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Hypocrisies - Égoïsmes *
Alfred Tulipe 92

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 Article publié le 24 septembre 2023.

oOo

La question des manuscrits se posait. Il y eut une malle. Et un disque dur avec ses clés. Hélène se chargea de l’inventaire. Julien avait procédé à un classement strict et même ébauché son « arbre » : un tronc commun, des racines dessous (occultes), des branches avec ramifications et des feuilles (de chêne) sur lesquelles étaient gravés les titres, sous-titres et chapitres aussi nombreux que les abeilles de la ruche. L’inhumation fut chrétienne et même catholique, alors que Julien se présentait à son Seigneur en amateur de puretés d’ailleurs diversement appréciées si on en jugeait (vite) à ce qu’il laissait de projets de préfaces, d’avertissements et d’introductions. Hélène, qui ne couchait plus avec lui depuis longtemps (ne pas en déduire qu’elle partageait mon lit ou que je m’introduisais secrètement dans le sien), fit déménager le lit maudit qui avait contenu les corps des deux amants et installa à la place un énorme bureau rustique ou massif selon l’idiosyncrasie de chacun. La chambre donnait sur un balcon et celui-ci sur un jardin dont les floraisons étaient entretenues par Madeleine. C’est dans la cabane à outils que je l’enculais soulevant la jupette noire aux plis impeccables. À l’heure de la messe ou de la promenade digestive et familiale qui réunissait le comte, sa fille et son petit-fils, quelquefois un ami de la famille que j’étais censé amuser de mes pitreries littéraires à ossature philosophique. Dans ces cas, pas d’enculade, car j’étais de la partie, traînant la patte en compagnie de l’invité, les oreilles du comte tendant à se rapprocher en toute discrétion. Bref, Hélène aménagea l’ancienne chambre de Julien en laboratoire de recherche. Mes consultations s’ajoutaient aux services divers rendu à la communauté en paiement discret du loyer. Comme je couchais au rez-de-chaussée pour cause d’acrophobie, j’empruntais l’escalier des boniches pour monter à l’étage où circulait la chercheuse en raisons de penser que Julien avait du talent, voire du génie. Elle avait en effet annexé plusieurs autres pièces, dont le petit salon égyptien que le comte avait offert à la comtesse suite à une excursion dans les hauteurs enneigées des Pyrénées. Réduit tout en couleurs qu’il m’arrivait de fréquenter du vivant de la châtelaine en titre, mais qui demeurait clos depuis qu’elle avait laissé le champ libre à son maître des lieux. Cette fois, la porte en étant ouverte, et le plancher du couloir couvert de paille, j’y jetai un œil pour constater les dégâts. Et en effet, le mobilier égyptien avait laissé la place à des meubles utilitaires choisis dans un catalogue spécialisé en matière de bureau et d’activités fonctionnelles. Hélène, en salopette bleue, dirigeait les travaux de dépoussiérage exécutés par une Madeleine en nage. J’ouvris la fenêtre, à peine entré, ce qui provoqua simultanément cris et envol de paille et de poussière. L’incident clos en même temps que les battants aux vitres sales, je vis Hélène, bavarde et inutile, s’employer à faire pivoter un fauteuil aux accoudoirs molletonnés. Elle m’invitait à y occuper la fonction symbolique qu’elle avait elle-même définie pour m’occuper à ses travaux plutôt que de perdre mon temps à creuser des trous dans le gazon pour y cacher mes os. La surface du bureau, de verre fumé à souhait, retenait un sous-main sans taches et divers objets destinés à accompagner l’écriture pour lui interdire toute sortie des rails. Une lampe s’alluma, inondant le papier encore vierge. Elle posa ses petites fesses entre une statue de Sappho aux abois et un plumier aux armes des Surgères.

« Qu’en penses-tu ? » dit-elle.

Le plumeau de Madeleine, contrairement au précepte rembrandien, balayait le vernis d’un paysage ancien.

« Mais, protestai-je, je n’ai pas besoin de ça…

— Mais ce n’est pas pour toi ! »

Madeleine toussa. Elle avait l’excuse de la poussière.

« Aïe ! gloussai-je. De qui s’agit-il… ?

— Mais de monsieur Russel, voyons ! »

Le plumeau passa dans le ciel obscurci par la vieillesse de son vernis.

« Roger va travailler ici ? Mais enfin… Tu ne sais même pas de quoi il est capable…

— Dans son dernier roman, un écrivain inédit, et donc malheureux, assassine un autre écrivain assez imbu de sa personne pour ne rien publier malgré les mains tendues par l’intelligentsia parisienne… Ça ne te dit rien… ?

— Mais Julien ne m’a pas tué !

— Il l’aurait fait si Alice ne s’était pas chargée de lui clore le bec définitivement, te sauvant ainsi pour te permettre de continuer à écrire et de fermer l’œil à l’approche de la nuit…

— Alice a tué Julien… ? Première nouvelle… Je n’ai rien lu de tel dans la Presse… Panglas a-t-il mené l’enquête ? Dans ce cas…

— Tu devrais publier ce que tu écris. Et tourner le dos à tes bouquins pour regarder où tu mets les pieds avant d’écrire le prochain…

— Merci du conseil. Mais je ne comprends pas… Frank Chercos sera de la partie… ?

— Papa apprécie beaucoup sa compagnie. Mais il est retenu par ses obligations professionnelles. Il nous rendra visite… Je crois d’ailleurs savoir que monsieur Russel ne peut pas se passer de lui…

— Nom de Dieu ! Tu as ouvert ma porte ! »

Clés cliquetant dans poche tablier Madeleine. Le plumeau visitait un linteau de marbre noir. Dos blanc et gras des avant-bras nus.

« Ne dis pas de sottises, Alfred ! Je n’ai pas la clé… Ni Madeleine non plus puisque tu as fait changer la serrure avec l’autorisation de papa. »

Chenets grinçant dans l’âtre. L’odeur de la cendre me harcelait.

« J’espère que cet endroit conviendra à son inspiration, dit Hélène.

— Mais le petit salon é…

— Vieilleries héritées d’un passé qui ne m’appartient pas, Alfred. Pas plus qu’à toi.

— Mais papa…

— Il s’en remet à mon jugement, Alfred. »

Les petits souliers vernis de Madeleine pivotent sur leurs talons. Hélène tique et vise la marque laissée par le cuir.

« Bien, bien ! fait Hélène. Tout est parfait. Julien eût aimé ça ! Pas vrai, Alfred ?

— La perfection n’était pas son fort… À force de rechercher la pureté des choses et des êtres, on finit par en perdre le fil. Où donc couchera sieur Russel… ?

— Je te prie de le recevoir avec amitié…

— Amitié ? Mais je ne l’aime pas à ce point ! Je serai poli…

— Entre écrivains…

— Mais il n’écrit pas ! C’est Chercos qui…

— Personne ne te croira, mon ami. Garde-toi bien d’en parler.

— Pas même avec toi… ?

— Je ne suis pas ta lectrice…

— Je n’en ai pas !

— Permets-moi d’en douter… »

Quel malheur ! Roger Russel de retour. Gor Ur ! Le dieu que vous aimerez haïr, disait la manchette rouge. Petit succès de librairie. Un écrivain raté assassine un écrivain réussi. Une suite s’imposait, car que devenait alors l’héritage littéraire de l’écrivain mort ? Et à quoi l’assassin consacrait-il ses heures de captivité ? À moins que le romancier eût imaginé une fuite en Amérique, comme dans Dostoïevski. Et un troisième tome pour le retour. Avec des souvenirs d’Amérique, la terre des Ingénieurs. Ingenioso. L’ingénie du personnage qui meurt à la dernière page. Est-ce ainsi qu’on crée le mythe ? Ou que soi-même, en tant qu’auteur, on participe à l’effort de mythomanie né avec le premier souffle de vie ou d’existence (j’hésite à me prononcer sur ce point) ?

Je redescendis, étreignant la main-courante. Lenteur de la descente. Le regard vague. En bas, une baie vitrée aux vitres étincelantes, plein Est. J’avais déjà compté les carreaux, par multiplication. Depuis longtemps. Madeleine me dépassa. Je saisis la ceinture nouée dans son dos au-dessus de ses fesses magnifiques. Elle s’arrêta sans se retourner. Qu’est-ce que Roger Russel lui devait ? Frank Chercos l’avait-il emberlificotée dans le cadre d’une garde à vue privée ? À quelle promesse s’était-elle abouchée ? Écrivez pour empêcher les autres d’écrire… Tu parles !

« Pas maintenant, dit-elle. Madame veut que tout soit prêt avant midi…

— Il sera là pour le repas… ? Ça me coupe…

— Je n’y suis pour rien…

— Je n’ai pas dit ça…

— Tes yeux, pourtant… »

La haine ? Ma mère évoquait souvent cet étrange sentiment d’appartenir à l’Enfer. Quelque part en suspension sur le balconnet d’une façade démesurée avec vue sur Venise ou quelque île légendaire dont la plage ou le port inspiraient ses coups de crayons maladroits. Elle donnait à admirer ces esquisses à des flatteurs pendant que je traversais le flot ravageur des raisons de regarder au lieu de toucher. Qu’est-ce qui me retenait d’exhiber cette érection ?

« Où donc est passé le petit salon égyptien… ? Alice a-t-elle vraiment tuée Julien… ? Comment un cadavre peut-il… ? Oh ! Oui, je vois… Cette révélation m’a scié…

— Raison pour laquelle tu refuses de publier… d’après Roger Russel… heu… dans son roman où Julien… Je me demande bien pourquoi… Dans le roman, madame ne paraît pas. Il n’est question que d’Alice. Je crois que cette absence la travaille… Elle veut savoir pourquoi… Est-il possible que tu n’aies jamais couché avec elle ? Y a-t-elle pensé elle-même ? Monsieur le comte te verrait bien dans la peau de son nouveau gendre… Un écrivain qui promet… mais n’est-ce pas le cas de Roger Russel qui, lui, publie… ? Un avantage certain sur ton silence… Tu te méfies déjà… La haine…

— Ce sera le titre de ton prochain roman, peut-être… ? Le premier n’est pas encore publié…

— Tu m’en donneras des nouvelles le moment venu… Je compte sur toi, allez ! »

Rien sur le petit salon égyptien qui devait bien se trouver quelque part. Elle fila et disparut. Le comte vint à ma rencontre, guilleret, cigare au bec comme il convient à un père qui se voit déjà en ordonnateur du veuvage de sa fille, mais sans moi désormais. Avait-il lu le roman de Roger Russel ? Qui d’autre aurait pu lui communiquer ce ricanement incessant en ma présence ?

« Vous êtes informé, à ce que je vois, dit-il sans mettre la main à la poche pour en extraire un cigare destiné à m’amadouer en prévision d’une complication à venir.

— Je ne sais rien de la destination du petit salon é…

— Une idée d’Hélène… C’est à elle d’en avoir maintenant… Les temps changent, mon vieux ! Il faut vieillir avec lui, sinon on ne sait plus qui est qui ni où on habite. Vous avez lu le roman de Roger Russel… ?

— M’en conseillez-vous la lecture… ? Me concerne-t-elle autant qu’on dit ?

— Je ne sais pas qui le dit, mais ce duel n’a pas encore eu lieu… Si Julien ne vous a pas tué dans la réalité comme il le fait si bien dans la fiction russelienne, ce pauvre Roger doit bien se douter qu’il est déjà votre cible. Et je sais que vous savez tirer ! Je vous ai vu à l’œuvre, faute de vous avoir lu, ce qui ne me distingue pas d’ailleurs. Ainsi, Alice…

— Invention ! Je m’insurge ! Mais il ne m’appartient pas de rétablir les faits.

— Il y eut des faits… ? Tout ceci est donc… vrai… ?

— Qu’allez-vous imaginer ! Ni Alice ni personne d’autre !

— Madeleine pourtant… Vous vous cachez bien mal tous les deux… Mais c’est votre affaire, pas la mienne.

— Si vous voulez… »

Je suivis dans l’allée les traces de paille et de copeau. Je ne fus pas long à apercevoir les caisses de bois blancs que j’avais entendu clouer. L’une d’elle contenait un guéridon damasquiné. J’avais offert ce récit à la comtesse. Ne l’avait-elle pas emporté dans la mort au milieu de l’Adriatique ? Si ce stupide Julien n’avait pas confondu une perruque avec la véritable tignasse de la comtesse, nous n’en serions pas là ! Un valet rien moins que stylé en assurait la garde (du Guéridon Damasquiné : toute une histoire dont j’étais l’auteur inspiré), à moins qu’il ne profitât d’un rayon de soleil, rare à cette époque de l’année, pour fumer une cigarette en attendant les ordres, pas inquiet ni pressé le valet, me regardant arriver sur lui comme s’il était en mesure de me renseigner, sans doute à propos de ces caisses qui partaient pour un musée. Lequel ? Il n’en savait rien. Non, pas en Égypte. Il ne savait même pas que ce salon fût de style égyptien, ce qui jurait avec le sien, genre raideur en noir et blanc toujours prête à s’esquiver dans les coins obscurs si le soleil ne lui faisait pas de l’œil. Il s’interposait, le larbin !

« J’en eus l’usage du temps de madame, dis-je comme si je composais un vers à caser dans une tragédie de mon invention. Mais je ne reconnais pas ces pièces pourtant si familières en ce temps-là…

— Une fois en caisse, on change, dit-il sans rire.

— Voyez-vous un damasquinage… ? De Syrie, et non pas d’Égypte. Cette seule intrusion, due à l’ignorance de monsieur, m’a inspiré le récit du même nom…

— Mais monsieur ne publie pas… heu… si je ne m’abuse… ?

— Vous êtes bien renseigné. Tout le monde est renseigné ici. Je ne savais même pas que ce petit salon égyptien à l’intrus venu de Damas eût une destination aussi poussiéreuse que le musée. Mais votre info n’en contient pas le nom…

— Comme vous dites, monsieur… Je ne sais pas trop de quoi vous parlez… Mais si je peux vous être utile…

— Non point ! (j’avais du style moi aussi pour l’occasion – un point à la place du pas – comme c’est poétiquement envisagé !) J’aurais bien aimé revoir ce guéridon… Cet intrus… Nos madeleines… car nous nous en tenions à de françaises collations sur le coup de quatre heures… N’y étiez-vous point… ?

— J’y étais, monsieur. Je suis là… Oh ! je dirais depuis toujours, monsieur…

— Le vent colporte ces nouvelles… Elles appartiennent à tout le monde. Et comme vous le savez, le monde n’est pas un mouchoir, sauf s’il s’agit de se vider le nez qu’on a quelquefois en proie à des tiraillements familiaux.

— Le style de monsieur est compliqué… Est-ce la raison pour laquelle il ne publie pas… ?

— Est-ce vous qui me posez la question… ? Ou moi qui donne la parole à une marionnette de mon invention… ? À quelle heure le camion… ?

— Incessamment, monsieur… (il consulte sa montre au poignet / bouton de manchette en émail vert / bracelet de cuir noir plissé) Mais je ne sais rien de plus…

— Pas le temps d’ouvrir… Demander au comte de me céder la propriété du guéridon. Ne m’appartient-il pas au moins un peu ? Il me posera des questions et je n’y répondrais pas. Ai-je publié ce récit ?

— Je suppose que non, monsieur… Monsieur a sa réputation…

— Quelle idée d’avoir cloué ces planches ! Un pied de biche, je n’en ai pas sur moi ! Mais vous ne me laisseriez pas faire, n’est-ce pas… ?

— Je ne conseille pas à monsieur…

— Au poids… Voyons si je reconnais le contenu au poids… Han !

— Monsieur va se blesser… Sa fragilité dorsale est bien connue…

— Comment savez-vous ça… ? Madeleine ?

— Monsieur !

— Elle ne sait pas tenir sa langue… Et elle me demande de lui rendre service !

— Hi ! Hi !

— Je la lui tiendrais la prochaine fois… Cette caisse me paraît assez légère pour contenir mon guéridon… Surgères ! J’ai à vous parler ! Vous, ne laissez rien partir avant qu’une décision soit prise au sujet du guéridon. J’expliquerai au comte que cet objet n’est pas égyptien et que par conséquent l’ensemble de nature égyptienne peut s’en passer sans violer la mémoire. Je suppose qu’il s’agit de mémoire. Qui dit musée, dit mémoire. N’êtes-vous pas d’accord avec moi sur ce pas… heu… sur ce point ? J’ignore de quelle mémoire il s’agit… Certainement pas de celle qui suscita ce cadeau en un temps de jeunesse pas encore assumée… Quelque visiteur plus cultivé que les autres remarquera-t-il l’incongruité provoquée par ce guéridon syrien qui n’attire l’œil que par son damasquinage savant et artistique à la fois (ce qui n’est pas un mince exploit) ? Même ce souvenir passera inaperçu… Mémoire abolie par l’introduction au Musée. Il est encore temps de pallier ce défaut ! À moi, comte ! Deux mots ! Ce guéridon…

(le comte interloqué)

— Et bien quoi, ce guéridon… ? De quel guéridon est-il question ? Je ne vois que des caisses d’emballage… Le camion est-il annoncé… ?

— J’ai mon portable dans ma poche, monsieur… J’ai donné mon numéro comme vous me l’avez demandé.

— Parfait ! Mais que prétendez-vous, Alfred… ?

— Le Guéridon Damasquiné est le titre d’un de mes récits…

— Que personne n’a lu, je sais !

— La comtesse l’a lu…

— Gisèle a lu un de vos bouquins… ? J’en apprends…

— Ce récit me fut inspiré par ce guéridon syrien… lequel dénotait dans cet environnement égyptien…

— Mais il ne fut pas introduit par moi…

(le sang me monte à la tête)

— Par qui donc ? Je m’étonne…

— Vous aimeriez bien connaître le nom de cet intrus, n’est-ce pas ? Il ne figure pas dans votre récit. La comtesse a dû bien se marrer ! Elle qui ne lisait que du véridique. Et judiciairement apprécié. Si vous vous êtes fourré le doigt dans l’œil chaque fois que vous avez pondu un ouvrage, la postérité vous a déjà tourné le dos. Je comprends mieux vos hésitations…

— Mais je n’hésite pas, voyons ! Arrrhg ! Si vous êtes aussi gentleman qu’on le dit, cédez-moi ce guéridon et n’en parlons plus…

— Il est emballé ?

— Certes oui !

— Dans une de ces caisses… ?

— Tu l’as dit !

— Mais laquelle ?

— Je pensais que vous étiez l’auteur du code qui figure sur chacune d’elle…

— Pas le moins du monde…

— Ou Hélène… Il s’agit d’Hélène, n’est-ce pas ?

— Renseignez-vous auprès d’elle, mon vieux…

— J’aurais dû y penser avant de vous remettre en mémoire ces mauvais souvenirs…

— Mais vous n’y avez pas pensé… Hélène… Voyez avec elle. Elle vous demandera des explications. Elle voudra lire Le Guéridon Damasquiné. Vous la connaissez… Elle conditionnera l’octroi du don… Vous allez tomber dans ses griffes, Alfred. Mais j’ai d’autres projets pour elle.

— Roger Russel sera-t-il là avant le camion du Musée… ? »

Je n’attendis pas la réponse à cette question tombée de mes lèvres sans la participation de ma langue. Je courus au premier où Hélène rangeait des dossiers livrés la veille, appris-je. Roger Russel avait procédé à ces expéditions préventives. On avait pris soin de ne pas me tenir au courant. Il n’y avait pas d’amour dans ses yeux. Ni pour lui ni pour moi. À ma connaissance, elle n’aimait que son fils, le nabot. Même le comte était privé de son cœur. On ne pouvait en observer les rigueurs qu’en présence du nabot. Aucune autre complaisance en vue. Mais le repas approchait. Je m’emploierais, entre deux coups de fourchette, à observer ce cœur dans la transparence de son corsage. Vile activité, mais en dehors de mes efforts cognitifs, j’étais plutôt mollasse. Autant mettre à profit cette fragilité mentale pour en savoir plus sur le destin d’Hélène qui ne croisait plus le mien dans la même perspective. Je lui expliquai pour le guéridon. L’intrusion. Je mentis : le comte avait confondu l’Égypte et la Syrie. Elle me crut et me donna le code. Je me précipitai dehors. Il fallut vider le camion car le chauffeur avait embarqué la caisse contenant le guéridon avant les autres. J’aidai à la manœuvre. J’avais ma caisse et le comte était satisfait. Il offrit des cigares à tout le monde, même à l’apprenti à peine pubère qui accompagnait le chauffeur.

« Ah ! Si j’avais pas eu le gosse avec moi, je l’aurais embarqué…

— Il trouvera un taxi, dis-je comme si cette information me procurait du plaisir, morale qu’elle était.

— Il n’arrivera pas avant midi, continua le chauffeur. Un monde fou !

— Mais ce n’est pas la Saison… !

— Le procès, monsieur le comte ! Le procès ! Un homme-femme, ça attire du monde de nos jours…

— Mais Julien ne l’a pas tuée ! C’est plutôt elle qui…

— Nous parlons de choses que nous ne connaissons pas en profondeur. S’il est encore à la gare, je consens à le conduire jusqu’ici… Mais à la condition que vous donniez un coup de fil au patron, monsieur le comte…

— Comme si c’était déjà fait ! »

 

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