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Hypocrisies - Égoïsmes *
LIVRE II - III - 4

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 Article publié le 13 novembre 2022.

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D’habitude, Didon (la grosse dondon) ne laisse pas une trace de ce qui a existé avant qu’elle s’y mette, ses instruments dressés en faisceau hors du champ de son action, sur le palier qu’on atteint par un escalier étroit sans encaustique ni tapis, les planches savonnées et rincées et les marques de la brosse et de la spatule multipliées par la lumière qui vient d’un œil-de-bœuf, soleil, lune ou éclairage artificiel de la rue, tandis que le locataire attend sur le palier en compagnie du chariot auquel elle revient à intervalle régulier, répandant son odeur de sueur aillée au trou du cul et reprenant la conversation là où elle l’avait laissée, secouant des manches, des couvercles, vissant et dévissant des bouchons ou les déclipsant avec le pouce, soulevant le tablier qu’elle a enfilé à même des sous-vêtements jaunes non pas de crasse mais en prévision de la crasse inévitablement contractée par cette activité, le soulevant pour se gratter la cuisse. Elle souffrait de je ne sais plus quelle lombalgie due à une cambrure exagérée qu’elle tenait de sa grand-mère ou de sa tante ou de qui que ce fût qui lui avait légué des particularités, ce qui est donné à tout le monde, mais je ne lui en ai jamais fait la réflexion, craignant le débat avec le bas de l’échelle sociale. Julien avait répandu sa paille dans toute la cage d’escalier. Les livreurs (ils étaient trois et « pas de trop » vu la taille du colis) n’avaient pas pu faire entrer la caisse dans l’ascenseur. Ils en avaient rouspété pendant toute la montée, cognant des murs qui ne l’avaient jamais été, foie de Didon ! (rien à voir avec Pygmalion… Didon était une parisienne qui avait la manie de s’étonner de tout, genre Céline : ah dis donc !) Elle en avait perdu la voix et, tentant de la retrouver, me tenait au courant des dernières nouvelles en provenance de l’entreprise tentaculaire de Pedro Phile qui ne lui inspirait pas que du respect. Julien (allez donc savoir pourquoi il avait tenu à se faire livrer à domicile, sous les toits !) avait redescendu le contenu de la caisse, toujours sans ascenseur, causant un vacarme tel que toute la maisonnée avait cru à un tremblement de terre.

« Remarquez bien que sans difficulté, dit-elle en torsadant une serpillère. Il est entré dedans, comme je vous le dis ! Et ça s’est mis à descendre l’escalier comme si ça avait fait ça toute la vie ! Mais quel chahut ! Je crois qu’il y a un moteur à explosion dedans… C’est en tout cas ce que pense monsieur Pélagie…

— Qui est monsieur Pélagie… ?

— Votre voisin du dessous… Il allait devant pour guider, mais rien à faire ! Oh mes murs ! Mes tapis ! Et dans le vestibule : mes dalles de marbre qui ne supportent pas la rayure ! On s’est tous retrouvé dehors. Qu’est-ce qu’on a ri !

— Julien riait aussi, je suppose…

— Plus que nous ! Là, coincé dans cette espèce de machine infernale. Et Alice dedans elle aussi, vêtue d’une combinaison d’astronaute… Son visage était à peine visible dans les reflets de la visière ! Ils avaient l’air de s’amuser… je vous le dis ! »

La serpillière est secouée puis Didon reprend sa tâche exactement où elle l’avait laissée. Je veux en savoir plus ! Je bave comme à trois ans devant la cahute de la marchande de glace à l’italienne, voyant les autres enfants revenir pour en avoir encore, leurs nez tutti frutti levés vers le robinet de la machine. Mais ce n’est qu’un flash comme j’en connais beaucoup depuis que je suis en cavale alors que je n’ai tué personne. Un manche revient et s’échange contre un autre. C’est alors que j’aperçois le bras cybérien de Julien, posé sur Cercueil, la main ouverte vers le plafond.

« Il a donc reçu sa nouvelle prothèse… dis-je sans franchir le paillasson.

— Vous êtes au courant… Je ne l’étais pas, moi ! Je ne savais même pas de quoi il s’agissait… Monsieur Pélagie…

— Il n’aura plus besoin de celui-là… Hum… Je me demande ce qu’il va en faire…

— Qui qu’en aurait besoin… ? Moi j’aime pas trop me servir de ce qui a déjà servi… On sait jamais !

— Mais vous n’avez pas besoin d’une prothèse ! Vos bras…

— Quoi mes bras ? »

Plus de débris de paille sur le plancher…

« Ni sur le lit ! s’esclaffe-t-elle.

— Il fallait fermer la fenêtre avant de déballer ! Sinon entre la porte et la fenêtre se crée…

— Ya pas d’secret, monsieur Tulipe… Tout le monde sait. Voilà. C’est réparé et bien hygiénique. C’est qu’on ne sait pas d’où elle vient, cette paille !

— J’ai connu des animaux…

— Monsieur Magloire a aussi cette manie de ne jamais achever ses phrases… Monsieur Pélagie dit que…

— Je vais sortir…

— Pour aller où ! Miss Alice n’a pas besoin de vous ! Prenez quelque chose et couchez-vous. Ils rentreront bien assez tôt !

— Il faut que j’y aille !

— Mais vous n’avez pas rendez-vous ! Monsieur Tulipe ! »

Trop tard ! Je suis dehors, le nez rafraîchi et la langue sèche.

 

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