de les estropier

Dans les bronches d’un vieil accordéon phthisique.

 

 

 

Ma musique, mes nuits, ma rue, manquent de bras ;

J’arpente, halluciné, mon chant champêtre en friche.

Je porte mon flambeau sur les pavetons gras,

Encombrés de ballots, de hottes, de bourriches…

 

J’y suis des pas encrés, des vers sur le métier,

J’entends le déferlé étourdissant des vagues,

Troué de goélands jusque dans mon quartier

Où m’alpaguent trop tard des vénus vulgivagues.

 

Je trouve mon bonheur sur les quais, sous les ponts,

Une vieille guitare échouée sauve et saine,

Un sac de partitions, un bonnet à pompon,

Ces souliers sont d’un mort qui descendait la Seine.

 

Ces habits m’iront mieux quand ils seront usés,

Quand ils se seront faits à ma vieille carcasse.

Je n’ai pas toujours eu l’air goffe et empesé,

Ensemble ténébreux, romantique et cocasse.

 

J’ai encore le temps de lâcher quelques traits ;

Pour l’instant, je ne vois qu’une chose à commettre

À la gouge, à la hache, au burin : mon portrait,

Tout en sanglotant mes soi-disant derniers mètres. 

 

 

 

Nous avons les yeux plus grands que vos panses d’a,

Nos poings violis plus gros que vos sales caboches,

Nous, les simples ressorts, nous, les simples soldats,

Les valets à carreau, les vulgaires bamboches…

 

En mer, on ne fait pas des vents ce que l’on veut,

Ma barcasse ne craint que la terre et les flammes ;

J’y fourbis mon stylet, mes bouts d’ailes verveux,

Ma griffe or encrivore et mes prestes calames.

 

Causez, causez toujours, mon double vous répond

Et vous rétorquez : Nous sommes en République !

C’est la loi, bon Dieu ! à mes tarare pon-pon. 

Vous perdez mon temps et mon argent en répliques.

 

Vous ne jugez que par l’étiquette du pot,

Du paquet, du flacon, du sac, de la rouillarde,

Tandis que je m’escrime au fond de mon tripot

Avec de quoi écrire à ma muse gaillarde.

 

Je suis un couteau qui tranche des deux côtés,

Branlant dans le manche et rechignant à la tache,

Mais sachez que, peu fier, l’air de rien, j’ai été

Navaja, tranchelard, surin, canif, eustache.

 

 

Je chante les étals, les marchés de Paris.

Je fais enrager la bête et le porte-balle

 Jusqu’à ce que mes sacs soient remplis à vil prix.

Mon pauvre parnassien, qu’est-ce que tu trimbales ?

 

Je vous dis que la lune est le soleil des loups…

Nous n’avons plus le choix, il faut fondre les cloches,

Les Rodin, les Maillol, les Carpeaux, les Dalou,

Les Bourdelle… Pégase a tous ses fers qui lochent.

 

J’ai toujours envié les promis aux tréteaux

Qui changent pour rêver d’habits et de langage,

Un métier où l’on n’est pas sujet au marteau,

Ni à la truelle, où l’on plie souvent bagage.

 

Je maugrée contre la pluie, la neige, le vent,

Tout ce qui me cloître au fin fond de ma contrée.

Autour et alentour de mes neuilles d’avant,

Je dis que la terre est plate et la roue carrée.

 

J’irai coûte que coûte au bout de ma raison,

De mal en pis, de pis en mal, de sacre en sacre,

Ressassant à plaisir ma funeste oraison.

Bon débarras, celui-là était un massacre !

 

 

 

Mes bœufs, mes rudes bœufs me tirent des bourbiers

Sans renâcler devant ma plume et ma charrue ;

Je suis mime, arpenteur, musagète, gabier,

Cicérone, histrion, maçon, chanteur des rues…

 

J’ai deux mondes, l’un sans pitié, l’autre rêvé,

J’y entends les saisons se faire et se défaire,

Les ferraillades des chevaux sur le pavé,

Toute une basse-cour qui chante et vocifère.

 

Les filles d’autrefois étaient tenues de court,

Reprisaient, déroulaient des pelotes de laine.

Nous mettions notre gloire à chanter dans les cours,

Tant pour les géraniums que pour la marjolaine.

 

Les gros puisent à la source et le pauvre au ruisseau.

Rien ne change ici-bas, ni là, ni là. Je souffre

De ne plus emporter, enlever le morceau.

Le nanti s’engraisse et le gueux sulfate et soufre.

 

À proprement parler, ce sont des saletés,

Des salauds, des pourris, des fumiers, des ordures…

J’ai des échantillons de leurs méchancetés,

Ceux-là qui ont l’ouïe et l’intelligence dures.

 

 

Ma plume ne va plus que par sauts et par bonds,

Elle est de plus en plus morosive et mordante.

Je me plais quelquefois à être moribond,

À être l’attraction des chapelles ardentes.

 

Jadis on me hélait, et là, plus un ohé.

On a jeté sur la statue de Polyclète

Le manteau d’Arlequin et celui de Noé.

Je chante encor peinant sur une bicyclette.

 

Je risque de passer pour un pur ardélion,

Un empêcheur de danse en rond, un trouble-fête

Et ce, de Montparnasse aux murailles d’Ilion,

Mais pas pour un gars qui aime besogne faite.

 

Me voilà qui m’avance… Ici ! Là ! Me voici !

Je suis venu pour vous étourdir les oreilles.

Ma troupe est en chemin… J’ai pris des raccourcis.

Je n’ai jamais été à des noces pareilles.

 

Au fait, connais-tu trois saints au sang de navet ?

Trois saints, dits, autrement dits les trois saints de glace,

Trois saints, saint Mamert, saint Pancrace, saint Servais.

Chacun, bougillon, sait se tenir à sa place.

 

Robert VITTON, 2021

 

 

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -