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 Article publié le 11 février 2024.

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Le moment est critique. Pris bout à bout, fractionné à l’infini, le serpent de mer se reconstitue ; ses anneaux s’insinuent jusqu’au fin fond des mers nombreuses, et le pire, c’est que « tout cela » passe inaperçu.

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C’est que le moment de la critique est négligeable en regard de l’œuvre qui s’empare d’elle jusqu’à lui faire ressentir dans son écriture seconde-secondaire sa profonde inutilité, l’œuvre se passant allégrement d’un commentaire exogène, puisqu’elle est le lieu de la mise en mots de sa propre énigme, scénographie indissociable de sa graphie, l’interprétation des sèmes disséminés dans l’œuvre en train de s’élaborer intervenant au moment même où le sens travaille l’auteur au travail, exigeant de lui abandon et esprit critique dans le même temps.

C’est vrai que de l’eau a coulé sous les ponts depuis la parution des Fleurs de Tarbes de Jean Paulhan…

Les termes du débat, sans doute trop complexes pour la majorité du public dit cultivé, ne sont jamais parvenus, à fortiori, à s’imposer sur la scène médiatique grand public.

La critique littéraire télévisuelle telle qu’actuellement pratiquée de vive voix en présence d’invités « triés sur le volet » (selon quels critères ? télégénie, compatibilité avec l’air du temps, « douce » pression des maisons d’édition ?) se présente comme une aimable invitation à la lecture d’ouvrages « plaisants », « profonds », « passionnants », selon.

C’est désormais la mise en scène de la voix et de la parole - le plus souvent pauvre et plate - de divers écrivains mâles et femelles rassemblés sur un même plateau de télévision qui fait office de captation de bienveillance, les auteurs invités étant engagés dans une sorte de performance scénique durant laquelle il s’agit pour eux, dans un laps de temps assez bref, de « faire leurs preuves », d’être convaincants en étant drôles et spirituels, parfois jusqu’à la bêtise.

Récits historiques et témoignages font florès : on veut de l’authentique, autant dire du brut et du glauque aisément compréhensibles, dont on peut faire son miel, sans trop se casser la tête. Dans cette cuisine psychosociologique, la question politique - du politique et de la politique : les mots de la cité mis en crise dans la cité des mots - n’est pas l’ingrédient central, autant que je puisse en juger, mais traitée à la marge, comme si l’action politique, extérieure aux propos sur l’état de la société française et sur l’état du monde, n’avait droit de cité qu’après-coup : aux politiciens professionnels d’agir en conséquence des faits exposés : viols, incestes, magouilles financières, pratiques maffieuses, etc…

Ecriture dès lors engagée dans un processus de dissolution de la question politique, alors même que la littérature, telle que je la conçois, rature le moment politique pour mieux le circonscrire, pour mieux le plier à sa volonté de vérité toujours à la recherche d’elle-même, loin des slogans simplistes par nature, loin des « il n’y a qu’à » qui fleurissent sur les bouches gourmandes des candidats de tous bords à la « magistrature suprême ».

L’état du monde… Une telle notion, bancale par nature, tend à passer sous silence le devenir-monde du monde qui déjoue tous les pronostics basés sur des diagnostics inévitablement partiels et partiaux, le « chercheur » privilégiant ce qui retient son regard, son regard étant, quant à lui, orienté par ses convictions politiques qui n’ont aucune prise sur les événements, n’offrent aucune clef de compréhension fiable.

Une littérature capable de s’ouvrir à des réalités insoupçonnées via une patiente recherche de sens à travers le maquis baroque des mots en liberté, voilà ce qui me semble cruellement manquer de nos jours. Impression quelque peu injuste, parce qu’entachée de myopie : en effet, à y regarder de plus près, de grands auteurs existent, ignorés du grand public et du ramdam médiatique. Je ne citerai pas de noms ici, n’ayant aucune prétention à l’exhaustivité.

Il suffit de se promener dans la Ral,m pour en apercevoir quelques-uns, et non des moindres, sans oublier les auteurs et autrices des œuvres desquels elle se fait l’écho par l’action vigoureuse de Patrick Cintas qui, avec opiniâtreté, sagacité et un sens critique aiguisé, s’emploie à mettre en lumière le meilleur de la création littéraire contemporaine, je veux parler de celle qui s’impose par la vigueur et la rigueur de sa propre force créatrice qui n’est ni « underground » ni exposée à tous vents sur la place publique occupée depuis belle lurette par « les faiseurs et les tâcherons ».

Le chercheur en question, qui questionne la pertinence de la question de la recherche autant que l’objet de sa recherche, c’est tout en même temps le critique et l’écrivain, tout autant l’écrivain que l’universitaire. La vérité du fait littéraire est pour ainsi dire diffractée. A nous d’en apprécier les nuances à travers le prisme de notre culture : nécessité et contingence, histoire personnelle et état de la recherche, époques et périodes diversement appréciées, condition humaine et position sociale informent une manière de voir, configurent l’art et la manière d’être et de sentir ici et maintenant, sachant qu’il s’agira toujours de battre en brèche tout déterminisme social et économique, en se jetant dans la mêlée des mots qui absentent le monde, avec la ferme intention d’y démêler le vrai du faux, l’authentique de l’artifice, et ce en projetant sur la toile de fond du monde absenté non pas une vision mais une façon de sentir et une manière de donner à ressentir des mouvements de pensées, des intuitions, des idées fixes, des obsessions, des regards croisés, des faits et gestes, des paroles et des actes inventés de toutes pièces pour notre bonheur.

Critiques et universitaires ne travaillent pas sur le même corpus : au critique revient la tâche ingrate de commenter « l’actualité littéraire » au sein de laquelle il tente, avec ses faibles moyens, de distinguer le bon grain de l’ivraie, tandis que l’universitaire ne s’intéresse qu’aux œuvres consacrées auxquelles il s’attache de manière obstinée en spécialiste d’une œuvre ou d’un courant littéraire. Mais tout cela est bien connu. Passons !

Qu’arrive-t-il, lorsque le romancier se fait critique des œuvres d’autrui, plonge tête baissée dans les profondeurs d’une lecture labyrinthique ? Il est à la recherche des conditions de possibilité de l’œuvre littéraire qu’il expérimente de deux points de vue opposés : comme romancier, il est à l’œuvre, au plus près d’elle, mais constamment menacé d’en être expulsé en tant qu’élément étranger au déroulement de l’œuvre et comme critique, extérieur à l’œuvre, il tente de s’y frayer un chemin en quête de l’énigme mouvante qu’elle représente à ses yeux.

L’œuvre se présente à l’auteur comme la fuite en avant de ce qui vient au-devant de lui, tandis qu’elle représente « un quelque chose » qui ne se situe ni en-deçà ni au-delà des mots mis en jeu dans l’œuvre qu’il aborde comme on part à l’abordage d’un navire chargé de richesses dont on ne s’explique pas la nature ni la provenance.

La fuite en avant de ce qui vient au-devant de lui…

Distinguer le bon grain de … l’ivresse !

Ecritures entremêlées, critique en crise et récits en crise, (et non récits de la crise), je vous aime.

Are you experienced ? Have you ever been experienced ? Yes, I have !

 

Jean-Michel Guyot

1 février 2024

 

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