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 Article publié le 17 septembre 2023.

oOo

Ne laisse rien se perdre, il en restera toujours quelque chose.

L’eau des pluies s’en va au ruisseau qui s’en va à la rivière, et ainsi de suite… Tu leur préfères les eaux douces qui s’infiltrent doucement dans les roches karstiques de ton pays imaginaire, mais bien réel aussi en terre franche.

Spéléologue à tes heures… qui ne sont pas perdues pour tout le monde.

Les anfractuosités que tu chéris - tu es loin de les connaître toutes ! - tu ne les peux accompagner dans leur destin pluvial qu’en les créant de toutes pièces en t’abritant dans la pensée de celles, bien réelles, dont tu as connaissance.

 

Dans tes rêves !

Entre le démon - dans les lieux qu’il vous plaira d’imaginer - qui benoîtement s’assoit sur la sellette qu’en habile menuisier il s’est construite pendant son séjour derrière les barreaux. Le procès peut commencer.

Mais de quel bois est donc faite cette sellette, demanderez-vous. Des multiples crimes dont il n’est que l’humble instigateur, voyons !

Pour un peu, il plaiderait coupable pour le plaisir d’être radieusement innocenté !

La salle est bondée, bien à l’image du monde dans lequel il intrigue, ourdit ses complots à n’en plus finir.

« Le démon est en eux tous ! », me souffle la sagesse aux yeux de biche effarouchée.

Ce à quoi je réplique par un retentissant OUI qui s’abîme en moi en de profonds et longs et lugubres échos. Satisfaite, la voilà qui, sans crier gare, s’assied sur mes genoux, mais mon giron est bien trop étroit pour une aussi imposante créature ! Je la chasse d’un mot que je tairai pour ne pas offusquer les oreilles sensibles. Aussitôt, la nouvelle se répand : j’aurais, à en croire la rumeur, répudié la sagesse aux vastes oreilles d’éléphant. Mais la mémoire est si peu de chose en ce monde.

 

Affole ton lexique, il ne te remerciera jamais assez.

Aposte les virgules, à défaut d’accoster sur des terres vierges d’inconnu ! La haute mer ne me dit rien de bon.

Tes mots-fourmis s’affolent en bandes organisées, chacun est à sa tâche dans l’affolement général ; de l’apparent chaos voulu par l’importun promeneur qui jeta un furieux coup de pied dans la fourmilière, il ne reste rien, sous nos yeux amoureux, que l’ordre régnant qui ne se légitime dans son pouvoir que de montrer à la hauteur de sa tâche.

Nous sommes si nombreux à dire je !

 

Des voix l’aperçu erratique ; c’est dans l’hétérogène interrogé sans gêne puis laissé à l’abandon de sa mise singulière que se déploie le multiple facetté.

Louées soient toutes ces voix qui, s’ignorant les unes les autres, préparent sans s’en douter, l’éventail infini de possibles entraperçus !

Leur ignorance n’est pas réciproque, ne se mutualise pas, demeure cet archipel de l’impossible qui se fraye un chemin par les routes successivement endossées sur la mer violette qui ne cesse d’offrir aux joyeux navigateurs l’opportunité d’un nouveau poros.

Toutes les voies navigables ne sont pas bonnes à prendre.

 

A prendre trop de hauteur, tu finis par voler bas.

La chute est toujours imminente, de loin et de près toujours préférable au lent déclin de la feuille morte qui danse dans le vent.

Les feuilles mortes ont ceci de bon, qu’outre l’humus qu’elles produisent elles nous indiquent clairement où se situe le chemin. Il faut être tout entier l’arbre et sa sève, et les quatre saisons de nos rudes contrées verdoyantes pour oser seulement monter en graine.

A qui vole bas, je conseille de s’élever, à qui vole bassement, je dis : bon vent !

 

Il fut un temps, assez long, où, las de prospérer chenille dévorant toute la verdure sur son passage, la créature se fit chrysalide.

En quelques semaines seulement il en advint un papillon qui se mit aussitôt à son unique et ultime tâche de rendre hommage aux fleurs de mon jardin qui se tenaient prêtes à l’accueillir.

Dans leur savoureuse hâte à se faire lutiner par ce gredin, elles poussaient des ahans de pollen qui, parfois, se déposaient sur le bout de mon nez d’enfant taquin.

 

Le cauchemar de Virgile.

Peut-être ne suis-je au fond que cacozelia latens, malheureusement entouré que je suis de trop zélés mécènes tous plus empressés que les autres à me flatter dans le sens du poil pour mieux me faire la peau.

 Auguste présence qui obscurcit l’horizon ! donne à tout un chacun un but, un seul : dire du bien du grand homme qui s’est élevé à la dignité suprême de divinité. Les lauriers sont pour César et les poètes qui sauront lui en tresser de toujours plus belles.

 

A trop chercher tu ne te lasses pas.

 

Faire flèche de tous bois ne garantit en rien que tu atteindras ta cible. Tant mieux, si tu ne fais qu’en rêver. Rater ta cible te donne l’occasion de décocher de nouvelles flèches !

De la cible convoitée à l’archer frémissant, dans le pré fleuri agrémenté de connaisseurs, il y a tout un arsenal qui se met en travers de la flèche : l’air qui la transporte-déporte, les bras et la main décocheuse, et enfin l’archer lui-même qui est à soi son pire obstacle.

Et la flèche de murmurer à l’oreille de l’archer : Dévier de sa trajectoire n’est rien qu’un pâle accident qui peut réserver de belles surprises.

Se réveiller de bon matin, frais et dispos, se lever tout gaillard, ouvrir grands ses volets et mourir d’une flèche en plein cœur… décochée par l’aimable frère qui avait pris l’habitude de nous réveiller en tirant une flèche dans les volets clos… C’est arrivé il y a fort longtemps en Alsace.

 

Dans un pays qui a décapité son roi, les prises de tête sont-elles plus nombreuses qu’ailleurs ?!

« Pas de prise de tête ! » : Cette expression que l’on entend à tout bout de champ m’intrigue : elle atteste, selon moi, une volonté pacifiste d’éviter tout conflit à une époque où les conflits internationaux ne cessent de se durcir, comme au bon vieux temps.

A la guerre conventionnelle s’est ajoutée dernièrement, il est vrai, une guerre des sexes. Beau progrès ! mais nos dialecticiens de service ne manqueront pas de faire remarquer que pour arriver à ses nobles fins tous les coups, même les plus bas, sont permis !

Temps de disette idéologique… On cause beaucoup, sans faire bien avancer la cause.

Les prises de gueule imaginaires se multiplient dans ma tête depuis quelque temps ; plutôt que d’y voir un symptôme d’acrimonie voire de paranoïa due à mon âge avancé, je préfère penser que, dans ma solitude, j’incline à m’affronter avec des ennemis bien réels que je ne fréquente pas, « Dieu merci » !

S’engueuler est une perte de temps ; c’est à qui braillera le plus fort, tandis que j’incline à préférer la discussion franche et courtoise, quitte à en rabattre parce que je ne prétends pas avoir raison en tout.

 

Ça se passe de commentaires. Voilà l’idée après la lecture d’un grand texte, et pourtant…

En philosophie, les commentaires appellent les commentaires qui s’accumulent et s’empilent au gré du temps qui n’est pas tendre avec eux tous.

Il faut hiérarchiser, quitte à revenir sur une hiérarchie établie qu’il est loisible de contester pour peu que l’on apporte des arguments solides en faveur d’une réévaluation.

Certains commentaires sont si riches qu’ils n’éclipsent pas le texte ou le fragment commenté mais donne à le lire augmenté de tout ce qu’il a donné à son exégète.

C’est à mon sens le cas des commentaires de Heidegger qui sont plus que magistraux mais géniaux : profonde hardiesse d’un des philosophes les plus prolifiques mais aussi et surtout les plus féconds de son temps, temps qu’il excède de très loin.

Revenir à des textes fondateurs vieux de deux-mille-cinq-cents ans et projeter ainsi la pensée dans l’avenir, c’est prodigieux.

 

Une pensée stupéfiante… Gare à l’ivresse des hauteurs !

Les petits moineaux ont bien le droit de se prendre de temps en temps pour les faucons qu’ils ne seront jamais !

En Alsace, le moineau, le Spatz, désignait autrefois l’Allemand, insolent et tapageur. Mon arrière-grand-père était friand de ce vocable persifleur.

« Frache Schwove », pour désigner les Allemands insolemment enivrés par une gloriole auréolée de victoires militaires à courte vue, était nettement moins sympathique à leur égard !

 

La tyrannie du Verbe : qui, mieux qu’un poète, peut ne pas en parler ? Le poète est le plus légitime dans le silence pudique qu’il observe à ce propos. 

Tu me soules ! : voilà une phrase bien différente de celle-ci, jamais proférée : Tu m’enivres !

C’est qu’une ivresse ne se dit pas mais se vit, parfois, certes, en tenant des propos incohérents ! L’ivresse dialogique est chose malsonnante ; une personne éméchée divague plus qu’elle ne parle.

L’ivresse du bateau du même nom - à la coque de sapin…- est une longue métaphore filée ; l’ivresse métaphorique qui s’y déploie est plus de l’ordre de l’enthousiasme sans dieu qu’elle ne relève d’un quelconque état d’ébriété.

A quatorze ans, je m’enivrais de métaphores toutes plus stupéfiantes les unes que les autres.

La sage poésie imagée d’un Lafontaine provoque déjà chez l’enfant imaginatif une sorte de liesse de l’esprit, tant le bestiaire qui s’y voit et s’y entend colore et anime des scènes étonnantes que double sans cesse une prise de parole moralisante qui peut faire grincer des dents mais n’occulte pas le démon de la poésie qui habitait cet étonnant homme qu’était Lafontaine.

Et puis Baudelaire déboule dans le paysage sonore de l’enfant devenu adolescent ; commence une cavalcade de sensations qui dure des années.

La merveille chez Baudelaire, c’est qu’il n’y a aucun hiatus entre sa poésie et ses essais critiques ; la prose prodigieuse qu’il déploie dans ses Salons et ses écrits critiques rassemblés sous le titre de L’Art romantique n’a pas assez été soulignée, je trouve. Je me mis jeune à l’école de cette prose, sans bien m’en apercevoir sur le coup.

On peut remercier Baudelaire de ne pas nous avoir gratifié d’un seul roman.

Le roman de sa vie nous suffit amplement. Il est le premier auteur dont la vie importe autant que ses écrits, non pas que la très sombre lumière de sa vie éclaire ses écrits, mais la chandelle brûlée par les deux bouts que fut sa bien courte existence brûle encore dans les écrits d’un homme de génie dont les rêves excédaient les médiocres possibilités de son temps et de tout temps.

Rimbaud, à cet égard, c’est Baudelaire jeune à la puissance 10. Merci à lui ! Tout artiste qui prendrait Rimbaud pour modèle se ridiculiserait mortellement. Il n’est ni un modèle à suivre ni un contre-modèle mais un électron libre dans une époque en passe de détruire les hiérarchies sociales établies au profit de nouveaux liens plus contraignants encore : finie la servitude de la vie villageoise où tout le monde sait tout sur tout le monde, terminés les liens de dépendances féodaux, place aux patrons et vive la libre entreprise qui est d’abord prise sur des hommes et des femmes par l’accaparement des outils de production ! Leur concentration ira croissant durant tout le vingtième siècle, acmé du capitalisme débridé qui, en ce début de vingt-rt-unième siècle, est à la recherche d’un nouveau souffle dans la « mondialisation » forcée qui engendre haine et ressentiment à l’égard des nations européennes priées de rentrer à la niche.

Un souffle nouveau ? je n’en vois pas même les prémisses.

Inutile de se perdre dans de savantes analyses : si la gauche n’est pas encore morte, en tous cas, elle sent le pourri ; elle n’est plus que l’ombre d’elle-même parce qu’elle est à court d’idées et de héros. On a les héros et les idées qu’on mérite.

A droite, les idées ne manquent pas et ne manquent pas de séduire un électorat las des grands discours, mais le pragmatisme ne prévaut ni à gauche ni à droite ; c’est à croire que personne ne désire entrer de plein pied dans le vif des sujets de peur de se discréditer en agissant pour de bon. Plus personne n’a le courage de ses convictions, autant dire qu’à ce train-là les convictions ont tôt fait de pâlir comme linge au soleil.

Restent seuls maîtres à bord les aspirants gouvernants qui n’ont pas encore fait la preuve ; les démagos de service qui flatte le populo. On serait tenté de leur laisser prendre le gouvernail pour les voir se fracasser contre les amers écueils de la vie économique et sociale, mais non, on n’ira pas jusque-là, car nous qui voyageons à fond de cale, nous n’avons nulle envie de sombrer corps et bien à cause de ces cornichons qui se prennent pour des sauveurs du pays, à défaut de vouloir « sauver la planète » comme ces pipelettes d’écolos bon teint qui professent un catastrophisme déprimant.

 

En ma compagnie, lecteur, tu iras de surprise en étonnement et d’étonnement en surprise jusqu’à ce que, las de toute cette joyeuse tyrannie du Verbe, tu t’écries dans le silence de ton salon ou de ta bibliothèque : à mon tour, maintenant !

Tu auras éprouvé à même la chair des mots que nous avons en partage à distinguer le bon grain de l’ivresse jactante qui n’allume aucune petite flamme dans les yeux du lecteur.

La jactance étant la pire ennemie de la poésie qui s’avance, fière et grave autant que joueuse, frôleuse et volage, tu traceras ta propre route dans le sillage d’autres venus avant toi, et là, dans l’obscurité la plus noire, enfin arrivé au carrefour du diable, tu pourras, divergent-convergent, emprunter enfin la voie qui sera la tienne.

C’est dans le « désormais » de cette initiative qui tourne en chemin que tu dureras le temps d’un éclair qui s’abîmera docilement dans les mémoires d’autres que toi.

Un ami che,r que je n’ai jamais rencontré, l’a dit : L’éclair me dure.

 

Tiré à hue et à dia ? peu m’importe pourvu que cela qui m’occupe se porte à ma rencontre.

 

Tu peux déchaîner un torrent de logique en ratiocinant à l’infini, ce byzantinisme n’aboutira qu’à sortir la grosse artillerie de tes raisonnements, ; tu resteras dans ta pure logistique de rhéteur qui sort ses figures de style comme d’autres sortent leurs flingues en tirant sur tout ce qui bouge.

Tu ne débiteras que des âneries savantes, si tu ne t’en tiens pas à ton sujet.

Avant tout, méfie-toi de ce qui te paraît simple ! de quel droit, en effet, peux-tu décréter que l’objet de tes savantes remarques est simple, si tu ne l’as pas longuement examiné ou observé.

Quant à son apparent contraire, la flatteuse complexité, fais-en le tour prudemment, reste circonspect avant de t’aventurer dans des dédales cognitifs que ta pensée raisonnante fabriquera à l’envie à mesure qu’elle déroulera ses piteuses stances.

Tourner autour d’un sujet, démarche asymptotique qui ne dit pas son nom ? Tel un satellite en orbite qui finira, tôt ou tard, par s’écraser sur la Terre. Exit l’asymptote.

N’oublions pas que la véritable asymptote finit par s’éloigner de l’objet dont elle se rapproche dangereusement !

Cette absurde géométrie que je viens de décrire m’amuse beaucoup !

Entrer dans le vif du sujet, qui refuserait d’en tenter l’aventure ? C’est une belle et noble ambition, hélas vouée à l’échec.

Avancer à coups d’assertions impérieuses, c’est promouvoir ton goût immodéré pour les vérités apodictiques censées te garantir contre toutes les critiques. Belle illusion !

Nous n’avons que faire de tels promontoires rocheux qui se révèlent être du décor de cinéma hollywoodien. La gloriole n’est pas de mise, pas plus que nous apprécions la fausse modestie.

En assénant tes affirmations péremptoires, tu te tiens au seuil du dogmatisme qui sera fatal à ta pensée.

Franchiras-tu le pas en débitant une pensée oraculaire soi-disant révélée ?

Arrivé dans le naos de ta pensée, tu ne verras jamais le saint des saints auquel tu aspires. Ce ne seront qu’escaliers en colimaçons, couloirs à n’en plus finir, antichambres et vestibules sans fin qui t’éloigneront toujours plus de la radieuse architecture antique.

Tu ne penseras plus, tu raisonneras tout au plus en ergotant à l’infini en théologien de ta propre pensée sur des vérités soi-disant révélées.

Tout ce qui tombe du ciel… cette manne céleste… méfie-t-en comme de la peste !

La méfiance souveraine, l’accueil délirant de ce qui sauve : voici les deux extrêmes d’un arc que pas même Ulysse ne saurait bander ; tes prétentions à dire la vérité tourneront sans cesse autour de la radieuse Pénélope qui, elle, se souvient en détissant ce qu’elle tissa la veille, l’attente enveloppée d’oubli qu’elle pratique étant le meilleur garde-fou qu’elle puisse opposer à ses prétendants. 

Tu te plieras en quatre pour produire des raisonnements subtils, tortueux à l’extrême ; tu pratiqueras une sorte de contorsionnisme de la pensée.

Ta pensée fera des nœuds et des boucles à n’en plus finir que personne n’aura envie de dénouer pour les déjouer.

Trancher un tel nœud gordien savamment ourdi par toi ? Ce n’est même pas la peine ! On se détournera de toi, point à la ligne. Hors de question de tomber dans l’hybris d’une conquête alexandrine dont tu es, à ta façon, le piètre avatar.

Mes doutes en dents de scie dessinent une lame peu tranchante mais qui déchire les chairs.

Cette sorte d’arme d’hast à usage personnelle me rend toujours de grands services, m’évitant les querelles à fleurets mouchetés ou non, les bagarres aux sabres, et toutes les déclinaisons de la polémique qui dégénère en pugilats sous l’œil amusé des badauds venus assister à un spectacle haut en couleur. Il faut s’ingénier à décevoir ce genre de public parasite par tous les moyens.

Touche juste, ne serait-ce qu’une fois, et tu seras réduit au silence par ta propre faconde. 

La savante énigme… Bel oxymore. D’aucuns s’ingénient à en interdire l’accès, d’autres se ruent sur elle, tous n’ont qu’une seule idée en tête : faire barrage à la rage de vivre. Ce sont des religieux conscients des considérables pouvoirs qu’ils peuvent tirer de cette situation qu’ils ont contribué à créer ou des esprits religieux qui s’ignorent, plus dangereux encore.

Une théophanie - la pensée en acte, le Verbe sacré émanant du dieu révélé à la pensée humaine - est chose tout humaine. Elle souffre toutes les discussions sans fin qui amènent les hommes à s’affronter sur des champs de bataille bien concrets ou, plus lâchement, à poser des bombes dans des lieux publics.

 

Le concept souriant, et pourquoi pas le concept hilare, où pourrais-je donc le rencontrer, faire sa connaissance et rire de bon cœur avec lui au moins quelquefois ?

J’ai rêvé, adolescent, d’une pensée assez souple, assez fluide, une pensée tout à la fois espiègle, vif-argent et souveraine, capable sans sourciller de dérider les moins souriants d’entre nous. Ce faisant, je me projetais dans un avenir indécidable, j’avais hâte, non pas d’être adulte - à quinze ans, je l’étais déjà dans une large mesure compte tenu de mes dons - mais considéré comme tel, et non plus traité en enfant ou en adolescent attardé, comme il était encore de bon ton de le faire dans les années 70.

Oui da, un concept souriant. En dépit du tragique qui nous cerne.

Cette pensée existe, ces pensées existent ; je les ai rencontrées chez Bataille, Blanchot, Nietzsche, Derrida…

Deux événements m’auront tôt ouvert l’esprit sur ce que je pouvais attendre du monde : la shoah et la mort prématurée d’un être cher. Tout mon acharnement à plonger tête baissée dans la poésie et la musique vient de là : contre-feu, contre-feu !

Je n’ai évidemment rien contre les sciences ; au lycée, j’ai beaucoup aimé ce qu’on appelait à l’époque encore les sciences naturelles, j’y excellais de bon cœur, sans du tout me forcer.

A mon grand regret, je ne comprenais que couic aux mathématiques, tandis que j’excellais « en français » ; il m’aura fallu quelques années pour passer de l’état provisoire d’excellent élève (et même d’élève modèle qui n’élevait la voix que pour débloquer une situation pénible en classe et ainsi donner in extremis un coup de pouce à tel ou tel professeur) à celui, instable, instable mais résolu d’écrivain et de poète. Entre temps, ce fut une bagarre de tous les jours contre la connerie ambiante, et les dieux savent combien elle est prégnante tant chez les élèves et leurs parents que chez certains professeurs bas de plafond !

Durant une semaine, j’ai pris en main le cours sur la Traumdeutung de Freud à la demande expresse de ma professeure de philosophie, Madame Brenet dont je salue ici la mémoire. Ce fut la première fois où j’eu l’occasion de pleinement donner de la voix de manière ample et soutenue ; ce n’est que plus tard que d’aucuns se plurent à me reconnaître un talent oratoire indéniable que je regrette d’avoir trop rarement sollicité. A présent, taiseux au possible, je parle peu, et quand « ça parle dans ma tête », c’est toujours de manière pondérée, calme mais fluide, comme si, déjà, j’écrivais ce qui me venait à l’esprit. Du coup, parler ne me tente guère en dehors des affaires courantes, je préfère de loin écrire ce qui me tient à cœur.

Être au centre de l’attention et même la raison d’être d’un groupe, j’ai aimé cela, puis m’en suis lassé. La solitude est mon bien le plus précieux que je ne veux aliéner sous aucun prétexte. Je ne conçois de prise de parole forte, indignée et prompte à se livrer à des imprécations que pour défendre plus faible que moi.

 

Je hais la misère, jamais les miséreux.

Paris ne s’est pas fait en un jour, nous disent celles et ceux qui nous invitent à patienter encore et encore, et moi de leur répondre qu’il ne faut que quelques heures pour tomber dans la misère et une vie entière pour parfois ne pas en sortir.

 

Jean-Michel Guyot

11 septembre 2023

 

 

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