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Pissarades
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 Article publié le 31 mars 2024.

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Dans le même ordre d’idée, lire [La Selle]

 

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Les gars pissent debout, les filles s’accroupissent,

Les chiens lèvent la patte, on peut les envier,

Les oiseaux en plein vol baptisent nos auspices,

Et moi dans vos crincrins, j’expulse du gravier.

 

J’entends le sonneur des matines parisiennes1,

Ma muse astique les colonnes Rambuteau2,

Pilier de mastroquet, hanteur de vespasiennes,

J’urine allègrement le vin de nos coteaux.

 

J’en aurai pissé des bocks et des bocks de bière,

Vu, de mon œil, vu des mondes par mes goulets,

Poètes de ma nuit, vous êtes tous en bière,

Je parle aux goélands, sur la langue, un galet.

 

On te doit, Vespasien, outre les pissotières,

L’insigne Colisée, consacré par Titus,

Ton fils. On s’enfonce à l’envi dans la matière

Fécale, on batifole entre les détritus.

 

L’argent n’a pas d’odeur, les pissoirs en ont une,

J’ôte ma pince à linge et je me défile où

L’on pissouille, pissote et pisse à la fortune

Des pots de chambre, des jules, des bourdalous3

 

J’en ai peint des yeux au fond des seaux hygiéniques,

C’est une blague faite aux jeunes mariés.

Tout ce que je ferais, je le ferais sans nique

De mèche4. Je l’ai cru, cœurs et culs cariés !

 

Les manitous, les gros bonnets, les hérétiques

En amour5, les bouchés à l’émeri, les oints

Du Seigneur, Jésus, rois et ecclésiastiques,

Ainsi que nous tous, ont leur fétide besoin.

 

Le garçonnet lâcha son eau sur une mèche,

La poudre de salpêtre a pompé le bouillon,

Bruxelles sauvée chante à tue-tête et s’émèche

Et le Manneken pis asperge les couillons.

 

Gouin6, sagouin7, à pisser contre vents et marées,

À la poupe, à la proue, tu mouilles ton caban,

Tu n’as pas su rester au chaud dans ta carrée,

Te voilà dans la poisse entre vergue et raban.

 

À Noël, la Marie flaque sa côtelette…

Il est né, il est né le divin merdailleux !

Fière, entre un pissat d’âne et de bœuf, elle allaite

Son avide poupard, n’est-ce pas merveilleux ?

 

 

Cette manie de tout soumettre à la balance,

De se faire toujours servir sur un plateau

Une grosse vérole ou une chaude-lance ?

De toutes façons, tout vient trop tard ou trop tôt.

 

Je pisse par dépit dans une mandoline,

Et sur les becs-de-gaz pour les faire fleurir,

Rien que d’y penser, j’en ai la chair de géline,

Les passants, les badauds, tous me veulent férir.

 

Est-ce du falerne, est-ce de la malvoisie ?

C’est une Vierge qui me rince le lampas !

Je l’affuble de maints prénoms de fantaisie

Et blasphème en râlant de l’envie au trépas.

 

Au Vatican, la pisse et les paroles puent !

Les asperges, tudieu, celles de Bassano8 ?

On nous chasse… L’esquine et les côtes rompues,

Ma muse et mézigue en charpie, piano, piano,

 

Rebroussons le chemin de croix qui mène à Rome

Avec ses pèlerins, ses gueux, ses saints pissards,

Ses marchands d’eau bénite et d’entêtants aromes,

Ses jaunâtres ciergiers et ses halliers poissards.

 

 

 

Je suis un pisse-froid et un pisse-vinaigre,

Un modeste glaneur, un Auguste Maquet9

Qu’un mulâtre Dumas pourrait prendre pour nègre,

Un retrousseur d’Iris, un tourneur de bouquets.

 

La vie ? Nom d’une chienne, on lansquine à six mètres,

Le jet perd de sa force, on tache nos souliers,

On se pisse dessus… Vieillir, c’est se soumettre,

C’est devenir des peaux de chagrin à lier.

 

Enfançon, j’ai été pisse-au-lit, pisse-aux-brailles…

Mère, le temps béni des pipis, des pissous,

Il n’est plus de saison le fruit de tes entrailles.

La grenouille est encore emplie de petits sous.

 

Je suis un prétendant de la reine Gillette10,

Son poète de cour sous ses coups d’encensoir,

Rien que pour son plaisir, je pisse des violettes,

De l’encre céladon, des lames de rasoir…

 

Si je saigne, sue, bave et casque goutte à goutte,

En revanche, je pisse en diable au bénitier.

Plus ça va, moins ça va, le futur me dégoûte,

Nous n’aurons eu que des jalousies de métiers.

 

 

 

Je me souviens de mes copieuses pissées

Dans la Seine, du Pont-Neuf, de la tour Eiffel,

Et du quai de Conti. Perdu dans mes pensées,

J’entends les patineurs d’Émile Waldteufel11.

 

J’ai porté dans mes bras aux vogues 12 de villages

Ma musique de bal, ma romance à frissons.

Ça croupionne, ça lampe et puis ça se soulage

En hâte sur les murs, derrière les buissons.

 

Je pisse bleu, blanc, rouge, enfants de la patrie,

Au cul de ceux qui font bon marché de la peau

Des autres, de ceux qui fanfarent les tueries

Aux monuments aux morts, rangés sous des drapeaux.

 

Comme les journaleux, j’allonge la copie,

Je me paye à la ligne en pissant du récit

Que je charge d’épis, d’épithètes impies,

Mes phrases, Madelons, s’en vont à Commercy.

 

Elles font des détours et, parfois, me reviennent

Sans tambour, ni trompette, épuisées, sans ressort,

Même près de grimper mes vénus vésuviennes,

Je reprends mon bâton et mon coquin de sort.

 

 

Robert VITTON, 2024

 

Notes

1 - Matines parisiennes : massacre de la Saint-Barthélemy.

2 - Colonne Rambuteau : urinoir introduit par le préfet de la Seine Claude-Philibert Berthelot de Rambuteau, en 1834.

3 - Bourdalou : vase de nuit de forme oblongue.

4 - Sans nique de mèche : sans complice.

5 - Hérétique en amour : pédéraste.

6 - Gouin : matelot de mauvaise tenue.

7 – Sagouin : espèce de singe ; ici, homme malpropre, débauché.

8 - Asperge de Bassano : asperges blanches de Bassano del Grappa, en Vénétie.

9 - Auguste Maquet : romancier et dramaturge français (1813-1888) surtout connu pour sa collaboration avec Dumas père.

10 - La reine Gillette : grisette qui fait la grande dame.

11 - Les patineurs d’Émile Waldteufel : Les patineurs, 1882, œuvre de ce compositeur français (1837-1915), maître de la valse.

12 – Vogue : fête annuelle des villages. 

 

 

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