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L’Héméron - édition ’amazone’
"Homo sum" - Jean-Michel Guyot - à propos de "Vagues" de Patrick Cintas

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 Article publié le 17 septembre 2023.

oOo

…Mais l’auteur a le don d’inverser le dicton : l’art est facile et la critique est difficile. Ce qui tient sans doute au fait que son œuvre n’est pas d’esprit, mais de désir. Les temps modernes...

Patrick Cintas, 29 juillet 2023

 

L’hallucination va croissant, de nouvelle en nouvelle. Le bien-fondé sensible, moral et même strictement intellectuel des actants se disloque progressivement, pour ressembler en bout de ligne à ce que nous sommes. Des chaos ambulants, bien souvent manipulés et parfois un peu aussi manipulants mais il y a une inégalité fondamentale entre nos esquisses de manipulation et celles de nos donneurs d’ordre : le capital.

Pascal Leray, 11 avril 2023

 

Pascal Leray est dans le vrai ! Si j’osais, je serais tenté de le rebaptiser Pascal Levray !

Les lignes qui vont suivre n’ont d’autre ambition que de donner à lire un beau livre : Vagues.

*

Selon moi, une déclaration d’intention qui ne se concentre pas tout entière dans le brillant de sa mise en forme phrastique peut être considérée comme nulle et non avenue. En cela comparable à un slogan politique ou publicitaire qui implante la promesse de son épiphanie dans le cœur de qui les reçoit. En littérature, tout au contraire, c’est promesse tenue ou rien.

Rares sont les livres qui parviennent comme Vagues à concilier dans un même flux verbal intention et déclaration, proposant ainsi, et pour le meilleur, une intentionnalité littéraire faite d’attention portée aux moindres détails signifiants.

Ici, pas de déclarations sous forme de commentaires prêtées par l’auteur aux narrateurs ni de citations mises en exergue qui orienteraient la lecture mais une fiction qui met en scène ce que l’on appelait dans les temps anciens les passions humaines.

Tout à son désir-plaisir de fabuler, l’auteur, être de désir, tout comme ses lecteurs, n’en est pas moins un être de pensée ; le penser chez lui ne s’adonne pas à la pensée mais, se laissant porter par le désir, produit un monde où viennent à s’affronter un fouillis de désirs antagonistes ; il leur arrive de converger au sein d’un récit pour le meilleur et souvent le pire.

Monde du regard dans lequel les personnages n’ont que peu d’égards pour les paroles, mais paroles qui font tout le sel des nouvelles qu’on va lire.

Lorsque les désirs divergent, faute de fine accointance savamment élaborée, ils s’éloignent infiniment les uns des autres, et c’en est fini de l’asymptote qu’est tout écrit un tant soit peu réussi, l’auteur, alors, est à la peine, ce qui n’est pas le cas de Patrick Cintas qui sait nous embarquer sur sa nef des fous en compagnie de créatures fort peu recommandables !

Ainsi le pire ne serait pas à craindre, contraint qu’il est dans l’espace et le temps d’une fiction, pour peu que nous sachions faire preuve d’humanité complice en compagnie de l’auteur, tout son talent consistant alors à nous rallier à la cause de sa fiction dont le maître-mot pourrait bien être la phrase de Térence : Homo sum, et humani nihil a me alienum puto.

Le triomphe de l’auteur est de concentrer les vagues de désir qui l’assaillent dans sa prose ductile, d’en faire ses créatures de chair et de mots à la merci de son inventivité débridée et de nous les livrer pieds et poings liés à notre sagacité qui va s’employer à délier ce qui est lié, à nouer de nouveaux liens parallèles ou catallèles à ceux qu’il a noués. Processus sans fin.

Figures de désirs incarnées verbalement dans des personnages qui avancent masqués, toujours masqués, l’idée directrice étant que rien sous le masque n’a de réelle existence tangible Faute de pouvoir être démasqués, les personnages redisent.

Le propre d’un grand livre, à mon sens, est de susciter une quantité impressionnante de réactions épidermiques, quasi instinctives que le lecteur s’ingénie de toutes ses forces à sérier sous la forme d’idées, de sensations et de considérations que lui inspirent ces/ses idées et sensations.

Pointe la question cruciale qui restera sans réponse : qu’est-ce que l’auteur a bien voulu nous dire en écrivant tout cela ?

Les réponses abondent tout au long de la lecture, petites illuminations qui laissent un goût amer d’éphémère dans la bouche, tant elles paraissent insuffisantes et même inconvenantes en regard de la maestria déployée tout au long des textes. Heureuse amertume, je m’empresse d’ajouter !

On n’ose demander à l’auteur de s’expliquer, démarche parfaitement incongrue.

Le regard oblique qu’il porte sur les êtres et les choses doit nous suffire. Ni surplomb d’une raison capable de tout expliquer ni pose énigmatique supposée tant de la part de l’auteur que du lecteur ne conviennent en l’occurrence. Il n’y a qu’à se laisser porter par le texte et s’y perdre jusqu’à en perdre son latin.

Je lis la première page, et je souris déjà.

Ah, je sens que je vais bien m’amuser ! Et la suite me donne raison. J’éclate de rire à de nombreuses reprises. Le spectacle de tant d’ignominie concentrée dans des êtres aussi minables et répugnants donne de la joie. Comment expliquer cela ?

A première vue, voici quinze historiettes racontées à la première personne : le narrateur, toujours témoin désabusé de l’action dans laquelle il se voit impliqué à son corps défendant, décrit par le menu ce qu’il voit et entend, mais un scrupule le tenaille : ce narrateur quinze fois renouvelé ne cesse de nouvelle en nouvelle de nous faire part de ses doutes et de ses incertitudes quant aux motivations des uns et des autres. Une mémoire douloureuse pèse sur lui, comme s’il devait convenir que les choses devaient fatalement mal tourner en raison de ses expériences passées. Les personnages sont comme englués dans un passé qui leur colle à la peau.

Quinze narrateurs versatiles comme quinze vagues houleuses qui viennent s’échouer sur la plage uniforme de l’existence et qui, pour un temps très bref, lui donnent une forme singulière, lui procurent force et consistance - sorte de motion naturelle, irrépressible par le fait, comme peut l’être le cadavre encore frais d’un noyé venu s’échouer sur une plage venteuse qui vient rappeler à tous que nager en eaux troubles par mauvais temps représente un risque mortel.

Ces narrateurs sont tous des personnages louches qui évoluent dans un monde interlope ou du moins aux marges de la légalité, des crevards visqueux, des salauds assumés, des pervers conscients de leurs actes, tous intégralement veules et vils, mais une vérité se fait jour à travers eux, Patrick Cintas n’étant pas homme à écarter des pans entiers de réalité sous prétexte qu’ils dérangent notre confort et notre bonne conscience.

C’est tout le problème du réalisme qui s’expose là : rendre compte du réel ? très bien, mais comment, avec quels moyens au juste ? Montrer sans en remontrer mais pour démontrer quoi exactement ? Une phénoménologie bien comprise ne prétend pas embrasser tout le réel, elle n’est pas hégélienne dans ses ambitions : aux grandes démonstrations, elle préfère la justesse et la finesse de petites observations qui ne sont pas mises bout à bout mais agencées, concaténées et distribuées tout au long des nouvelles. Elles ruissellent comme la pluie sur une vitre sale.

Cette vérité, à vrai dire insaisissable, mouvante, tournoyante, est celle d’un langage pris dans les vertiges d’un corps qui porte chaque narrateur au pire et qui s’acharne, par le truchement de ce narrateur-témoin-partie prenante de l’action en cours, à dégager l’existence de sa gangue de sens au moment même où c’est l’existence, toute l’existence que l’auteur veut montrer-toucher du doigt avec les mots qu’il prête à son narrateur.

Toute l’existence et non pas l’existence, toute existence étant l’existence singulière moins les autres avec les autres dans le même temps, soit ce maelstrom de contradictions propre à vie sociale, amoureuse et fantasmatique de tout un chacun.

C’est ici qu’une prose réaliste et une poésie tout en délicatesse s’affrontent en un duel d’ombres, ces deux ombres portées se partageant en quelque sorte la matière vivante-vibrionnante que l’auteur projette sur l’écran de notre lecture.

Etrange sensation de dédoublement : on dirait que les narrateurs, sans savoir exactement ce qui les attend au tournant, ont l’intuition de leur propre fin, leur vie passée ne laissant rien présager de bon quant à la suite à donner à leur existence pour le moins tourmentée.

L’auteur les sacrifie sur l’autel de leur abjection, sans pour autant dire : C’est bien fait pour toi, tu ne l’as pas volé. Pas de moralisme ici.

Lecture dédoublée : nous sommes tout à la fois captivés par l’histoire en train de se dérouler et dont on redoute quelque peu la fin, le tragique se tenant embusqué dans les recoins du récit en cours et nous sommes en même temps happés par la langue superbe d’insolence qui s’y déploie.

Insolence est le mot, me semble-t-il, tant il est vrai que s’y déploie une virtuosité verbale contenue, comme si chaque narrateur s’essayait à mélanger ironie glaçante, humour à froid et considérations générales sur l’existence, le tout baignant dans un clair-obscur où la fatalité le dispute avec la plus extrême lucidité, les saillies de chaque narrateur jetant une lumière d’autant plus crue sur les zones d’ombre qu’ils recèlent en leur for intérieur.

Comme si la langue, planche de salut éphémère, pourrie aussitôt que saisie, n’était réellement salvatrice qu’à condition que l’on s’en dessaisisse, soit l’impossibilité de mourir au sein du mourir même qui tient en haleine chaque narrateur qui sait que la fin, toujours proche, n’est pas pour tout de suite.

Patrick Cintas privilégie la langue orale, les tournures de phrases légèrement incorrectes en regard d’une langue soutenue, afin de se maintenir au plus près de la réalité des personnages auxquels il donne vie, chair et densité dans sa prose, mais dans le même temps, le poète Cintas trouve dans la matérialité des mots sa jouissance : c’est en cela que ses récits, tristes à mourir sur le fond, sont aussi bien le fruit d’une jubilation verbale qu’il communique à ses lecteurs.

Tous les personnages de Vagues confrontés à des réminiscences de leur passé nauséabond en rabattent et se recroquevillent dans les bas-fonds de leur médiocre existence en y faisant ce qu’ils savent faire de mieux : le mal. Ils subissent leurs actions dérisoires plus qu’ils n’agissent pour changer la donne, comme si leur fin était toujours déjà inscrite dans une réalité sociale et économique poisseuse au sein de laquelle, comme poissons dans l’eau, ils se livrent à leurs activités criminelles : fatum, fatum ! Poissons somnambules qui roulent dans les vagues de nouvelle en nouvelle.

Pointé à juste raison par Pascal Leray dans son article du 11 avril 2023 qu’il a consacré à sa lecture de Vagues, il est un fait indéniablement roboratif et quelque peu corrosif concernant cette série de quinze nouvelles : on n’y trouvera aucune psychologie mal venue ni aucune sociologie lénifiante. En cela, Vagues me fait penser aux nouvelles de Bernard Schlink parues sous le titre Amours en fuite aux Editions Diogenes de Zürich en 2000. Je ne pousserai pas plus loin la comparaison qui nous entraînerait trop loin des eaux glacées de Vagues.

Jean-Michel Guyot - 31 août 2023

Donner à voir

N’étant pas un adepte fidèle de l’Idée ni de la Prosodie (au sens propre), j’ai en effet tendance à nourrir ma prose et mes vers de « vues », lesquelles Pascal (Leray) traite d’hallucinations. Quoiqu’il en soit, il faut bien que le texte laisse quelque chose sur la langue s’il veut se faire sentir... Je suis moins soucieux de le faire entendre ni comprendre. Préfère l’impair de l’Œil à la musique, au peu de sens... Cézanne (mon vrai modèle) disait de Monet : « Ce n’est qu’un œil, mais quel œil ! » Pourquoi en effet ne pas me sentir disciple et discipliné... ?

*

Une vue de l’esprit qui capte la lumière, en cisèle les choses, les objets et les êtres qui passent à sa portée, toujours menacés qu’ils sont par la Nuit qui vient : voilà qui peut faire récit, un récit trempé dans des réalités parfois aussi crues que la lumière qui les met au jour en pratiquant une sorte de mise à jour-mise au point salutaire et décapante.

L’œil, chez les anciens Grecs, étaient censé non pas capter la lumière mais la projeter sur la réalité ambiante, cette ambiance réelle étant toute tissées de divinités actives mais invisibles ; le nouvelliste redonne vie à cette manière de voir en donnant à voir dans un même élan et le dessous des cartes de tous les jeux de mains et de vilains propre à une humanité que n’effraie pas l’abjection et le ressort langagier de ces jeux de dupe que sont les relations humaines.

En quelque sorte, l’invisible des relations humaines s’y dévoile et s’y révèle actif et dynamique en diable.

La force de Vagues est là.

Cette œuvre est intensément visuelle ; elle est, au sens propre, tout entière scénographie.

Donner à voir, voilà une noble ambition partagée par Paul Eluard.

Une singulière amitié unit les esprits à travers les âges qui autorise de les invoquer au présent, ce qui peut paraître quelque peu naïf aux esprits incapables de parcourir une noosphère peuplée d’œuvres de toutes les époques ; cette amitié par-delà les âges, Patrick Cintas, manifestement, la vie en compagnie de Paul Cézanne.

Donner à voir, ah certes oui ! mais la musicalité de la phrase n’en est pas oubliée pour autant, lorsque Paul Éluard écrit ses vers étonnants qui remuèrent André Gide, lequel soupçonnait que quelque chose d’important était en train de se passer dans les Lettres françaises au moment où il mettait la dernière main à sa Préface à son Anthologie de la poésie française contrariée par l’irruption de la guerre : 

Rose pareille au parricide

Descend de la toile de fond

Et tout en flamme s’évapore

Lisant la poésie de Patrick Cintas, j’y retrouve la même densité du Verbe, soit dit en passant. 

Cette coappartenance de la lumière et des êtres qu’elle illumine, à laquelle je faisais allusion plus haut, se vit à hauteur d’un langage plus usuel que familier, capable dans une même phrase de faire trembler le sens en y mêlant des mots, des tournures de phrase et des subjonctifs imparfaits comme sortis de leur caverne où l’usage les y avait enfermés à des propos de comptoir tenus dans une langue relâchée.

Cette œuvre est donc une sorte de mille-feuilles qui peut se lire à la va-vite, si l’on tient, tout bêtement, à en privilégier la trame scénographique, en somme l’histoire qui s’y déroule, mais l’on peut s’attarder sur le style qui s’y déploie, c’est-à-dire à cette langue démultipliée qui s’ingénie à dire le réel dans tous ses aspects, le sordide étant prédominant, il faut le reconnaître, dans notre monde actuel que dépeignent les nouvelles de Patrick Cintas.

Il les décrit, autant dire qu’il les dé-crit, les débarrasse de leur gangue poisseuse pour en faire une œuvre d’art, mais sans jamais les décrier en tombant dans un moralisme de mauvais aloi.

Les personnages ont un profil éthique fort douteux, mais qui sommes-nous pour nous croire supérieurs à eux ? J’ai ressenti cela en visionnant la formidable série HBO The Wire, et je le ressens aussi à la lecture de Vagues.

Comme si une certaine fraternité entre les humains venait se loger là où elle peut encore se frayer un chemin tortueux, en dépit de tout.

Jean-Michel Guyot - 14 septembre 2023

 


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