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 Article publié le 10 mars 2024.

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Ici a commencé pour moi ce que j’appellerai l’épanchement du songe dans la vie réelle. À dater de ce moment, tout prenait parfois un aspect double, – et cela, sans que le raisonnement manquât jamais de logique, sans que la mémoire perdît les plus légers détails de ce qui m’arrivait.

Gérard de Nerval, Aurélia

*

Je n’écris pas même quand bon me semble. Nul caprice dans ce qui n’est en aucune façon une démarche volontaire et consciente. Je n’œuvre à rien, ne m’illusionne en aucune façon sur une quelconque œuvre à bâtir. En d’autres termes, rien de prémédité, aucun projet digne de ce nom.

En ce cas, puis-je reprendre à mon compte la formule de Nerval devenue célèbre et parler à mon tour d’épanchement ?

Avant de lire - un peu - Nerval, j’avais entendu parler d’épanchement de synovie, « à la faveur » d’un accident de chantier durant lequel mon cousin s’était vu démettre la rotule par un malencontreux sac de ciment tombé d’une brouette sur un de ses genoux.

J’aime ce terme d’épanchement de synovie qui entretient un rapport de complicité cachée avec la notion avancée par Nerval, notion imposée par un vécu que l’on qualifierait actuellement, sans doute, de schizophrénie.

Tout peut prendre, en effet, « un aspect double », et c’est précisément à ce moment précis que l’envie d’écrire me vient. C’est comme un sursaut vital, une sorte de fierté qui m’anime et me pousse à relever le défi du temps, je veux dire, de ce que le temps révèle et tend à effacer dans le même temps ; écrire alors, à vif, à chaud, c’est tenter de sauver un ressenti, une ambiance, un moment de grâce où quelque chose semble se révéler à moi.

Autant dire que c’est l’échec assuré. Rien n’y fait : je m’approche de l’énigme qui se dissout progressivement dans les mots qui me viennent, non que le texte ne me satisfasse pas mais un hiatus demeure toujours entre l’écrit final et le processus d’écriture, proche de l’euphorie, une euphorie contrôlée, une sorte de transe sans tremblement ni spasmes « mystiques ».

Au fond, le processus d’écriture m’intéresse plus que le résultat final. Je persévère malgré l’échec final parce que j’aime écrire : je suis, dans ces moments-là, le seul maître à bord, mais c’est peut-être la capacité de faire coexister divers points de vue qui justement me manque pour approcher au plus près cette altérité qui m’attire, me taraude mais aussi m’effraie quelque peu, sachant que je supporte mal la présence d’autrui tant dans ma vie quotidienne que dans ce qui s’ouvre à moi, lorsque j’écris.

De là à m’imaginer qu’une carence émotionnelle est à l’œuvre dans ce que j’écris et lorsque j’écris, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas : l’accueil du monde comme une nouvelle venue à moi du monde et au monde, une renaissance opérée par la magie du Verbe, tout cela oui, et plus encore que je ne saurais dire : un trop-plein, en fait, qui absorbe toutes mes forces tendues vers un but, un seul : capter, plutôt que capturer, ces instants par nature éphémères qui me révèlent à moi-même.

Dilution de l’égo aussi bien.

Cet autre qui devient « je », c’est aussi bien la poésie au moment où je m’y adonne corps et âme.

Moments où les mots prennent le relais de mon corps défaillant, s’imposent à ma conscience, me dictent ce qu’il y a à dire et à ne pas dire au moment où se présentent à moi images et souvenirs qui n’appartiennent alors encore qu’à l’avenir de ce qui est en train de se jouer dans l’écriture qui, bientôt, tombera au passé.

Semailles oubliées, emblavements si nombreux, là, en plein désert.

Il y a des moments de découragement, c’est indéniable, et c’est là que la lecture intervient comme une issue qui relance le processus d’écriture. Je m’ouvre à la grâce que dispensent les mots des autres, hommes ou femmes, qui, eux, me semblent être parvenus au seuil de l’indicible. C’est cette puissance inhérente à diverses écritures qui me relancent, me donnent envie d’écrire en dépit du fait que le résultat, je le sais d’emblée, me décevra.

Mon obstination est celle des vagues marines dont j’espère toujours qu’elles accoucheront d’une Vénus nouvelle. Ecriture anadyomène, en quelque sorte ! D’où ma fascination pour un fragment de Hölderlin intitulé par ses éditeurs posthumes « Comme aux côtes marines / Wie Meeresküsten ».

Ecrivant, je me situe clairement non pas entre ciel et terre, mais entre terre et mer, cette zone intertidale, notre Mère à tous et qui ne cesse de me fasciner.

 

Jean-Michel Guyot

1er mars 2024

 

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