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Au bout d' ma rue
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 Article publié le 15 septembre 2013.

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Au bout d’ma rue, j’tiens les grand’s orgues

-Saint-Saëns les tint à Saint-Merri.

-J’m’en tap’ des cloch’s confit’s en morgue.

Ma mus’, vêtue d’mes derniers cris,

M’alpague en plein mitan d’la sorgue

Et m’tir’ d’un affreux pot-pourri.

 

Au bout d’ma rue, y’a d’la rengaine

-Vals’-musett’, grosse et grass’ java,

Rumba sans bas, samba sans gaine,

Fredons, vocalis’s des divas…

-Sur les faux pas, morgué, morguenne,

Des matassins d’mes canevas !

 

Au bout d’ma rue, j’trouss’ des histoires

-J’n’en fais pas toujours des romans.

J’me prête aux interrogatoires

Et j’pinaille autour d’mes tourments

Sur trois roues, à pattes, à pétoire…

J’couds les bons, les mauvais moments.

 

Au bout d’ma rue, j’brass’ des idées

-Pourtant j’en suis sans cesse à court - ,

Des idées noir’s, neuv’s, démodées,

Foll’s, qui n’me sont d’aucun secours.

J’en cueille en or dans mes bordées

D’moussaillon d’eau douce au long cours. 

 

Au bout d’ma rue, des troup’s s’enlisent

- Guerr’s d’hier, d’hui, d’six jours, d’mille ans.

Mes baguenaud’s s’mélancolisent,

 J’y crois’, songeur, les bras ballants,Goya, Callot, Chagall, Dalize,

Dorgelès, Capa, Mac Orlan…

 

Au bout d’ma rue, c’est l’aventure,

Sac au dos, j’y cours l’monde entier.

J’y trouv’ cothurne à ma pointure,

L’allant pour mes petits métiers.

Devant chez moi, ma vieill’ voiture

Rêv’ d’refaire un tour dans l’quartier.

 

Au bout d’ma rue, j’ai l’chic pour mettre

La fin avant l’commencement,

Pour gerber des pros’s et des mètres,

Pour déglinguer les boniments,

Pour zigouiller les dieux, les maîtres

Et m’coucher dans leur testament.

 

Au bout d’ma rue, j’tends les sébiles,

Les pogn’s en conques, les bols, les troncs

D’la Misère aux fées, aux sibylles,

Aux galetteux… J’essuie son front,

J’crach’ ses épong’s, j’décharg’ sa bile…

La pauvrett’ m’en doit d’fiers étrons.

 

Au bout d’ma rue, traîn’ mon enfance

-Des écorchur’s, des coûps, des bleus,

Des pièces au cul comm’ des offenses.

Dans ses décors miraculeux,

Un clébard prenait ma défense,

J’y calenchais tuberculeux.

 

Au bout d’ma rue, j’vaguais dans Taine,

Dans Sue, dans Defoe, dans Scarron…

J’me trempais nu dans la fontaine

Où grimaçaient des mascarons.

J’y fracassais des capitaines .

Ma mèr’ s’en faisait du mouron.

 

Au bout d’ma rue, tourne un manège

-Biclous, teufs-teufs, dadas, pimpons-

Au vent, sous la pluie, dans la neige…

Et ron et ron, gros patapon !

Comment, mais comment m’y prenais-je ?

La prochain’ fois, j’aurai l’pompon.

 

Au bout d’ma rue, y’a l’temps qui taille

En pièc’s nos bell’s, nos sal’s saisons.

J’n’ai plus à choisir mes batailles,

Mes barricad’s, mes horizons…

Plus un corbeau n’me ravitaille

Et j’n’ai plus tout’ ma déraison.

 

Au bout d’ma rue, j’cueuill’ des violettes

Et des pavots entr’ les pavés,

Pendant qu’la Mort fait des emplettes

Dans mon poème inachevé.

J’entr’ dans des rond’s d’joyeux squelettes.

J’ne suis pas sûr d’avoir rêvé.

 

Au bout d’ma rue, j’maqu’ des frangines

Qui vid’nt les bourg’s et les soldats,

Des garçonnièr’s qui s’déblue-jeanent

Pour trois roses, pour un réséda.

J’entr’ouvre, aux grimbich’s qui ginginent

Des hanch’s, mon cœur et mon barda.

 

Au bout d’ma rue, des angelottes

Tienn’nt la chandelle aux amoureux.

Quand les âm’s trist’s s’amatelotent,

C’est qu’le fond d’l’air est doucereux.

Et j’vais, et j’viens, dans des parlotes

Où j’imagin’ Sisyphe heureux.

 

Au bout d’ma rue, tout’s mes trouvailles,

Tous mes trucs, tous mes écheveaux

D’ressouvenirs, d’pensées m’travaillent

Et jouent des tours à mon cerveau.

Quand y’a plus rien plus rien qui vaille,

J’fie mon calame au l’caniveau.

 

Au bout d’ma rue, couaqu’nt fanfares,

Couards chorus municipaux,

Méchants klaxons et gyrophares.

La putain d’Patrie dans la peau,

Des fêtards clinquantés s’effarent

Sous les lampions, sous les drapeaux.

 

Au bout d’ma rue, crân’nt des barrages

-Fris’s barbelées, pieux, miradors,

Flicards en laiss’, chiennaille en rage

Aux trouss’s d’la vermin’ des monts d’or-

Dur’s, des morpions d’la mèr’ Courage -

Aux soleils noirs d’mes thermidors.

 

Au bout d’ma rue, les banderoles,

D’mes vieux aminch’s à l’unisson.

L’rouge et l’noir y prenn’nt la parole

Sur la vendang’, sur la moisson.

La Liberté, chiffe en corolle,

Tétins à l’air, pouss’ sa chanson.

 

Au bout d’ma rue, j’vois Jean-Baptiste

Et tous les autr’s sur mes tréteaux

-Des savants fous et des artistes

Qui crèv’nt trop tard, qui crèv’nt trop tôt.

Ils n’emport’nt qu’un drap en batiste,

J’dispens’ les groll’s et les manteaux.

 

Au bout d’ma rue, j’plains ma jeunesse

Qui s’fringue à mort chez les fripiers.

Ell’ croit savoir tout’s les finesses,

Déjouer l’embûche et l’guêpier…

Et tous ces gens qui m’reconnaissent,

Ont-ils bon œil, ont-ils bon pied ?

 

Au bout d’ma rue, j’abats mes brèmes.

Ils sauront à quoi s’en tenir,

Ces seins, ces fess’s, ces fac’s d’carême

Qui s’voil’nt sans dout’ pour nous punir

D’renoncer au baptême, au chrême…

J’n’aurai pas à y revenir.

 

Au bout d’ma rue, tourn’nt les turbines

Et les bobin’s du septième Art.

J’ai des doublur’s dans mes combines

Et des starlett’s dans mon plumard.

Trucideur à gag’s, j’me débine

Au bras d’un’ script au nez camard.

 

Au bout d’ma rue, gis’nt la barcasse,

L’fanal, les ram’s du pèr’ Caron.

L’nocher des morts n’est pas loquace

Sur les courants de l’Achéron.

Quand plus rien n’va, tu vois, j’me casse.

Ça m’coûte un’ rouillarde et un rond.

 

Au bout d’ma rue, j’emball’ des quilles,

Des saint’s n’y touch’nt et des putains. 

J’planqu’ mon bissac et mes béquilles.

J’dérouill’ mon grec et mon latin.

J’suis l’roi d’l’esbroufe et d’la resquille.

Ici, tout marche au baratin.

 

Au bout d’ma rue, j’perds contenance.

J’en ai plein l’dos d’tous ces musards,

D’tout’s ces amphor’s qui n’ont qu’une anse,

D’tous ces pierrots qui sèch’nt l’bazar,

D’ma girl qui, moyennant finance,

N’laiss’ plus mes dés d’os au hasard.

 

Au bout d’ma rue, la mer rouscaille

Sur les étals des écailleurs.

C’est la saison où l’on s’les caille.

Pourvu qu’ne tard’nt les jours meilleurs.

Depuis qu’ils font dans l’styl’ rocaille,

Pas question d’ahaner ailleurs.

 

Au bout d’ma rue, j’donn’ d’mes nouvelles

Au kiosquier dans son artichaut,

A mes croqu’-note à manivelle

Et à bretell’s qui, froids ni chauds,

Remuent les trip’s, troubl’nt les cervelles.

D’eux et d’leur bastringu’, qui s’en chaut ?

 

Au bout d’ma rue, j’vous en raconte

En long, en large et en travers.

Si j’perch’ l’Baron, j’pourfends l’Vicomte ;

Si j’me peauce en beau diabl’ d’Vauvert,

J’pantomime un laissé-pour-compte,

J’narr’ mes victoir’s et mes revers.

 

Au bout d’ma rue, on y jaspine

Bigorne, on y jact’ des jargons,

On y trafique, on y rapine,

On y sort les cogn’s hors des gonds…

Au grand jamais, on n’courb’ l’épine

Sous la matraqu’, ni dans l’fourgon.

 

Au bout d’ma rue, j’largu’ mes conquêtes

Dans les filets des maquereaux,

Des barbillons qui s’déchiquettent,

S’laissant pour morts sur les carreaux,

A coups d’surin, à coups d’casquette,

Pour finir derrièr’ les barreaux.

 

Au bout d’ma rue, j’ramèn’ la science

D’un camelot, d’un glob’-trotter,

D’un troubadour dans l’insouciance,

D’un bricoleur, d’un reporter…

Puis, j’engourdis les impatiences

D’mes ail’s dans l’absinthe et l’bitter.

 

Au bout d’ma rue, ma bouffard’ crame

Du Caporal, d’l’Amsterdamer.

J’aime à glander dans l’mélodrame,

Pogn’s dans les fouill’s, blasé, sans mœurs.

J’y dardillonn’ des épigrammes

Et fais confiance à la rumeur.

 

Au bout d’ma rue, j’en ai ma claque

Des lécheus’s d’ vitrin’s, des badauds,

Des mioch’s qui pataug’nt dans les flaques,

Des colporteurs sous leur fardeau

Et d’mes doubl’s à côté d’la plaque

-On dirait qu’ils attend’nt Godot !

 

Au bout d’ma rue, y’a des entrailles,

Des borborygm’s dans des boyaux,

Des ribambell’s sous des mitrailles

-Dragées, sous jaun’s, fleurs, riz, noyaux-,

Des voix, des clins d’yeux qui s’éraillent,

Des bookmakers dans leurs tuyaux…

 

Au bout d’ma rue, j’recharg’ cagettes,

Couff’s, bourrich’s, barils, estagnons,

Caqu’s, jarr’s… J’remballe tomat’s, courgettes,

Salad’s, aubergin’s, choux, oignons…

Les gueux engoul’nt tout c’qu’on leur jette :

Rognur’s, rest’s, fonds, débris, trognons…

 

Au bout d’ma rue, mes zigs, mes potes

S’faufil’nt et fil’nt comm’ des filous,

Mes gavroch’s cour’nt la galipote

Et mes garc’s donn’nt, entr’ chien et loup,

D’la façon à tout c’qu’ell’s tripotent.

Pendant c’temps-là, j’boss’ pour des clous.

 

Au bout d’ma rue, y’a des grand-messes

Où basochiens, politicards,

Prophèt’s, messies s’ruin’nt en promesses.

On s’moqu’ du mond’, du tiers, du quart.

J’me barr’ sur les bords du Permesse .

J’fuis,bille en têt’, tous ces rencarts.

 

Au bout d’ma rue, j’prends des tangentes…

J’plains mes escarpins, mes ribouis.

Pour fair’ feu d’mes deux, d’mes quatr’ jantes,

J’abîm’ mes patoch’s dans l’cambouis.

Quand j’reviens d’loin, j’me désargente

Au claque, au tripot, au boui-boui.

 

Au bout d’ma rue, j’suis à la masse

Comm’ d’autr’s sont au marteau-piqueur ;

A la masse et à la ramasse,

Dans des délir’s d’polémiqueurs.

Quand ils n’pros’nt pas, ceux-là rimassent,

Toujours pleins d’rancune et d’rancœur.

 

Au bout d’ma rue, j’les récompense,

Les échaffourées des marmots.

J’ne regard’ plus à la dépense,

A la veill’ d’guérir d’tous mes maux.

 L’ensuaireus’ m’dans’ sur la panse…

J’aurai choisi mes derniers mots.

 

 

Robert VITTON, 2013

 

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