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Love forever changes
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 Article publié le 23 juillet 2023.

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Tyrannie de la voix : écoute-moi, écoute-moi ! Une voix se fait entendre : qu’est-ce qui prime alors ? le message qu’elle véhicule ou bien sa force de séduction purement vocale-musicale ?

Les rapports texte-musique sont fort complexes ; on ne les abordera pas ici. (On peut se reporter utilement aux textes rassemblés sous le titre Perspectives cavalières).

Ce qui distingue - distinction assez farfelue, j’en conviens ! - une musique que je qualifie de séminale d’une bonne musique, close sur elle-même, en somme indépassable, c’est que la musique séminale appelle toutes sortes d’interprétations ou de variations, selon qu’elle s’inscrit dans le domaine dit classique ou dans le monde du jazz.

Une simple ritournelle peut devenir un standard de jazz qui en magnifie la mélodie, tout en en bouleversant la trame harmonique et la structure rythmique : le jazz, ainsi, transforme un presque rien musical indépassable en une œuvre d’art évolutive de premier plan.

Le propre de toute musique séminale est d’être constamment dépassée-débordée par les interprétations ou les variations qu’elle suscite : cette propriété intrinsèque ne se dévoile qu’en faisant l’épreuve de l’étranger, c’est-à-dire en étant la figure décisoire et passagère d’un centre imaginaire introuvable à la source duquel elle puise ses raisons d’être ailleurs, toujours ailleurs que là où on l’attendait :

Il y a, pour tout ouvrage, une infinité de variations possibles Aux pages intitulées Thomas l’obscur, écrites à partir de 1932, remises à l’édition en mai 1940, publiées en 1941, la présente version n’ajoute rien, mais comme elle leur ôte beaucoup, on peut la dire autre et même toute nouvelle, mais aussi toute pareille, si, entre la figure et ce qui en est ou s’en croit le centre, on a raison de ne pas distinguer, chaque fois que la figure complète n’exprime elle-même que la recherche d’un centre imaginaire.

Blanchot, quatrième de couverture de Thomas l’obscur, nouvelle version, 1950

Tout musicien un tant soit peu conscient de marquer son époque, fût-ce contre elle, parce qu’il est ignoré du grand public pour la raison que son œuvre est trop difficile, trop complexe pour être appréhendée en toute innocence comme peut l’être une chanson ou un film, tout musicien, dis-je, qui a le souci de l’œuvre à venir ne s’installe jamais dans une répétition pure et simple d’une formule commode qui assure succès et argent. Cette recherche incessante d’un centre imaginaire, recherche vouée à l’échec, signe sa réussite et témoigne de son endurance.

Le piège inhérent à toute tentative créatrice est la versatilité : il faut savoir s’en tenir non pas à un plan fermement établi ni même à une ligne directrice plus ou moins hâtivement tracée mais tenir bon à travers tous les aléas de la création, et faire de ses aléas le comburant nécessaire à la combustion spontanée-réfléchie de l’œuvre en cours.

Cette « recherche d’un centre imaginaire », propre à chaque « figure complète », en l’occurrence à chaque composition incessamment révisée-revisitée à chaque nouvelle interprétation, apparaît-disparaît dans la figure : n’est centrale, en définitive, que la forme prise à un instant T par la figure lors d’un enregistrement ou lors d’un concert. Par figure centrale, il faut entendre stricto sensu ce qui échappera toujours à l’intentionnalité de l’œuvre ouverte sur elle-même. Une version princeps de l’œuvre n’a jamais valeur canonique ; ne se révèlent en définitive que d’autres versions qui buissonnent indéfiniment en tournant autour du « centre imaginaire introuvable ».

Le trop à dire qui excède tout dire qui manque toujours sa cible de peu, comme si la cible, mouvante mais aussi multiple, se reflétait dans un jeu de miroirs jumeaux…

L’écheveau du temps musical est ce nœud gordien qui se reforme constamment ; cela se passe durant la nuit qui ne dort jamais. Trancher dans le vif du fil du Destin par des décisions révocables à tout moment… L’œuvre qui résulte de ces coups de ciseaux ne peut être dite achevée que lorsque le désir de trancher-retrancher n’est plus, et ce parmi des milliers et des milliers d’autres arrangements possibles : toute œuvre, en ce sens, est un compromis passé entre une infinité de possibles et la décision qui préside à leurs arrangements.

Il faut choisir. Le choix est facilité par la véhémence de l’inspiration initiale, la respiration de l’œuvre entière dépendant de l’endurance du créateur.

Je ne sais pas où je vais, mais, une chose est sûre, j’y vais… Ce « y » mouvant-mourant, en constant décalage avec mes intentions d’un jour, voilà qu’il est arrêté par un diktat : l’œuvre est achevée, on n’y reviendra que pour mieux s’en détacher en proposant une autre approche.

Le « prototype » d’une musique séminale pour moi, c’est le Red House de Jimi Hendrix.

Les paroles varient très peu, la musique conserve sa base harmonique, mais tout y est mouvant par ailleurs, et c’est dans cet ailleurs indéfiniment exploré que réside la chance de cette musique ouverte sur elle-même. Telle version séduira plus qu’une autre, c’est certain, mais au fil des écoutes, toutes tendent avec plus ou moins de brio vers l’inconnu qu’elle célèbre comme étant la chance par excellence de vivre ici et maintenant.

 

Jean-Michel Guyot

19 juillet 2023

 

 

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