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 Article publié le 24 avril 2023.

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Moyennant quelques accommodements avec la vérité, vous vivrez heureux, c’est un fait. Ne vous inquiétez de rien, on s’occupe de tout.

C’est douloureux ?

Vous ne ressentirez rien hormis un petit chatouillis au niveau du cortex au moment où nous procèderons aux injections, mais c’est très léger, presque imperceptible, et surtout sans aucunes séquelles.

Me voilà rassuré ! Quand est-ce qu’on commence ?

Il faut d’abord que vous nous signiez ce contrat rédigé en bonne et due forme, et puis on pourra y aller ! Le voici !

Mais je ne vois rien d’écrit dans ce contrat ? où est le texte ?

Il est en vous, mon cher monsieur, penchez-vous sur le contrat et vous y verrez nettement votre reflet. Tous nos contrats sont personnalisés. Nous allons vous laissez seul quelques minutes ; ces quelques minutes de réflexion devraient vous convaincre de signer sans plus hésiter.

*

La réalité, miroitante, chatoyante, multiple, complexe… filtrée par une perception culturelle elle-même passée aux tamis de diverses idéologies concurrentes ?

Cette réalité dont tu parles sans l’évoquer est pure fiction ; tu parles savamment de ce que tu ne connais pas, tu me fais penser à ces médecins qui évoquaient les vertus dormitives du pavot dans une pièce de Molière, comme s’il suffisait de nommer un phénomène pour l’expliquer. Tu me rappelles aussi ce guide touristique dans le Jura qui nous donnait le nom de toutes les plantes de montagne que l’on découvrait durant nos randonnées et qui ne savait rien d’elles que leur nom.

Mais il y a les faits ?

Oui, mais lesquels ? Les faits, en nombre finis, sont si nombreux que l’on fait des choix ; on extrait de cette masse énorme de faits ceux qui nous paraissent les plus significatifs. En vertu de quels critères, je te le demande ! Qui plus est : les faits, tous les faits, rien que les faits, même s’il était possible de tous les collecter sans les hiérarchiser, ce qui est impossible en l’état actuel de nos techniques, tous ces faits font l’objet d’interprétations contradictoires. Qu’ils soient historiques ou tirés de l’actualité dite brûlante, et que moi je qualifie plutôt de bruissante-bruyante, ils servent en définitive à asseoir une interprétation globale qui, en définitive, est au service d’une idéologie parmi d’autres idéologies concurrentes. En la matière, les idéologies sont des parasites : elles sont concurrentes et souvent antagonistes mais jamais complémentaires. Aucune synthèse des divers points de vue qu’elles défendent n’est valide.

Les big data jouent un rôle énorme là-dedans ! C’est la nouvelle algocratie !

Ah ça ne fait que commencer ! Les algorithmes sont des outils qui sont précisément destinés à extraire des faits de langue pour en tirer des conclusions tactiques. Le contrôle des populations est déjà là. En gros, le consommateur est sommé d’être un bon citoyen et de jacter dans les limites définis par les pouvoirs en place ! Consomme et tais-toi ! La libre parole est un leurre ; les paroles deviennent des unités de valeur. Tous les messages postés sont susceptibles d’être marchandisés et monétisés.

*

Et la vérité dans tout ça ? Un mot, rien qu’un mot.

Il faut tout reprendre à zéro, si je comprends bien ?

En effet, il nous faut conjuguer phénoménologie et généalogie pour débrouiller cet imbroglio.

A supposer que nous parvenions à dégager une vérité après un long travail acharné, il nous resterait à convaincre les foules, les masses, non ?

Le problème, ce n’est pas l’univers, le cosmos ni les lois physico-chimiques et biochimiques, mais c’est l’humain capable de comprendre tout cela sans jamais se comprendre soi-même.

La science ne pense pas, tu sais bien ! La servilité ambiante, plus exactement la servitude volontaire, c’est une version améliorée du grégarisme. Le maître-mot, c’est la liberté. Pas de vérité sans liberté.

Nous voilà embarqués dans une histoire sans fin, si je te suis bien.

Bah, que l’humanité disparaisse ou non, n’a aucune importance, l’univers peut se passer de nous.

Mais l’humanité, ça n’existe pas ! Il n’y a que des groupes humains qui commercent ou se font la guerre depuis au moins le néolithique !

De toute façon, personne ne sortira vivant de cette histoire ! Ce n’est pas une raison pour baisser les bras ni baisser la garde, car nous sommes bien là les deux pieds sur terre et menacés de toutes parts, il n’y a aucune raison pour que nous nous laissions dominer par d’autres groupes humains qui en sont au même point que nous.

En somme, tu privilégies les groupes humains qui valorisent la liberté ?

Parler de groupe est un peu excessif. Disons que nous sommes quelques-uns à ne pas voir la liberté sous le strict angle du libre arbitre octroyé par une puissance divine qui se serait retirée élégamment de sa création.

Mais une liberté sans libre arbitre est pure fiction !

La liberté que j’ai en vue est donnée à tous et toutes depuis la nuit des temps ; elle est celle de tout l’univers qui se déploie, s’agite, évolue, crée et détruit sans cesse. Cette liberté est l’exister même. Le vrai problème se pose en termes humains lorsque certains humains en viennent à dénier à d’autres groupes humains le droit d’exister.

Le droit dérive d’un fait pur et simple, si je comprends bien ? Il suffirait que quelque chose existe pour que cette chose ait le droit d’exister ? Le droit naturel, en somme !

Pas exactement, sinon cela reviendrait à avaliser tous les comportements humains, car je le répète, le problème c’est l’humain. Il en est qui, en bons darwiniens, se croient autorisés à s’appuyer sur ce qu’ils appellent l’évolution pour détruire ou dominer des groupes humains entiers. Cette évolution, c’est tout simplement la loi du plus fort dans leur esprit étroit et mesquin. Les darwiniens se veulent en quelque sorte les chantres de la nature retrouvée dont les lois peuvent et doivent s’appliquer aux humains. Ce sont des sadiques qui justifient leurs actes de cruauté en prenant prétexte de la prétendue cruauté de la nature.

Ça sent le nazisme à plein nez tout ça !

Oh pas seulement !Toutes les idéologies totalitaires ne sont que des conglomérats d’idées holistiques qui traînent dans l’histoire depuis que le monde des cités est devenu la norme, sachant que même dans des clans, dans des tribus l’autorité de quelques-uns, la classe aristocratique, s’exercent sur les autres au nom d’un dieu, d’une loi soi-disant définie par un dieu ou plusieurs dieux, peu importe, dont le roi, le chef, appelle ça comme tu veux, prétend être le représentant sur terre et le garant.

Comment articuler le libre arbitre et cette liberté universelle que tu viens de définir ?

Il ne faut rien articuler. Articuler libre arbitre et liberté universelle, c’est courir le danger d’une déviation darwinienne qui aboutit à prôner la loi du plus fort. La liberté universelle n’est ni un modèle pertinent ni même un idéal lointain à atteindre. Elle constitue le fond cosmique sur lequel la liberté humaine s’enlève pour le meilleur et pour le pire, ce pire et ce meilleur affectant tant les humains que ce que nous appelons la nature.

En somme, rien de nouveau sous le soleil !

Vu de Sirius, rien n’a d’importance ! Les linguistes, par exemple, ces grands cuistres des temps modernes, nous expliquent que tout est norme dans le langage, que, par conséquent, toute évolution est simple changement de normes, que les normes évoluent au cours de l’histoire. Ils s’appuient sur des faits historiques indéniables et ce faisant ils se servent d’une vérité pour dissimuler le fait patent que nos langues telles qu’elles sont parlées et écrites de nos jours s’appauvrissent et se disloquent sans qu’aucun redressement notable de l’intelligibilité n’apparaisse à l’horizon de notre misère actuelle. La misère intellectuelle du grand nombre, voilà l’obstacle majeur à la liberté de tous !

Je te trouve bien pessimiste !

Et moi, je trouve les linguistes bien optimistes, ces cuistres planqués dans leur tour d’ivoire ! L’intelligibilité est garante de nos libertés, de notre liberté. Lorsqu’elle défaille faute de moyens d’expression amples et nuancés, c’est le commencement du règne du grand n’importe quoi ! Je pourrais multiplier les exemples de solécismes, de phrases incompréhensibles, d’à peu près, de raccourcis. Ecoute nos journalistes en vue, rares sont ceux qui maîtrisent correctement des subordonnées relatives complexes ! Si ça ce n’est pas le signe d’un affaissement généralisé, je veux bien qu’on me pende !

On n’a encore jamais pendu quelqu’un pour avoir commis un crime contre la langue, tu me diras !

Encore heureux !

Mais alors, que faut-il faire ?

Vivre et être vigilant. Ne jamais s’autoriser des turpitudes et des faiblesses d’autrui pour s’adonner à des turpitudes inacceptables !

Oui, je te suis, mais tu sais bien que l’humanité est encore dans l’enfance !

Ah ne me parle pas de surhomme, je te vois venir avec tes gros sabots !

Ah ma foi, qui dit sabots dit sabotage ! On pourrait continuer longtemps comme ça, mais il faut que je te quitte.

Ce n’est qu’un au revoir, j’espère !

 

Jean-Michel Guyot

23 février 2023

 

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