Tropismes et paysâmes
CADUCITÉ
Même le palais brûla
jusqu’à la pierre -
il avait été arbre
trône et tentures
efflorescence violine
tendue dans le noir
- il en reste l’os
le peu le sec.
26/11/03
CLICHÉ
C’est un nid de soleil
entre nuage et palme
où rebiquent des brins de laine -
une bourre de lumière sans couleur
- dessous un trait de rouge
juste un rais de sang
pour aviver.
26/11/03
MATIN EN ALTITUDE
Quelques flocons épars
dans l’air qui pince
et un désir de neige
naît avec le froid -
lourde et ronde calotte
la sombre colline devant
ferme le ciel
enterre lieu et moment
- dans un frisson.
26/11/03
EN FORÊT
La raison de la route
est cette échancrure
dans le bois noir
ouvrant à la lumière du mont -
cette rude allée
taillée au cordeau
entre des pins altiers
la raison de nos pas.
27/11/03
UN PONT
Une rectitude
entre deux buissonnements
il passe pour faire passer -
pont pour le pas seulement
- planches mal équarries
son bois périssable marche
sur le vertige des eaux
entre deux bouillonnements.
28/11/03
FENÊTRE
L’ombre est dedans
dehors le jour du monde -
la fenêtre donne sur le fleuve
divise l’outre-rive
en miniatures disjointes
- cloître-musée où confèrent
chaire et lutrin -
sous la croisée en lumière
un rang de rouges géraniums.
28/11/03
LA CROIX SUR LE TALUS
Au bout du champ
cette croix à taille humaine
en léger surplomb -
au nœud des chemins creux
- la pierre fruste et usée
a incorporé la figure
et Il y est sans y être
sans paraître.
29/11/03
D’UN BALCON DANS LES HAUTS
Tenir d’un seul regard
tout le petit village aux toits plats
mussé dans la boucle de l’oued
empli lui-même à ras bords
de palmiers drus et verts -
joie de qui domine un instant
l’abondant et le rare
la fertilité du sec.
30/11/03
LAC NOIR
Sous le vaste cirque des monts
un petit lac d’altitude si profond
que ses eaux en paraissent noires -
retenue mi-naturelle mi-ouvrée
comme verrouillée par une maisonnette
posée au bord de l’abîme
- l’on s’épeure l’on s’enchante
d’une telle instance.
30/11/03
SOLEIL D’HIVER
Il y eut jusqu’à l’horizon
neige et gel violacés
sur ce champ très plat -
avant que le soleil s’emparât
de l’arbre-maître pour y flamber
- blanc comme l’unique -
seuls - devant -
trois arbustes filiformes
contestent cet aveuglement.
30/11/03
LE PORT
Plusieurs flaques-miroirs
- à marée basse -
dédoublent les carènes
lient le ciel au ciel
par la pointe des mâts -
deux mouettes cherchent pitance
- l’épais tapis de goémon
sent la vie à plein nez
à pleins poumons.
1/12/03
LE CERVIN
À cinq heures du matin
- en été -
le mont s’érige
vierge de tout - encore -
il a tranché le sommeil
du jeune homme qui court
vers lui bras ouverts -
à sept heures il est trop tard.
1/12/03
POINTE DU NEZ
Humer le vent du large
baisser la tête sur la platitude
sans pareille de la mer -
le bleu du ciel monte
dessus le bleu des flots
en une unique plage -
en une page souveraine
- infiniment monotone.
2/12/03
PIERRE DU CYGNE
Le palais exhausse avec lui
les racines du roc
il porte vers le ciel
les lignes de terre -
le petit d’homme se tient
- dessous -
les yeux levés
non écrasé - soulevé.
2/12/03
L’OUVERT
Dans ce mur aveugle
qui scelle une haute voûte
trois percées en ogive
ouvrent leur pur contour
sur d’autres voûtes percées
là-bas - au-delà de la cour
qui ouvrent elles aussi - - -
la plus exacte voie.
3/12/03
DUNES
C’est du sable
promené amoncelé sculpté
par vents pluies marées -
c’est ombre et lumière
formant figures -
des lois altières et minutieuses
saisissent de beauté
notre cœur géomètre.
5/12/03
QUATRE-CANTONS
Nager - en plein été -
dans le lac froid
sous des maisons fermées
sous des monts brumeux
sans sommet -
avec pour traîne
les branches des noisetiers
et tous leurs chatons verts.
7/12/03
WASSERFALL
Cette bruine n’est pas du crachin
ni l’erreur d’un arroseur imprudent -
non - à flanc de falaise
faisant reluire le roc -
le poudrin d’une source
nichée avec les aigles
qui ainsi s’échevelle
en l’idée même de fraîcheur.
8/12/03
SILENCE ANCIEN
L’encre noire
- griffue fourchue -
racine le blanc
le tient en l’air
l’éclaire
- en silence sous
l’insonore ramée
du tonnerre.
19/4/04
VERTU ACTUELLE
Inapparent, l’homme de mérite
car il apparaît sans paraître
- serein sincère transparent -
il pose ses mots sans méprise
honorant le blanc du papier
- ellipse lacune respir -
faisant silence
à fleur de page.
20/4/04
PYRAMIDES
Le vent du désert tient le ciel
- on respire du sable on en mâche -
toutes les pierres de Guizah
bien émoussées déjà
offrent aux yeux
- qui se plissent et pleurent -
le spectacle nu
de leur sempiternel abrasement.
21/4/04
PIERRES MUSICALES
Tholos de Delphes
À l’entour du monument brisé
de larges disques épars
- tronçons de colonnes -
au frapper, il s’en élève
une longue note claire
pour chacun différente -
qui saura reconstruire
la mélodie de la Rotonde ?
23/4/04
HORS
Dans quel monde aboient-elles
les lionnes de Délos ?
Blanches émaciées
elles restent sans soutien
sur l’île où l’on ne peut
naître mourir dormir -
la vie c’est ailleurs
par-delà la mer rudoyante.
24/4/04
L’ORÉE
Une ligne de pieux
- espacés inégaux acérés -
sépare la case qui se ferme
de la plage aux pirogues
indéfiniment ouverte -
serpents en liesse dans le jour
ils appellent la limite
et la font danser sur le sable.
25/4/04
À DELPHES
Quittant subrepticement
l’hôtel je fus boire
tout seul à Castalie -
superstition vieille
- la lumière était jaune
sous le Parnasse et le bassin
presque à sec - au retour
tout le monde m’attendait.
25/4/04
Serge Meitinger