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 Article publié le 19 février 2023.

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Dans le vaste magasin d’ameublement et d’accessoires pour la maison, joliment présentés, aux motifs variés et joyeusement colorés - ah que la vie est belle, soyez les bienvenus ! - ou bien aux couleurs sévères, les paillassons attendent sagement d’être foulés aux pieds pour pleinement exister.

Que serait un paillasson sans la crasse et la boue, sans la poussière et même les cheveux qui viennent s’y loger, apportés par nos soins et par nos pieds, pressés que nous sommes d’entrer ?

Connaissez-vous beaucoup de seuils qui soient aussi propres qu’un sou neuf ? C’est au seuil qu’on est censé déposer les poussières et les petites saletés du monde extérieur.

J’aime rendre sa jeunesse à mon brave paillasson en le tapant contre le portail de ma maison ; je le débarrasse ainsi de trop de souillures et le voilà comme neuf mais déjà un peu usé. Ses couleurs ne sont pas encore délavées, ses motifs sont encore bien visibles, il a bien servi et servira encore longtemps sur le palier. Tous ces « encore » font un bon paillasson.

Vous qui entrez ici, laissez toute discorde !

*

Le retard accordé, par la distance du soleil à la terre incessamment renouvelé, voilà qu’à plaisir il reflue vers l’instant ailé qui le vit s’ébrouer puis s’envoler avant que de planer sur les eaux usées du devenir. Ainsi du poème, dont nous aimons, à rebours, contempler la facture en ses miroitements.

Il y a, entre La bête et Aimer ces nudités qui excavent un ciel, une concordance des sens tellement évidente qu’il serait trop facile de parler de télépathie.

Je lui préfère le terme vibrant d’accord, comme si deux poètes jouant sur deux instruments similaires mais imperceptiblement différents - ce que seul l’esprit peut concevoir, en-deçà de toute perception immédiate, conception historisante s’appuyant sur la claire conscience de références communes mais aussi dissemblables - trouvaient à s’entendre en faisant jouer des harmonies entendues au contact même du visible qui est mouvement et bruissement, rythmes multiples dont nous jouons pour qu’ils nous jouent, faisant de nous, par-là même, les dés furieux lancés sur le vert tapis des possibles sonores qui, éruptive surrection, se redressent et s’animent, se prenant en main, deviennent à leur tour cette main invisible du destin qui nous lance un défi par le truchement de notre esprit emporté en vagues imaginaires, ondes sonores à même notre cortex et notre corps tout entier et que l’œil voit : Sauras-tu faire de nous ce vers paradis des amours enfantines, ce jardin en hiver qui bientôt frissonnera sous les assauts du printemps, cette vaste cité de bibelots d’inanité sonore animés par quelque souffle tout droit venu du silence qui s’impose à nous une fois l’œuvre achevée ? 

Et renifler l’odeur musicale des membres creusant l’étendue. Gilbert Bourson.

*

A jets continus ou bien goutte à goutte - aridité bienheureuse des cœurs secs mais pleins de sève ! -voici les eaux sales de l’amour que je fais passer dans l’entonnoir de mes humeurs ; je puise les eaux scabreuses dans nombre de sources jadis polluées qui ont toutes un petit air de famille, fort sympathique au demeurant ; au-dessus de chaque fontaine naguère visitée, l’on pouvait lire en lettres blanches sur fond bleu ciel la phrase fatale : eau non potable.

Pas de filtres sophistiqués, aussi pas moyen de filtrer ces eaux jusqu’à en faire un pur et vibrant philtre d’amour. Il me faut faire bouillir ses eaux dans l’alambic poésie, y recueillir une fine poussière d’amour qu’ensuite il me faut encore passer au tamis de mes goûts. Subsiste une fine poudre d’argent ou de plomb, je ne sais. Appliqué sur la peau cuivrée de mon amante, elle est du plus bel effet.

Je me plais à rassembler les membres épars de mes amours mortes. Le temps en a blanchi les os. Ni pourriture ni odeur surie n’incommodent dans ce désert blanc.

Erectiles, tes mamelons ? Que nenni, me dit ma science : ce sont tes aréoles d’un brun profond qui s’affaissent pour qu’ainsi paraissent tes mamelons dressés, ainsi prêts pour une délicate succion.

*

Pour qui a bu le lait noir de l’aube, au sein de la langue allemande, Spracheder Meister, l’exil tombait fort à propos. Il fallut traverser clandestinement la Hongrie occupée, avant de regagner Vienne l’endormie en proie à toutes les basses intrigues, peuplée d’innombrables petites fourmis noires en passe de devenir rouges. Paris ne fut qu’une étape, la dernière cette fois. L’exil parlait dans les poèmes., l’exil jamais assez grand pour y fuir l’ombre de la main invisible des bourreaux d’hier recyclés en citoyens replets et gouailleurs. Ah la gaîté viennoise !

Det Tod ist nun ein Meister aus Russland.

 

Ça sent la Russie. 

Euh, tu voulais dire le roussi !

*

Derrière les sourires viennois de 1946, voir les traits émaciés de Schiele, yeux creusés, cernés par l’horreur.

Les riches ornements, les voluptueuses étoffes damassées, les corps dénudés au seins maigres, les arabesques dorées et tutti quanti dans les plus beaux tableaux de Klimt, venin pour les yeux qui s’en repaissent.

Armé de ces deux peintres, tu jettes sur le monde un regard aiguisé par la soif de vivre ; Munch se tient en embuscade, guette l’arrivée cahin-caha de Bacon. Au loin, dans l’arrière-fond, comme dans un tableau de Vinci, les figures de Jérôme Bosch intriguent.

Une synthèse est impossible hors de tes murs.

Tu ouvres la porte, un air frais caresse tes joues ; les danseuses bleues de Matisse t’invitent dans leur ronde.

Braque et Picasso occupent le haut du pavé de la rue des Arts en compagnie de poètes qui deviendront illustres.

Les écrits de quelques poètes avisés ne sont pas qu’un vernis déposé sur des toiles prestigieuses en mal de mots mais des oriflammes lentes à battre au vent, et qui, souvent, dépassent en audace formelles les toiles qu’elles ne commentent ni n’encensent mais accompagnent sur le difficile chemin de la renommée.

*

La pensée bourgeonne en toutes saisons.

Avant les mots, la pensée n’existe même pas à l’état latent ; virtuellement, elle n’est rien, pas même un germe ramassé sur soi. La pensée bourgeonne au moment même où elle fleurit en mots. Les fruits, s’il y en a, sont pour plus tard, pour ainsi dire dans une seconde vie, bien loin des départs en fanfare, au cœur d’une rumination qui sait s’appuyer sur des acquis et des écarts de langage qui sont le substrat de toute pensée fécondée par une intense réflexion. Dans ce processus d’inflorescence, le primat du langage s’affirme avec force, tandis que, sur le devant de la scène, c’est la pensée qui jouit de la primauté accordée aux œuvres. 

Lorsque tu écris, tu vois pour ainsi dire bourgeonner ta pensée qui, aussitôt, refleurit. Le temps rétroactif que l’écriture implique au moment où tu es lu, tu le vis dans le présent sans présence de l’écriture qui se poursuit en s’enfuyant. Toute grande lecture se veut rencontre passionnée d’un moment inaugural ; cette rencontre est impossible, la recherche parfaitement vaine. Qu’importe au fleuve ses sources !

 

Jean-Michel Guyot

29 janvier 2023

 

 

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