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Article publié le 18 septembre 2022. oOo Je descends de dessous les toits, À écorche-cul sur la rampe, Ébouriffé, blême, pantois… Où étiez-vous ma fille et toi ? Vous mériteriez une trempe.
On n’a ni patrie, ni drapeau, L’écriture, c’est ma partie ; Chacun brille dans son tripot, On y laisse l’âme et la peau, Notre pauvre aile décatie.
L’amour nous donne des couleurs, Passe-moi mon masque tragique Pour renouveler ma douleur, Que je retrouve la pâleur De mon rôle de nostalgique.
Tous se donnent pour musiciens, Se réclament d’Erik Satie ; Que chacun y mette du sien, Les novices et les anciens, Fasse preuve de modestie.
Je suis toujours dans mes ana, Je ne crains pas vos bouillons d’onze Heures, ni l’aqua-Toffana, Je suis sourd à vos hosannas… Que burinez-vous sur mon bronze ?
Pour débarrasser le plancher, Que choisirai-je ? L’ossuaire Ou la poussière du bûcher ? Ma muse a voulu brodancher De violettes mon suaire.
Nos caisses sont en bois rebours, De nos os faites-en des fifres, Tendez la peau sur des tambours, Portez nos chants sur les faubourgs Où traînent des zéros en chiffre.
On s’attarde à faire des vœux, On saute à pieds joints sur l’occase Et l’on s’accroche à ses cheveux ; Ne croyez pas gens sans aveu Qu’il nous manque une ou plusieurs cases.
Les morts ne sont pas épargnés, Le monde n’est que mangeries, On s’en est exprès éloigné, C’est toujours cela de gagné, On ne se rend plus aux frairies.
Ne cherchez pas un ascenseur, Des escaliers pas davantage, Ce qui ravit mon âme sœur Et navre les démolisseurs. On juche à un cinquième étage.
Tout comme sur le double mont, Nous vivons d’amour et d’eau fraîche, Et nous chantons à pleins poumons Quand d’autres vivent de sermons, De patenôtres et de prêches.
Nous repoussons tous les secours - Écornifleurs, ni parasites. À peu près dix coudées de cours, La corde à nœuds pend dans la cour ; Nous n’avons jamais de visite.
Les nerfs à vif d’un Amati, Œil poché, barbe bleue, nez rouge, Un balandran appesanti, Pour les grands et pour les petits, Nos croquenots sont des carouges.
Le vieux Pantalon, l’Arlequin, Le Scapin, le Pierrot lunaire, Paillasse, Marfore, Pasquin… J’ai plus d’un tour dans mon frusquin, Colombine est ma partenaire.
Une voix de mêlé-cassis Et je suis une marionnette… Un, deux, trois, quatre, cinq et six, Des coups, de la nuque au coccyx, J’en avale ma clarinette.
Elle étouffe des cris d’effroi Sous sa cagoule de percale, Ma bourrelle me coupe en trois, Me décapite comme un roi, Avec une scie musicale.
Sur les parvis, tambour battant, Dans leurs guenilles du dimanche, Une satane et son satan Dénouent des bouquets bluettants. Des piafs s’échappent de nos manches.
Dans l’étui de notre crincrin, On a des boutons de culotte, Des liards, des écus, des florins, De la menuaille, des grains D’or pour faire notre pelote.
Tantôt, nous ne serons plus là, Rangez sur le trottoir nos malles, Notre armoire, le pianola, Le peautre en fer, le matelas, Et notre peautre fantomale.
Robert VITTON, 2022
Notes Ana : recueil de bons mots. Aqua-Toffana : poison, solution concentrée d’arsenic dont l’inventrice serait une certaine Toffana - acqua della Toffana, eau de la Toffana. Bois rebours ou de rebours : noueux Amati : nom d’une famille de luthiers italiens. Balandran ou balandras : ancien manteau. Carouge ou caroube : fruit du caroubier, gousse longue et plate. Peautre : un peautre, mauvais lit ; une peautre, bateau.
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